Écho de presse

L'énigmatique disparition d’Agatha Christie

le 12/08/2020 par Michèle Pedinielli
le 08/08/2020 par Michèle Pedinielli - modifié le 12/08/2020
Agatha Christie adolescente, photo tirée du livre « An Autobiography, by Agatha Christie » – source : WikiCommons
Lorsque la romancière Agatha Christie s’évapore le 3 décembre 1926, c’est le début d’un feuilleton de 12 jours qui tient les Britanniques en haleine. Retrouvée dans un hôtel en bord de mer, elle affirme ne se « souvenir de rien ».
Le 3 décembre 1926, à 22h, Agatha Christie quitte son domicile de la banlieue de Londres au volant de son élégante Morris Cowley. Elle laisse un mot à sa secrétaire, expliquant qu’elle part en week-end et fera connaître son adresse plus tard.

Le lendemain, la police retrouve sa voiture à 40 km de là,  près de l’étang de Silent Pool. À l’intérieur, son manteau de fourrure, sa valise et son sac à main. Dès le 5 décembre, les journaux anglais mettent cette disparition à la Une.

En France, c’est Le Siècle qui le 9 décembre s’empare en premier de l’histoire :

« La région où on trouva son auto abandonnée près d’une marnière a été battue par plus de 500 hommes, accompagnés de chiens. Les marais ont été fouillés. Un avion a survolé le pays. La police n’a rien trouvé. »

L’étang est dragué pendant plusieurs heures mais ne fait remonter aucun corps. La Morris Crowley, enfoncée dans un buisson, n’est pas accidentée à proprement parler. Pour Le Siècle, deux hypothèses prévalent dans cette disparition :

« Deux suppositions restent en présence : ou Mrs Agatha Christie a voulu vivre un de ses romans ou bien, assez énervée intellectuellement, a-t-elle perdu provisoirement la mémoire et la connaissance de sa personnalité. Dans ce cas, elle pourrait continuer à agir comme les personnages des romans qu’elle a pu concevoir dans les derniers temps qui ont précédé sa disparition. »

Le 13 décembre, Le Journal fait part d’une hypothèse plus sombre :

« En quittant la maison, la romancière avait laissé à l’adresse de son mari une lettre à ouvrir au moment où son corps serait retrouvé ; cette lettre ne laisse pas de doute sur ses intentions de suicide. »

Le 14 décembre, Le Gaulois s’essaye à plusieurs scenarios :

« Les théories se donnent libre cours bien entendu. On interroge les confrères de la romancière parmi ceux qui ont inventé les aventures policières les plus compliquées. D’aucuns estiment que, vu le silence observé par la disparue, celle-ci est morte. D’autres qu’elle est cachée à Londres et que, vu le scandale causé par sa disparition, elle n’ose plus reparaître. D’autres pensent qu’elle est partie pour l’étranger. D’autres suggèrent de chercher dans un de ses romans quelque moyen ingénieux inventé par elle qui mettrait sur la piste. Et pour terminer, certains estiment tout bonnement qu’elle a préparé une réclame formidable à son prochain roman. Que ne dit-on pas ! »

Le 15 décembre, c’est le soulagement, si ce n’est la fin du mystère : Agatha Christie est retrouvée dans un hôtel de la station balnéaire d’Harrowgate. Le Petit Journal raconte la découverte de la romancière par son mari, le colonel Christie :

« Le colonel Christie avait reçu un message lui annonçant qu’une femme répondant au signalement de Mrs Christie se trouvait à Harrowgate ; il prit immédiatement le train. À 7 heures du soir, il pénétrait dans l’établissement où il fut conduit devant sa femme, qui paraissait très déprimée. Elle le reçut par ces simples paroles : « Hello ! Archibald ! Comment allez-vous ? »

Contredisant la version du Petit Journal, L'Ouest-Éclair du 16 décembre affirme qu’Agatha Christie n’a pas pu reconnaître son mari car elle est victime d’une crise d’amnésie totale. C’est le fameux Archibald qui en informe lui-même les journalistes :

« Le colonel, interrogé à l’issue du repas, apprit aux journalistes présents que sa femme avait complètement perdu la mémoire. Elle est victime, dit-il, d’une crise d’amnésie totale. Elle ne m’a pas reconnu et ne sait ni qui elle est, ni où elle se trouve. »

Le 16 décembre, Le Gaulois apporte quelques précisions :

« Détail qui a son prix, la romancière, qui semble avoir perdu la mémoire, mais qui n’a pas moins dîné en tête-à-tête avec son mari, avait mené à l’hôtel une vie des plus gaies, chantant, dansant, jouant au billard et allant faire des promenades avec les pensionnaires. La mémoire va-t-elle lui revenir ? C’est le secret de demain. »

Alors que tout le monde s’interroge sur cette étrange amnésie (Agatha Christie s’est inscrite à l’hôtel d’Harrowgate sous le nom de la maîtresse de son mari), le journal La Presse tire ses propres conclusions. Avec un mépris non dissimulé, son journaliste affirme le 18 décembre :

« Le terrible bas-bleu n’avait rien trouvé de mieux pour obliger le public à s’occuper de sa personne et l’inciter à lire ses œuvres jusqu’alors invendues, que de combiner ce scénario de fait divers ! »

Se moquant du public britannique et de la police anglaise  qui « avaient donné, tête baissée, si l’on peut dire, dans ce grossier panneau », le journal n’hésite pas à rapprocher ce « procédé de publicité » d’un fait divers  de celui d’une autre « écrivassière » ayant récemment assassiné son mari.

Fugue dissociative comme l’appelèrent plus tard les psychiatres, ou génial coup de pub ? Jusqu’à sa mort en 1976, Agatha Christie restera toujours muette sur cet épisode. Et en réponse à chaque question de journaliste à ce sujet, elle se plaindra de ses problèmes de mémoire…