Écho de presse

1942 : « Casablanca » de Michael Curtiz, film politique

le 29/04/2021 par Pierre Ancery
le 15/08/2020 par Pierre Ancery - modifié le 29/04/2021
Ingrid Bergman et Paul Henreid dans « Casablanca », 1942 - source : WikiCommons
Ingrid Bergman et Paul Henreid dans « Casablanca », 1942 - source : WikiCommons

Grand classique du cinéma américain, Casablanca de Michael Curtiz sort en pleine Seconde Guerre mondiale. Découvrant le film après le conflit, la presse française va louer les intentions politiques du film, conçu comme un hommage à la Résistance.

Rien ne prédestinait Casablanca, sorti en 1942, à devenir un des films les plus mythiques de l'histoire du cinéma. Tiré d'une obscure pièce de théâtre, il devait être au départ réalisé par William Wyler avant que Michael Curtiz (Captain Blood, Les Aventures de Robin des bois...) n'en prenne les rênes.
 

Le tournage fut chaotique : alors qu'il avait déjà commencé, les scénaristes continuaient de travailler séparément sur des versions différentes de l'intrigue. Jusqu'au dernier moment, personne ne savait comment le film allait se terminer.
 

Quant au casting, aucun des comédiens prévus au départ ne fut de la partie. Le duo de protagonistes allait finalement être interprété par Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. À l'époque, Bogart, 42 ans, est déjà un acteur reconnu. Il a joué l'année précédente dans le célèbre Faucon maltais et a régulièrement les honneurs de la presse française.

Sa partenaire, la Suédoise Ingrid Bergman, doit encore faire ses preuves. Après son premier film américain, Intermezzo, en 1939, Le Jour notait pourtant que « d'après les spécialistes californiens, Ingrid Bergman [...] n'est pas qu'une ravissante personne, c'est aussi une excellente comédienne appelée au plus brillant avenir. »
 

L'intrigue de Casablanca a la particularité de se dérouler à l'époque même du tournage, c'est-à-dire en pleine Seconde Guerre mondiale. Rick Blaine (Bogart) est le propriétaire cynique d'un night-club au Maroc, alors sous domination vichyste. L'arrivée de son ancien grand amour Ilsa Lund (Bergman) et du mari de celle-ci, Victor Laszlo, chef de la Résistance tchèque, va mettre à l'épreuve ses sentiments et son apparent détachement des choses « politiques »...
 

Tenant à la fois du mélodrame, du film d'espionnage et du manifeste en faveur de l'intervention américaine en Europe, le film rencontre un succès triomphal lors de sa sortie américaine fin 1942. L'histoire d'amour entre Rick et Ilsa, sur fond de lutte contre les nazis, bouleverse un public qui trouve dans le film un écho à la tourmente qui agite alors le monde entier.

En France, le film ne sortira qu'en 1947. Il faut chercher dans la presse publiée en français hors des territoires conquis par l'Allemagne pour trouver des critiques du film avant cette date – par exemple dans La France nouvelle, journal résistant fondé à Buenos Aires, qui écrit en mai 1943 :

« Ce n'est pas la première histoire d'amour que l'on aura entourée d'un fond trouble d'espionnage et de trafics louches, mais je peux affirmer que rarement comme dans “Casablanca” le mélange a été aussi heureusement dosé... […] L'unique reproche que je puis adresser au film, c'est d'avoir traité la question un peu légèrement, un peu trop en vaudeville, par instants : la chose était pourtant sérieuse... enfin, comme il y a aussi de bonnes choses, il faut être un peu indulgent...
 

L'interprétation est brillante […]. L'atmosphère du film était très sympathique à la France de de Gaulle et la salle aussi ; je dois dire que c'était très plaisant... L’audition de la “Marseillaise” a été saluée par de nombreux applaudissements... »

L'article évoque une scène célèbre du film, dans laquelle Victor Laszlo, voyant que les nazis entonnent un hymne patriotique dans le night-club de Rick, se met à chanter La Marseillaise. Il est bientôt rejoint par tous les clients du club, couvrant le chant des Allemands qui, vexés, font fermer le lieu.
 

Casablanca est en effet conçu comme un hommage sans ambiguïté à la Résistance et aux Forces Françaises Libres. Lors de la sortie française, c'est d'ailleurs cet aspect qui va le plus souvent retenir l'attention de la presse.
 

Certains journaux y trouveront d'ailleurs matière à critique. Dans son édition du 28 mai 1947, le quotidien communiste L'Humanité titre ainsi : « Une classique histoire d'amour dans une Résistance conventionnelle ».

« Ce film, plein de bonnes intentions, et qui ne manque pas de qualités, vise à être à la fois un document sur la résistance française en Afrique du Nord, un film d’aventures et une pathétique histoire d’amour [...]. Le jeu sobre de Humphrey Bogart et le visage émouvant d’Ingrid Bergman donnent une certaine intensité à la fiction romanesque qui demeurera le principal attrait du film.
 

Mais le document sur la résistance, tout en rendant hommage au patriotisme des Français, nous montre beaucoup plus complaisamment des types de résistants qui sont davantage des aventuriers ou des gangsters que des patriotes. Laszlo, le mari d’Ilsa, incarne un personnage invraisemblable de résistant international ; il connaît les chefs de la résistance de tous les pays, et son activité, prétend-il, peut sauver des centaines de milliers de vies humaines ! Vraiment, l’optique simpliste d’Hollywood néglige un peu trop le caractère national de la résistance.
 

La mise en scène témoigne d’un effort indéniable pour “faire réel”. Mais en dépit de quelques scènes où Paris, par exemple, est finement évoqué par la Tour Eiffel, la Seine, un drapeau tricolore et quelques mesures de la Marseillaise, le film demeure américain par ses qualités et ses défauts. »

Même chose dans La Gazette provençale :

« On notera également, une fois de plus […], que les cinéastes américains, passés maîtres en l’art difficile d’animer les messes de figurants et dans celui du documentaire, sont très mal à l’aise dès qu’il s’agit de reconstituer un cadre et des sentiments qui leur sont étrangers [...]. L’image qu’il donne de la résistance française peut être touchante. Elle n’en fera pas moins sourire. »

L'Aube se montre plus clémente :

« C’est un film autour de la guerre : les terribles événements que nous avons vécus ont donné au cinéma une ample matière. Ils ont renouvelé la face des pays et les sentiments des hommes. Michael Curtiz nous donne un Casablanca de l’occupation, grouillant, pittoresque, chargé d’action, qui est comme un moment d’histoire [...].
 

Le film vaut moins par les individus que par cette foule, réunie par le hasard et l’angoisse, où chacun se tire d’affaire comme il peut sans arriver à se désolidariser de l’ensemble. Le Casablanca de Michael Curtiz est assez peu mauresque. Il inscrit fortement une page émouvante de l’histoire de ces grands dérangements de population dont fut cause la guerre. »

De son côté, Carrefour, qui rappelle dans un article publicitaire que Casablanca a obtenu trois Oscars en 1944 (meilleur film, meilleur scénario, meilleure mise en scène), met clairement en avant la dimension pro-France Libre du film : « Réalisé à Hollywood pour servir la cause française, CASABLANCA est une œuvre magistrale de Michael Curtiz. Tout en donnant à son thème l’attrait du film d’espionnage, il a su s’en servir avec tact et puissance le prestige de notre Patrie ».
 

Quant aux Dernières dépêches de Dijon, elles parlent d' « un grand film en hommage à la France » :

« [Casablanca] symbolise l'esprit de la Résistance française et servit la cause de notre pays, non seulement en Amérique, mais dans le monde entier [...]. Plusieurs personnages de premier plan ont trouvé leur modèle dans la réalité de ces années terribles […].
 

Cette œuvre magistrale du grand metteur en scène américain a été réalisée avec beaucoup de tact, et surtout une vibrante sympathie pour la France. La scène de la “Marseillaise”, qui fut saluée, en Suède et en bien d'autres pays, par de chaleureux applaudissements, fera passer dans la foule un frisson d'émotion. »

Casablanca deviendra avec le temps un classique régulièrement cité parmi les plus grands films de l'histoire – probablement davantage, d'ailleurs, à cause de son interprétation impressionnante et de sa mise en scène virtuose que pour ses vertus politiques.
 


 

Pour en savoir plus :
 

René Noizet, Tous les chemins mènent à Hollywood : Michael Curtiz, L'Harmattan, 2000
 

James C. Robertson, The Casablanca Man : The Cinema of Michael Curtiz (en anglais), 1993