Écho de presse

Juillet 1791 : en pleine Révolution, Voltaire entre au Panthéon

le 31/03/2021 par Michèle Pedinielli
le 09/09/2020 par Michèle Pedinielli - modifié le 31/03/2021

Il est le deuxième « grand homme » dont le corps est transféré dans l’ancienne église Sainte Geneviève, transformée en Panthéon par l’Assemblée Constituante. Cet événement en grande pompe est destiné à célébrer le philosophe, autant que la Révolution elle-même.

Le 4 avril 1791, la Constituante trouve une nouvelle utilité à l’église Sainte-Geneviève tout juste achevée : devenir un « Panthéon » des grands hommes du pays.

Le lendemain de cette décision, Mirabeau, tout juste décédé, est le premier à y être inhumé. Le 11 juillet, c’est au tour de Voltaire, dont le corps doit ramené de l’abbaye de Sellières, près de Romilly-sur-Seine, où il a été inhumé religieusement en 1778, quoi qu’en hâte, de façon à ce que que les autorités ecclésiastiques supérieures ne puissent empêcher l’enterrement.

Les cendres du philosophe arrivent donc à Paris et vont être transférées en grande pompe dans le tout nouveau Panthéon via un cortège partant de la place de la Bastille.

« À cinq heures un quart, le char étoit devant l’opéra. L’ordre de la marche étoit réglé comme il suit :

Un détachement de cavalerie nationale.

Députation de collèges, de sections, du club des jacobins, de MM. les hercules de la halle, de la société fraternelle, etc. etc.

Une pierre de la bastille sur laquelle est sculpté le profil de Mirabeau.

La statue dorée de Voltaire, portée sur un brancard, entourée d’enseignes triomphales, à la manière des Romains

La collection des œuvres de Voltaire, dans un coffre en forme d’arche.

Enfin, le char de Voltaire, attelé de douze chevaux blancs, sur quatre de front et chargé du sarcophage, surmonté d’une représentation affligeante par l’image qu’elle présentoit de la décrépitude et de la mort.

L’assemblée nationale, le département, la municipalité, l’académie, les gens de lettres accompagnoient le char, escorté de personnages habillés à la grecque, de muses et de prêtres d’Apollon. »

La flamboyance de cet événement typiquement révolutionnaire doit impressionner, asseoir intellectuellement les fondations de la Révolution dans ce que l’on nommera bientôt les Lumières de « Voltaire, Rousseau, D’Alembert, Boulanger, Mably » et bien sûr, faire vaciller le « fantôme brillant de la royauté ».

« Aussi de quelle joie les patriotes instruits n’ont-ils pas été transportés, quand ils ont vu l’effet qu’a produit sur le peuple la pompe triomphale de Voltaire ?

Ce n’est pas un auteur tragique admirable, ce n’est pas un poète sublime, ce n’est pas un savant universel, ce n’est pas le premier de nos historiens, que le peuple admiroit et déifioit dans Voltaire ; c’est un grand philosophe, c’est un des principaux auteurs de la révolution.

À côté de l’image de la bastille, à côté de la couronne murale décernée à ses vainqueurs, on portoit les œuvres de Voltaire : n’étoit-ce pas lui dire : Voltaire cette couronne t’appartient, c’est toi, ce sont tes ouvrages qui ont renversé la bastille. »

Sans surprise, le très catholique Journal général de l‘Abbé Fontenai s’insurge des honneurs (et de leur coût) rendus au philosophe déiste, mais connu pour son anticléricalisme.

« Les cendres de Voltaire, arrivées hier au soir sur l’emplacement de la Bastille, seront transportées aujourd’hui à Ste Geneviève.

Le cortège suivra tous les boulevards jusqu’à la place de Louis XV, gagnera le Pont-Royal, le quai de Voltaire, la rue Dauphine, &c.

On a déblayé tous les endroits où il doit passer : rien ne coûte, pour faire triompher l’homme qui a le plus outragé les mœurs & la Religion dans ses écrits. »

Mais sommes-nous bien en présence du corps de Voltaire ? Après tout, l’homme de lettres est déjà mort depuis plus de treize ans et tant de choses auraient pu se passer entre-temps… On voit naître la célèbre rumeur dans les journaux d’alors, et notamment dans La Feuille du jour.

« Mais je demande si c’étoit bien le squelette de Voltaire, qui étoit transporté si pompeusement sur un char attelé de douze chevaux blancs. D'honnêtes gens ont des doutes sur ce point. […]

Tout le canton se rappelle ces faits ; et il raconte qu’au bout de quelques mois, un étranger de haute taille, que l’on croit russe, vint à Sellieres visiter la sépulture, s’informant de tout avec beaucoup de curiosité ; on lui montra la place. Il se fit indiquer la position de la tête et celle des pieds. Cet homme paroissoit insatiable de détails sur cet objet, qui sans doute lui semblait sacré.

Une belle nuit, le défunt fut enlevé de son gîte, et le russe ne reparut plus. Au bon vieux temps, on eût dit que le diable étoit venu emporter son ami. »

Le citoyen Favreau, maire de Romilly, réfute ces affirmations et y répond en personne quelques jours plus tard.

« Il faut avoir bien peu de vergogne pour oser publier des mensonges aussi absurdes que ceux qu’il débite sur l’enlèvement du corps de Voltaire, qu’il dit fait pendant une belle nuit d’été, par un Russe fort grand.

Je suis maire de Romilly ; j’y suis né ; je connois tous les habitans. J’ai vu arriver le corps de Voltaire à Seillieres ; je l’ai déshabillé ; je l’ai vu mettre dans la bière ; j’ai vu sceller le cercueil. Jamais il n’a été question qu’il eût été enlevé.

Ce conte bleu n’a pas le plus léger fondement.

Lorsqu’en exécution du décret de l’Assemblée Nationale, Voltaire a été exhumé en présence des corps administratifs, des municipalités voisines et de plus de 2 000 citoyens, & cela par le même homme qui l’avait enseveli en ma présence, nous avons tous reconnu Voltaire & la planche en chêne dessous la bière. »

En 1794, après la découverte des contacts privilégiés entre Louis XVI et Mirabeau, la dépouille de celui-ci sera exclue du Panthéon, faisant depuis de Voltaire le plus ancien occupant des lieux.

Sur son sarcophage, on peut lire :

« Il vengea Calas, La Barre, Sirven et Monbailli. Poète, philosophe, historien, il a fait prendre un grand essor à l’esprit humain, et nous a préparés à être libres. »

Pour en savoir plus :

Pierre Milza, Voltaire, Perrin, 2007

René Pomeau, Voltaire en son temps, Voltaire Foundation, Oxford, 1988