Écho de presse

Maïakovski : suicide d’un poète révolutionnaire

le 25/07/2021 par Michèle Pedinielli
le 21/07/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 25/07/2021
Vladimir Maïakovski et son chien Pouchkino, 1925 - source : Wydawnictwo Literackie, Cracovie-WikiCommons
Vladimir Maïakovski et son chien Pouchkino, 1925 - source : Wydawnictwo Literackie, Cracovie-WikiCommons

Lorsque le poète soviétique se donne la mort en 1930, la famille communiste vit un double séisme : celui de perdre un des chantres de la révolution prolétarienne et celui de devoir accepter un suicide « bourgeois ».

« À tous : je meurs, n’en accusez personne. Et pas de cancans, s’il vous plaît. Le défunt détestait cela. »

Ainsi commence avec une ironie mordante la lettre « à tous » que laisse Vladimir Maïakovski avant de se suicider. On découvre le corps du poète soviétique de 36 ans à son domicile de Moscou, le 14 avril 1930. Il s’est tiré une balle dans le cœur.

Chef de file du mouvement futuriste, Vladimir Maïakovski s’est engagé tout entier dans la révolution bolchévique de 1917. Cassant les codes, il écrit une poésie puissante dédiée à la classe ouvrière et à l’action collective. Une poésie faite non pour être lue dans des salons feutrés mais pour être hurlée à pleine voix dans les usines. La poésie devient une arme au sens propre du terme : « Comment osez-vous vous prétendre poète et gazouiller gentiment comme un pinson ? Alors qu’aujourd’hui il faut s’armer d’un casse-tête pour fendre le crâne du monde ! », écrit-il comme un étendard.

Lorsqu’on apprend son suicide, c’est l’incompréhension la plus totale. Car ce geste est en complète contradiction avec l’idéal collectif communiste.

L’Européen du 7 mai 1930  s’en amuse :

« Ainsi donc, “le plus grand poète de la révolution prolétarienne” s'est suicidé pour des chagrins intimes, comme un jeune homme sentimental, comme une midinette parisienne.

Pour les communistes, ce fut un coup dur ! Si élogieuses que soient les oraisons funèbres des “camarades”, on n'en condamne pas moins son geste et sa lettre qui sent le poète décadent d’autrefois. »

Effectivement, le quart de page que le journal socialiste L’Humanité consacre à la mort du poète le 28 avril 1930 commence par une pirouette rhétorique de haut vol :

« Neurasthénique, miné par d’intimes chagrins, Vladimir Maïakovsky eut cependant la force dernière d’une clairvoyante et suprême analyse : dans une lettre qu’il écrivait quelques instants avant le drame, il s’accuse de la brutale contradiction révélée par cette égoïste fin d’un suicide bourgeois, s’opposant à toute son activité de militant révolutionnaire consacrée à la collectivité, à toute sa vie d’insurgée contre le traditionalisme, la banalité et la médiocrité de la classe dont il sortit. »

La raison de ce décès brutal est donc officiellement « d’intimes chagrins » comme l’écrit L’Humanité. En effet, cet homme au physique massif, au verbe puissant, était un révolutionnaire convaincu tout autant qu’un amoureux passionné.

Sa relation tumultueuse et malheureuse avec Lili Brik (la sœur de l’écrivain et résistante Elsa Triolet) sera maintes fois évoquée, notamment au sein du Parti communiste, qui préfère sans doute l’idée d’un romantisme décadent à celle d’une éventuelle remise en cause de la situation en Union soviétique. Sa lettre « à tous » semble d’ailleurs le confirmer :

« Maman, mes sœurs, mes amis pardonnez-moi – ce n'est pas la voie (je ne la recommande à personne) mais il n'y a pas d'autre chemin possible pour moi. Lili aime-moi ! »

L’autre cause possible de ce geste désespéré est sociale et politique. Militant révolutionnaire, épris d’absolu, ayant entièrement épousé la Révolution bolchévique, Maïakovski refusait d’accepter ce qu’elle était devenue : bureaucratique et stagnante.

Le Petit Marseillais du 2 septembre 1937 rappelle cette harangue à l’encontre des « communistes conscients » :

« Des mœurs de petit boutiquier, écrivait-il. Un chat ronronne sur une pile d’lzvestia ; un serin sautille dans une cage ; le communiste “conscient” parcourt la Pravda, tandis que sa femme achève de ravauder une robe, de couleur rouge naturellement, pour la prochaine soirée du commissariat de l'instruction publique.

Et Maïakovski, soudain, pousse un hurlement d’angoisse : “Ces mœurs sont plus dangereuses que toutes les contre-révolutions. Tordez vite le cou à ce canari, sinon les serins tordront le cou au bolchevisme”.  […]

On imagine la tragédie d’un combattant de la guerre civile condamné à dresser les statistiques du plan quinquennal. »

C’est aussi l’avis de Léon Trotsky qui écrit dans « Le suicide de Maïakovski » en mai 1930 :

« L’avis officiel, mis au point par le “Secrétariat” dans un langage de protocole juridique, s'empresse d'informer que ce suicide “n’a aucun rapport avec les activités sociales et littéraires du poète”.

Ce qui revient à dire que la mort volontaire de Maïakovski n'a aucun rapport avec sa vie, ou bien que sa vie n'avait rien de commun avec sa création révolutionnaire et poétique ; c'est transformer sa mort en un fait divers fortuit. Ce n'est ni vrai ni nécessaire ni... intelligent ! »

Que ce soit par dépit amoureux ou par désillusion politique, Maïakovski a choisi de mourir avec autant de fracas qu’il avait vécu. Ses derniers mots restent remarquables :

« Comme on dit : “L’incident est clos.”
Le canot de l’amour
S’est brisé contre la vie courante.
Je suis quitte avec la vie.
Inutile de passer en revue
Les douleurs,
Les malheurs,
Et les torts réciproques.
Soyez heureux.
 »