Écho de presse

Franz Liszt, la première rock star

le 08/04/2022 par Pierre Ancery
le 04/04/2022 par Pierre Ancery - modifié le 08/04/2022

Au XIXe siècle, le pianiste hongrois Franz Liszt était adulé des foules et provoquait des scènes d'intense frénésie partout où il se produisait. La presse évoque cette « Lisztomania » délirante. 

La rançon de la gloire ? Le Hongrois Franz Liszt (1811-1886), compositeur et pianiste virtuose, était célèbre pour l'intensité exceptionnelle de ses concerts et la fascination qu'il exerçait sur le public. Celui-ci, transporté par la puissance du jeu de celui qui fut le père de la technique pianistique moderne, vouait à Liszt un véritable culte. L'écrivain allemand Heinrich Heine parlera à ce sujet de « Lisztomania ».

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Ces manifestations parfois proches de l'hystérie débutèrent lors de sa tournée européenne, entamée en 1839 et poursuivie pendant huit ans. La presse de l'époque est éloquente. Les Annales politiques et littéraires du 14 janvier 1839 décrivent par exemple un concert de Liszt à Florence, devant un grand-duc de Toscane bouleversé :

« Une fois au piano, cet être si frêle et si timide oublie tout ce qui l'entoure ; sa musique, sa seule passion, lui porte à la tête et au cœur [...]. Rien n'est étrange comme de voir cet homme presque droit, la tête haute, les yeux fermés, les deux mains tendues vers ce monde de sa création qu'il voudrait saisir, s'abandonner librement à un enthousiasme qui tient du délire. Dans quel livre mystérieux voit-il donc cette note qu'il joue ? À coup sûr nul ne le sait, pas même lui [...].

Il se mit donc au piano et il fut ravi dans son troisième ciel. Toute cette cour d'honnêtes gens d'esprit écoutait, bouche béante, cette harmonie inconnue. Lui cependant il n'était plus de ce monde […]. Et il joua tout ce qu'il voulut, oubliant toutes choses, la terre et le ciel, et il ne s'arrêta enfin que lorsqu'il eut jeté en dehors tout ce qu'il avait là dans la tête, là dans le cœur. »

En 1840, un journaliste relate dans La Quotidienne une représentation du virtuose donnée devant quelques happy few, dans une soirée parisienne. Même émerveillement :

 

« Une foule de femmes élégantes se presse autour du piano. Partout la joie, l’intérêt, la curiosité. On dirait une réunion de famille venue là tout exprès pour fêter le retour de l’enfant bien-aimé [...].

Que dirons-nous maintenant de l’exécution de M. Liszt, que dire de cette rapidité merveilleuse, de ces larges et splendides accords, de ces tissus harmoniques, de ces dentelles de sons (qu’on nous passe l’expression) si souples et si légères dont la mélodie s’enveloppe comme d’un voile transparent ? [...] L’effet qu’il a produit a été immense. »

La gloire de Liszt va aller croissante. À Berlin, le 27 décembre 1841, il donne un concert qui plonge la foule en transe. La Presse raconte :

« Le grand pianiste est l'objet à Berlin d'une admiration poussée jusqu'au délire. À peine a-t-on su qu'il était arrivé dans cette ville qu'une députation d'étudiants, en tête de laquelle marchaient les jeunes Hongrois, ses compatriotes, s'est empressée d'aller le féliciter [...].

Les Prussiens, depuis l'arrivée de Liszt à Berlin, ne sont pas reconnaissables. Ils applaudissent avec passion, avec transport, avec fureur, comme on n'applaudit plus qu'en Italie. »

Désormais, partout où il passe, des hordes d'admirateurs se pressent pour apercevoir le maître. Certains se battent pour récupérer un de ses gants ou un de ses mouchoirs. Les « fans » les plus extrêmes portent en permanence un portrait de lui en médaillon. Les femmes cherchent à obtenir une mèche de ses cheveux. Dès qu'il casse une corde de piano, de jeunes gens se précipitent pour la récupérer et s'en faire un bracelet.

En 1844, Le Ménestrel raconte avec humour l'arrivée du musicien à Marseille :

« Il est question, à Marseille, de relever le royaume de Provence, et d'offrir la royauté à Franz Liszt et ses descendants. Dès que Liszt est entré à Marseille, on a pu voir se manifester les premiers symptômes de ce dangereux mouvement. On avait dressé des arcs de triomphe aux portes de la ville, et un conseil municipal d'amateurs lui en avait offert les clés sur un plat d'argent [...].

Toute la nuit des sérénades ont retenti sous le balcon du grand pianiste. On en a compté cent soixante-quatorze, depuis huit heures du soir jusqu'à quatre heures du matin [...]. Après le premier concert de Liszt, la ville tout entière s'est soulevée. Deux cent mille âmes ont escorté Liszt jusqu'à son hôtel ; ces deux cent mille âmes criaient : “Vive le roi !”

Ce roi, c'était Franz Liszt. »

À la fin de sa vie, Liszt s'éloignera de la célébrité, se tournant vers la religion et menant une existence pieuse dans une petite maison de jardinier, où il donnera quelques cours de piano à de jeunes élèves. Il sera néanmoins vénéré dans toute l'Europe jusqu'à sa mort.

Considéré comme l'un des plus grands musiciens du XIXe siècle, il est aujourd'hui connu davantage pour ses compositions que pour ses prouesses pianistiques.