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1673 : l'enflammée « oraison funèbre » à la mort de Molière

le par

Molière mourant assisté de deux sœurs de la charité, P.A. Vafflard, 1806 - source : Gallica-BnF

Le 17 février 1673, à la fin de la quatrième représentation du Malade imaginaire au Palais royal, Molière meurt. Dans le Mercure Galant son ami Jean Donneau de Visé, fondateur de la revue, se livre à un long et lyrique exercice d'adieu à l'« illustre défunt ». Nous publions ici son début.

On apprend l'histoire à l'école : à peine les rideaux tombent que Molière, arrivé chez lui, est pris d'une violente quinte de toux. Elle lui est fatale.

Malgré l'émoi que suscite sa mort et l'immense célébrité dont il jouit, Molière est dramaturge et comme tous les gens de théâtre, il est de fait excommunié. On l'enterre donc de nuit au Père Lachaise, sans cérémonie. Et s'il échappe à la fosse commune, ce n'est que grâce à l'intervention expresse du roi Louis XIV. A son inhumation, parmi nombre de proches, on y croise le « sieur » Jean Donneau de Visé, célèbre polémiste mondain, critique et fondateur de la première revue mensuelle en langue française Le Mercure Galant, qui deviendra bientôt Le Mercure de France.

Dans celle-ci, de Visé se livre à une longue supplique, une véritable « oraison funèbre » en l'honneur du disparu, mêlant réalité et fantaisie, douleur et joie, et utilisant, comme un dernier hommage au maître, la trame narrative d'une pièce de théâtre.

[...] Toute la compagnie se preparoit à parler d'autre chose, lorsqu’un homme qui avoit accoustumé de venir dans cette ruelle parla de la mort de Molière, dont on s'estoit déjà entretenu quelques jours auparavant.  Il estoit illustre de plusieurs manières, et sa réputation peut égaler celle du fameux Roscius, ce grand comédien si renommé dans l'antiquité, et qui méritoit cette belle harangue qu'il récita dans le sénat pour ses intérests.

Le regret que le plus grand des roys a fait paroistre de sa mort est une marque incontestable de son mérite. Il avoit trouvé l'art de faire voir les defauts de tout le monde sans qu'on s’en pût offenser, et les peignoit au naturel dans les comédies qu'il composoit encor avec plus de succez qu'il ne les récitoit, quoy qu'il excelât dans l'un et dans l'autre. C'est luy qui a remis le comique dans son premier éclat, et depuis Térence personne n'avoit pû légitimement prétendre à cet avantage. Il a le premier inventé la manière de mêler des scènes de musique et des ballets dans les comédies, et il avoit trouvé par là un nouveau secret de plaire qui avoit esté jusqu'alors inconnu, et qui a donné lieu en France à ces fameux opéras qui font aujourd’huy tant de bruit, et dont la magnificence des spectacles n'empesche pas qu'on ne le regrette tous les jours.

J'eus à peine achevé de parler du mérite de cet autheur, qu'une personne de la compagnie tira quelques pièces de vers qui regardoient cet illustre défunt. Plusieurs en lûrent haut, et les autres bas.

Voicy ce qui fut entendu de toute la compagnie.

PIÈCE DE VERS SUR LA MORT DE MOLIÈRE

Si dans son art c'est être un ouvrier parfait

Que sçavoir trait pour trait

Imiter la nature,

Molière doit passer pour tel :

Mic...

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