Au mois de janvier dernier, le président Emmanuel Macron annonçait un grand plan de rénovation du Louvre, lequel doit s’étendre, selon ses dires, sur dix à quinze ans.
Ancien palais royal, le Louvre abritait déjà, sous les Bourbons, une partie des collections royales et hébergeait les travaux de nombreux artistes. Cette large collection est ouverte au public à la Révolution et devient musée par décret de la Convention en 1793. Ce sont les architectes de Napoléon III Visconti et Lefuel qui achèvent les travaux, bâtissant une aile entre le Louvre et les Tuileries – projet déjà envisagé sous Louis XIV ! – et terminant ainsi le « Grand Dessein » entamé plus de deux siècles plus tôt.
Débuté au mois de juillet 1852 dans le sillage des grands travaux d’Haussmann, le Grand Louvre est achevé cinq ans plus tard, en 1857. Relier les deux bâtiments ne fut pas sans difficulté : bâtis selon la courbe de la Seine, ils ne se trouvent pas sur le même axe ; les architectes se voient contraints de prolonger artificiellement la rue de Rivoli jusqu’aux Tuileries, résidence de l’empereur.
Le 15 août, au lendemain de l’inauguration, le Mémorial de la Loire et de la Haute Loire, journal catholique favorable au régime, dresse un panégyrique de l'événement et rapporte le discours solennel de Napoléon III. De son aveu, le Louvre symbolise toute la grandeur et la modernité du Second Empire, et avec lui, bien sûr, de la France « éternelle », monarchique autant que républicaine…
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FÊTE DU 15 AOÛT
INAUGURATION DU LOUVRE
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Le Louvre est terminé. Ce grand monument populaire qui semble personnifier la puissance du pays et dont l'achèvement a toujours été considéré comme une question de dignité nationale, étale enfin aux regards sa noble magnificence. Cinq années auront suffi pour terminer une œuvre devant laquelle ont reculé cinq générations.
Comment n’être pas frappé d’un tel résultat, résultat d’autant plus remarquable que pour l'obtenir il a fallu conjurer les effets d’une guerre gigantesque et coûteuse et ceux plus terribles encore d’une crise alimentaire dont l’histoire offre peu d’exemple. Il y a là, sans contredit, de quoi suffire à l'illustration d’un règne, si glorieux déjà ; aussi, une solennité ayant pour objet l’inauguration de ce Palladium de la France ne peut-elle pas demeurer inaperçue. Cette solennité, d'ailleurs, a eu ce caractère de noble simplicité qui convient aux grandes choses. Nous en donnons le récit que nous empruntons à la plume compétente de M. J. Arnoux, chargé de la critique artistique dans le journal la Patrie :
C’est aujourd’hui que Napoléon III inaugure le Louvre achevé.
Ces seules paroles réveillent dans l’esprit tout un monde d'idées, alors même que, s’en tenant aux deux inscriptions gravées en lettres d’or sur les tables de marbre noir du pavillon Sully, on se renferme dans nos trois derniers siècles sans remonter à Charles V, et, plus haut encore, à Philippe-Auguste.
Là, depuis le vainqueur de Bovines, s'est élaboré notre histoire ; là a battu le cœur de la France ; là son cerveau s’est développé ; là s’est formé son génie ; là, depuis François 1er, tous nos grands hommes sont venus vivre, penser, créer ; là, après leur mort, ils ont laissé d’eux une image peinte ou sculptée ; delà, enfin, comme d’une urne intarissable, coule, en se renouvelant sans cesse, celle merveilleuse paligénésie française qui semble faire de notre patrie le grand peuple éternel.
Mais, que dis-je ? Est-ce donc à la France seulement qu’appartient ce glorieux Louvre ? Non, c’est à l’élite de l'humanité. Tous les peuples qui ont une histoire y sont représentés par ce qu’ils ont de plus illustre : c’est le sanctuaire du génie humain. Et cependant trois cents ans de travaux n’ont pas suffi à l’achèvement de cet édifice ; il a fallu, pour que sa clef de voute fût posée, qu’un de ces hommes que Dieu appelle à régner, vint et prononçât son Fiat. Ce que François Ier, Henri II, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, la République, le premier Empire, tour à tour aidés de Pierre Lescot, d’Androuet du Cerceau, d’Etienne Duperac, de Jacques Lemercier, de Louis Levau, du Bernin, de Claude Perrault, de Gabriel, de Soufflot, de Percier et de Fontaine n’ont pu faire en tant de règnes, Napoléon III, secondé par Visconti et Lefuel, l’a accompli en cinq années.
Si le fait était éloigné de nous et qu’il nous fût transmis par l’histoire, on aurait le droit d’en douter ; mais le prodige est sous nos yeux, et, tous, nous l’avons vu s'opérer.
Cet immense résultat, vous pouvez le juger comme vous voudrez, mais il existe !
Par cela seul qu’il existe, il est admirable.
Mais grâce à Dieu et à notre grande école d’art, il a d’autres titres à l’admiration.
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Rien d’imposant, en effet, comme cet ensemble de constructions qui, de la face occidentale du vieux Louvre, s’avancent avec leurs riches pavillons, leurs galeries et leurs colonnades, jusqu’au milieu du Carrousel, et vont rejoindre à angle droit les deux longues ailes de Rivoli et du quai.
Du milieu de la cour que ces monuments laissent entre eux, le spectateur jouit d’un spectacle vraiment majestueux, et jamais la sculpture n’a fait à l’œil une plus splendide fête.
Du haut du pavillon central et dominant tout par la place et par la beauté, apparaît le Fronton de Barye. Là, entre les muses de l’histoire et de la poésie, la tête colossale de Napoléon Ier, une étoile au front, couronnée de laurier, regarde avec une sereine complaisance la réalisation de ses rêves les plus chers, et sourit au cortège des grandes figures rangées autour de lui ; et à son neveu qui passe et vient remercier, au nom de la France, cette vaillante phalange d'artistes et d’ouvriers avec le génie et la main desquels il a couronné son œuvre géante.
Cependant, dans la galerie du premier étage qui s’étend du pavillon Mollien au pavillon Denon, une illustre assemblée, composée de dames en riche toilette, des ministres, des maréchaux, du cardinal archevêque, des grands corps de l’Etat, des corps constitués tous un costume officiel, attend Napoléon III.
Les artistes, les ouvriers, en habit noir, occupent les banquettes placées au milieu de la salle.
A deux heures précises, le tambour bat aux champs ; le canon résonne avec les acclamations de la foule.
Puis tout à coup le silence se fait, et la voix de l’huissier crie :
L’Empereur !
Leurs Majestés l’Empereur et l’Impératrice entrent au milieu des vivats qui éclatent sur leur passage, et vont s’asseoir sur les fauteuils préparés sur l’estrade.
Alors, M. le ministre d’Etat, averti par le maître des cérémonies, se lève et, s’adressant à l’Empereur, lit à Sa Majesté un rapide compte-rendu des travaux du Louvre. Quelques mots de regrets adressés à la mémoire de Visconti et de Simart, produisent sur l’auditoire une vive sensation.
Puis, M. Achille Fould a nommé à haute voix les artistes et les ouvriers qui ont mérité des récompenses par leur talent, leur zèle et la part qu’ils ont prise à l’achèvement du monument.
A mesure qu’un nom est prononcé, le lauréat vient recevoir sa récompense des mains de l'Empereur.
Après M. Lefuel, nommé officier de la Légion d’Honneur, et Piot, Bosio, Jacquot, Maret et Darand, faits chevaliers, on voit paraître tour à tour pour recevoir des médailles, MM. Arnould, Barral, Bazin, Bernard, Gourgaud , Comperot, Davin, de Marigny, Denis, Divet, Drouat, Duvieux, Darand, Duval, Duvieux père, Baudrot, Cory, Garand, Gandron, Girard, Jacquet, Jousse, Khetch, Comte, Lemaire, Lehunann, Normand, Lorezi, Martin, Misson, Montariol, Moraad, Roux, Sourd, Thierry, Vincent, Valette, Verei, Damas.
La distribution terminée, l’Empereur, de cette voix vibrante et accentuée que nous lui connaissons tous, laisse tomber de ses lèvres une grande page d’histoire, où il mêle avec son bonheur d’expression accoutumé, la politique à l’art.
Les chaleureux applaudissements qui avaient accueilli ce discours, résonnaient encore, quand Leurs Majestés, quittant leurs sièges, sortent de la salie, suivies des princes et princesses de la famille impériale et de tout leur cortège. Elles traversent la cour du Louvre, le guichet de la colonnade, la rue de Rivoli, le pavillon Richelieu, la place du Carroussel et rentrent aux Tuileries.
La journée est bonne : nous la devons à l’énergique génie qui gouverne la France, et aussi à la vaillante école française, la seule actuellement existante, à l’aide de laquelle on peut achever un Louvre en un lustre. — J.-J. Arnoux.
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Voici le discours prononcé hier par S. M. l’Empereur à l’inauguration du nouveau Louvre :
Messieurs,
Je me félicite avec vous de l'achèvement du Louvre ; je me félicite surtout des causes qui l'ont rendu possible. Ce sont, en effet, l'ordre, la stabilité rétablis et la prospérité toujours croissante du pays qui m’ont permis de terminer cette œuvre nationale. Je l’appelle ainsi, puisque tous les gouvernements qui se sont succédés ont tenu à honneur de finir la demeure royale commencée par François Ier, embellie par Henri II.
D’où vient cette persévérance et même cette popularité pour l’exécution d’un palais ? C’est que le caractère d’un peuple se reflète dans ses institutions comme dans ses mœurs, dans les faits qui l’enthousiasment comme dans les monuments qui deviennent l’objet de son intérêt principal. Or, la France, monarchique depuis tant de siècles, qui voyait sans cesse dans le pouvoir central le représentant de sa grandeur et de sa nationalité, voulait que la demeure du souverain fût digne du pays, et le meilleur moyen de répondre à ce sentiment était d’entourer cette demeure des chefs-d’œuvre divers de l’intelligence humaine.
Au moyen-âge, le roi habitait une forteresse hérissée de moyens de défense. Bientôt les progrès de la civilisation remplacèrent les créneaux et les armes de guerre par les produits des sciences, des lettres et des arts.
Aussi l’histoire des monuments a-t-elle sa philosophie comme l’histoire des faits.
De même qu’il est remarquable que sous la première révolution le Comité de salut public avait continué, à son insu, l’œuvre de Louis XI, de Richelieu , de Louis XIV, en portant le dernier coup à la féodalité et en poursuivant le système d’unité et de centralisation, but constant de la monarchie, de même n’y a-t-il pas un grand enseignement à voir pour le Louvre la pensée de Henri IV, de Louis XIII, de Louis XIV, de Louis XV, de Louis XVI, de Napoléon , adoptée par le pouvoir éphémère de 1848 ?
L’un des premiers actes, en effet, du Gouvernement provisoire fut de décréter l’achèvement du palais de nos rois, tant il est vrai qu’une nation puise dans ses antécédents, comme un individu dans son éducation, des idées que les passions du moment ne parviennent pas à détruire. Lorsqu'une impulsion morale est la conséquence de l’état social d’un pays, elle se transmet à travers les siècles et les formes diverses des gouvernements, jusqu’à ce qu’elle atteigne le but proposé.
Aussi l’achèvement du Louvre, auquel je vous rends grâce d’avoir concouru avec tant de zèle et d’habileté, n’est pas le caprice d’un moment, c’est la réalisation d'un plan conçu par la gloire et soutenu par l’instinct du pays pendant plus de trois cents ans.
L’assemblée, dont l’émotion s’était manifestée à plusieurs reprises pendant la durée du discours, répondit à ces nobles paroles par les cris mille fois répétés de : Vive l’Empereur !