Interview

Voir et (ne plus) être vues : les femmes au théâtre, histoire d’un effacement

le par

Spectatrices d'une scène de théâtre, dessin de Maurice Lourdey, circa 1900 - source : Gallica-BnF

Selon la chercheuse Véronique Lochert, « il y a toujours eu une interrogation sur la légitimité morale et sociale des femmes à aller au théâtre ». Retour sur une forme de domination oubliée bien qu’évidente depuis le début des spectacles vivants.

Véronique Lochert est normalienne, agrégée de lettres modernes, et maîtresse de conférences en littérature comparée à l'université de Haute-Alsace. Ses travaux portent sur l'étude du public féminin qui fréquentait les théâtres en Europe aux XVIe et XVIIe siècles. En collaboration avec les historiennes Marie Bouhaïk-Gironès et Mélanie Traversier, ainsi qu'avec les spécialistes des études portant sur le théâtre Céline Candiard, Fabien Cavaillé et Jeanne-Marie Hostiou, elle vient de publier Spectatrices ! aux éditions du CNRS, une enquête inédite mettant en lumière les traces que les femmes ont laissées à travers l'Histoire dans les salles de spectacle.

Propos recueillis par Antoine Pagès

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RetroNews : Comment avez-vous travaillé sur le sujet des femmes au théâtre ?  Sur quelles sources vous êtes-vous appuyés, puisque vous remontez jusqu'à l'Antiquité ?

Véronique Lochert : Pour nous, il s'agissait de rappeler que les femmes ont fait partie intégrante du public qui se rendait aux représentations du spectacle vivant, et ce depuis les origines de ce type de manifestation. Pendant longtemps, cette présence a été négligée, et même oubliée. Il s'agissait donc de la rendre sensible et visible, et d'interroger le rôle que ces femmes ont pu jouer dans le développement de la pratique théâtrale, et dans la forme même que les spectacles ont pris à travers le temps.

Pour cette raison, la question des sources a été le point central de cette enquête. Comme l'on peut s'en douter, les traces laissées par ces femmes varient énormément en fonction des époques auxquelles nous nous sommes intéressées. Une des choses qui nous a le plus  frappé, c'est que bien qu'il nous semblait plus difficile de trouver des sources antiques ou médiévales documentant les pratiques des spectatrices, les spécialistes des XIXe et XXe siècle nous ont dit qu'ils avaient également eu du mal à mettre la main sur des éléments d'information pour révéler ce que les femmes ont pu ressentir au spectacle !

De ce fait, pour remonter le fil des siècles, il nous a fallu exploiter des archives très variées et prendre en considération tout ce que nous pouvions trouver. Pour l'antiquité, il y avait les sources archéologiques, à savoir les bâtiments et les salles de spectacle qui sont parvenus jusqu'à nous. Cette architecture des théâtres est un repère important tout au long de l'histoire du spectacle vivant pour comprendre le statut des spectatrices : elle nous indique où celles-ci étaient placées, et par extension, comment elles étaient considérées. Ensuite, il y avait toute une série de sources textuelles : l'iconographie, la presse, les écrits, les mémoires, les correspondances...

Cette grande variété de documents a compensé la rareté des traces laissées par les spectatrices elles-mêmes. Il nous a fallu multiplier les investigations pour essayer de trouver quelques indices sur ces femmes.

Comment expliquer que la présence des spectatrices ait ét...

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