Interview

Le « Merveilleux-scientifique », retour sur un genre littéraire oublié

Maurice Renard, L’Homme truqué, couv. de Louis Bailly, Paris, Pierre Lafitte, « Idéal-Bibliothèque », 1923 - source : BnF

A rebours d’une conception uniquement divertissante de la littérature « scientifique » incarnée par Jules Verne, le merveilleux-scientifique français se voulait, au début du XXe siècle, un mode de fiction sérieux rendant compte des nouvelles possibilités offertes par la science – annonçant certains récits plus tardifs de science-fiction.

Narrant des récits mettant en scène des hommes augmentés et des machines extraordinaires, le merveilleux-scientifique avait, au début du XXe siècle en France, les honneurs de la presse à grand tirage. Jean de la Hire publiait notamment ses textes en feuilleton dans les colonnes du Matin. Pourtant, ce genre a été en grande partie oublié aujourd’hui.

Fleur Hopkins-Loféron vient fort heureusement de lui consacrer un livre, (Voir l’invisible. Histoire visuelle du mouvement merveilleux-scientifique (1909-1930) , (Champ Vallon, 2023) et a accepté de nous éclairer sur ce qu’elle appelle une « Atlantide littéraire ».

Propos recueillis par William Blanc

RetroNews : Dans une publicité pour La Roue Fulgurante de Jean de la Hire dans les colonnes du Matin, on explique qu’« EDGAR POE a créé le roman fantastique. JULES VERNE a vulgarisé le roman d’aventures. H.G. WELLS a renouvelé le roman scientifique. Avec LA ROUE FULGURANTE, JEAN DE LA HIRE les synthétise tous les trois et de plus il n’oublie pas que, sans l’amour, les merveilles de la science et la fantasmagorie des aventures ne sont qu’un leurre ». Est-ce une bonne définition du merveilleux-scientifique ? 

Fleur Hopkins-Loféron : Jean de la Hire constitue un cas bien particulier, car Le Matin façonne une expression qui lui est propre, « roman scientifique d’aventures », pour la sortie de La Roue fulgurante en 1908. Destinée à concurrencer celle de « roman scientifique » présente dans La Science illustrée tout en mettant en évidence le rythme haletant et souvent enchevêtré de ses romans-feuilletons, elle ne sera que rarement réemployée par la suite, exception faite du Petit Parisien.

Si je devais donner une définition du merveilleux-scientifique, je partirais plutôt de celle de l’auteur champenois Maurice Renard (qui précisions-le, n’a pas inventé le terme). Renard publie en effet en octobre 1909, dans Le Spectateur, un texte qu’il qualifie de « manifeste », de « profession de foi ». Il déclare que se développe depuis un certain temps une littérature qu’on pourrait qualifier de « merveilleux-scientifique », dont il n’est pas le fondateur, mais plutôt le prosélyte. Il cite à l’appui certains de ces prédécesseurs (comme Auguste de Villiers de l’Isle-Adam avec L’Ève Future en 1885-1886, Robert-Louis Stevenson avec L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde en 1886 ou H. G. Wells dès La Machine à explorer le temps en 1895), mais aussi plusieurs homologues contemporains (comme Jules Hoche ou André Couvreur).

Reste que dans son texte, il y a un ennemi déclaré, et c’est Jules Verne, qu’il affirme vouloir « démolir ». Pourquoi ? Disons qu’il voit en Verne un auteur prolixe qui écrit des œuvres de divertissement, plutôt à destination de la jeunesse, dans une démarche didactique et pédagogique, en décalage parfait avec son projet qui se propose comme une nourriture pour l’esprit, une réflexion philosophique sur la nature humaine à travers l’exploration des transformations scientifiques, technologiques et pseudoscientifiques de son temps.

Renard s’oppose-t-il à Verne sur d’autres points ?

Oui, et c’est en partie à partir de cette opposition qu’on peut définir le merveilleux-scientifique. Dans le roman d’aventures scientifiques de Verne, on fait le tour du globe, on traverse des terres hostiles, on extrapole sur des innovations scientifiques déjà en germe comme le sous-marin. Chez Maurice Renard, au contraire, on fait ce qu’il appelle un « voyage immobile ». Nul besoin de déterritorialiser son personnage. Il le c...

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