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La parution de La Force Noire en 1910

le par - modifié le 07/09/2022
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Le lieutenant-colonel Mangin publie en 1910 La Force noire, dans lequel il promeut et théorise les usages des troupes africaines dans l’armée française. Leur mobilisation massive durant la première guerre mondiale constitue un tournant dans les rapports entre la métropole et ses colonies africaines. 

Mangin, le théoricien de la « force noire »

La mobilisation de troupes africaines dans l’armée française n’est pas un phénomène récent ; elles ont même un rôle important dans l’expansion coloniale. Dès le 21 juillet 1857 par le décret de Plombières, le gouverneur du Sénégal, le général Faidherbe, obtient de Napoléon III un statut officiel pour les soldats africains regroupés dans un bataillon dit de « tirailleurs sénégalais » (terme générique pour parler des soldats indigènes).

Le tour de force du lieutenant-colonel Mangin dans La force noire (1910), est de promouvoir un usage massif des troupes africaines dans un contexte de rivalités exacerbées entre la France et l’Allemagne. En effet, inquiet par la faiblesse démographique française face à l’Allemagne, il voit dans l’Afrique coloniale un réservoir inépuisable de soldats, « constituant une incomparable puissance de choc ».

Il s’agit de former des troupes africaines aptes à occuper l’Afrique du Nord pour déplacer aux frontières de l’Est les forces de souveraineté du Maghreb (légion étrangère, zouaves, chasseurs africains). Il envisage même que les unités indigènes puissent assurer la défense du territoire métropolitain en cas de guerre contre l’Allemagne. 

La force noire, Lieutenant-colonel Mangin, Hachette, 1910 - source : Gallica-BnF

L’intense campagne de presse du « lobby Mangin », reflet du colonialisme ambiant

Amiens, troupes noires ; Agence Roll, 1914 - source : Gallica-BnF

Porté par le “lobby” colonial métropolitain, ce projet conforte la certitude de disposer en Afrique noire, d’un inépuisable réservoir d’hommes et de ressources. Mangin déploie une stratégie de communication pour convaincre les parlementaires et l’Etat-major. Il est soutenu en cela par des politiques, des cadres militaires coloniaux et l’essentiel des journaux de l’époque comme Le Petit journal,  Le Matin,  Le Temps et  Le Journal. Parmi les grands quotidiens, seul L’Humanité de Jaurès s’y oppose fermement.

De nombreux articles sont publiés sur la question des « troupes noires » dans un contexte de participation des tirailleurs sénégalais aux campagnes de « pacification » du Maroc (1908-1914).

Glorifiant les hauts faits de guerre des troupes coloniales à l'image du Matin, les journaux participent au développement dans l’opinion publique de stéréotypes sur le guerrier africain rustique, solide et fidèle - dont la publicité Banania en 1915 en est un exemple. Le 14 juillet 1913, le président de la République Raymond Poincaré remet la légion d’honneur au drapeau du 1er régiment de tirailleurs sénégalais.

Toutefois l’Etat-major exprime des réserves sur leur engagement en masse à la veille de la guerre. Ainsi seuls 30.000 soldats africains ont été recrutés et formés à la veille de la guerre. Mais cela inspira le général Théophile Pennequin qui fut le promoteur d’une « force jaune », composée de troupes indochinoises.

Le petit journal. Supplément du dimanche, 13 juillet 1913 ; Défilé des troupes coloniales lors du 14 juillet, 1913 - source : Gallica-BnF

Les troupes africaines durant la Grande guerre

Selon l’historien Marc Michel, environ 190.000 soldats africains sont mobilisés sur toute la période de la guerre. Ils sont engagés dès le début du conflit sur les principaux théâtres d’opération du front de l’Est (Verdun, Somme) mais aussi dans les Dardanelles.

Le Chemin des Dames en avril 1917 constitue une bataille tragique pour les troupes africaines : on estime que, sur les 16000 « Sénégalais » engagés, les pertes atteignent les 45 % le premier jour de l’offensive Nivelle. Le général Mangin avait réclamé « ses » soldats africains pour cette offensive.

Partisan d’une stratégie offensive et peu économe en hommes, il fut qualifié de « broyeur de noirs ». Mais l’image de Mangin restait celle d’un héros de guerre dans la plupart des biographies publiées à la fin de la guerre et à sa mort, en particulier dans les publications du Petit Journal. Supplément du dimanche des 11 août 1918 et  23 mars 1919, les journaux populaires et ceux d'extrême-droite comme L'Écho de Paris.

On compte 29.000 tués ou disparus (22,3 % des effectifs). Ce taux de perte équivaut à celui de l’infanterie métropolitaine ce qui contredit la légende des troupes noires utilisées comme « chair à canon ». Toutefois les pertes de « tirailleurs sénégalais » connaissent une forte progression, atteignant leur acmé en 1918. « En versant le même sang, vous gagnerez les mêmes droits », une promesse que la République ne tiendra pas à la sortie de la guerre.

Charles Mangin (1866-1925)

Né à Sarrebourg dans une famille bourgeoise très catholique ayant « opté » pour la France, il est obsédé par la frontière de l’Est et le danger allemand. Après une formation à Saint-Cyr, il participe à la Mission Congo-Nil menée par le capitaine Marchand et à d’autres opérations en Afrique qui l’amènent à développer un plaidoyer pour l’utilisation des troupes africaines dans l’armée française. Devenu général en 1914, est à la tête de la VIe Armée en 1917 puis, après sa disgrâce consécutive à l’échec du Chemin des Dames, de la Xe Armée en 1918. Partisan de la guerre à outrance, c’est un adversaire de la stratégie de Pétain. Il commande les troupes d’occupation de la Rhénanie (1919-1920). 

Général Mangin ; Agence Roll, 1915 - source: Gallica-BnF

Les tirailleurs sénégalais (1857-1960), Empire Colonial Français

Emission « Les tirailleurs sénégalais », 2000 ans d’histoire » de Patrice Gélinet, avec Eric Deroo.

Bibliographie

 

Antoine Champeaux, Eric Deroo, La force noire : gloires et infortunes d’une légende coloniale, Tallandier, Paris, 2005.


Charles Mangin, La force noire, Hachette, Paris, 1910.


Marc Michel, Les Africains et la Grande guerre. L’appel à l’Afrique, Karthalal, Paris, 2003.


Pap N’Diaye, « Les soldats noirs de la République » dans L’Histoire, n°377 (décembre 2008), p.82-89