Écho de presse

Quand Victor Hugo exaltait la colonisation de l'Afrique

le 15/12/2022 par Pierre Ancery
le 19/04/2018 par Pierre Ancery - modifié le 15/12/2022
Carte de l'Afrique, par le Dr Joseph Chavanne, 1879 - source Gallica BnF

Dans un discours tenu en 1879, Victor Hugo approuve avec lyrisme la colonisation de l'Afrique par les puissances européennes. Une position banale en cette fin de XIXe siècle.

18 mai 1879. Victor Hugo a 77 ans et il est reconnu presque unanimement comme le plus grand écrivain français du XIXe siècle. Politiquement, l'auteur des Misérables est par ailleurs perçu comme un progressiste, un défenseur du droit des faibles et des opprimés.

 

Aussi, lorsqu'il prend la parole ce jour-là devant 120 personnes, dont Victor Schoelcher, lors d'un banquet commémorant l'abolition de l'esclavage, son discours sur la colonisation est écouté et applaudi comme celui d'un homme de gauche. Quand bien même il y exalte sans aucune ambiguïté la colonisation de l'Afrique par les puissances européennes.

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Car les paroles que prononcent Victor Hugo, aussi choquantes qu'elles puissent paraître au lecteur du XXIe siècle, sont parfaitement représentatives du discours dominant sur l'Afrique tenu par l'élite française en ce début de IIIe République. C'est un discours alors consensuel : celui de la nécessaire « mission civilisatrice » de ce qu'il nomme la « race humaine blanche » sur la « race humaine noire ».

 

Après avoir rendu hommage à son voisin de table Schoelcher, l'homme de l'abolition de l'esclavage, Hugo commence :

 

« Messieurs, le moment actuel sera compté dans ce siècle : c'est un point d'arrivée, c'est un point de départ ; il a sa physionomie ; au nord le despotisme, au sud la liberté ; au nord la tempête, au sud l'apaisement [...].

 

Demandons-nous ce que fera le vingtième siècle. Politiquement, vous le savez. Je n'ai pas besoin de vous le dire. Géographiquement, permettez que je me borne à cette indication, la destinée des hommes est au sud.

 

Le moment est venu de donner au vieux monde cet avertissement : il faut être un nouveau monde. Le moment est venu de faire remarquer à l’Europe qu’elle a à côté d’elle l’Afrique [...].

 

La Méditerranée est un lac de civilisation ; ce n’est certes pas pour rien que la Méditerranée a sur l’un de ses bords le vieil univers et sur l’autre l’univers ignoré, c’est-à-dire d’un côté toute la civilisation et de l’autre toute la barbarie. »

Commence alors une apologie morale de la mission colonisatrice des « grands peuples libres » (France, Angleterre, Italie...) vis-à-vis de l'Afrique :

 

« Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire ; l’Afrique n’a pas d’histoire [...].

 

Il semble que voir l’Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil est un excès de nuit. Eh bien, cet effroi va disparaître.

 

Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples libres, la France et l’Angleterre, ont saisi l’Afrique ; la France la tient par l’ouest et par le nord ; l’Angleterre la tient par l’est et par le midi. Voici que l’Italie accepte sa part de ce travail colossal. L’Amérique joint ses efforts aux nôtres ; car l’unité des peuples se révèle en tout.

 

L’Afrique importe à l’univers. Une telle suppression de mouvement et de circulation entrave la vie universelle, et la marche humaine ne peut s’accommoder plus longtemps d’un cinquième du globe paralysé. »

Victor Hugo décrit ensuite l'Afrique comme une étendue quasi vierge, presque étrangère à toute humanité, une terre de « légende vaste et obscure » :

 

« De hardis pionniers se sont risqués, et, dès leurs premiers pas, ce sol étrange est apparu réel ; ces paysages lunaires deviennent des paysages terrestres. La France est prête à y apporter une mer.

 

Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie. »

 

Il conclut :

 

« Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra.

 

Allez, Peuples ! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? À personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. (Applaudissements prolongés.)

 

Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ; et que, sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté ! »

 

Au cours de sa vie, Victor Hugo s'exprima très peu sur le sujet. Conscient, à l'instar d'un Tocqueville, du caractère sanglant des conquêtes françaises en Afrique, il ne les condamna jamais ouvertement.

 

Il garda ainsi le silence sur la colonisation de l'Algérie, qui fut la principale aventure coloniale de son temps, et ne s'exprima pas davantage lorsque, deux ans après ce discours, en décembre 1881, la France fit conquête de la Tunisie.