Écho de presse

Conquête de la Tunisie par la France : le prétexte de l'insécurité à la frontière

le 01/03/2021 par Michèle Pedinielli
le 25/07/2019 par Michèle Pedinielli - modifié le 01/03/2021
« Expédition française à la frontière tunisienne : embarquement des troupes sur « l’abd-el-xader » et la « Ville-d’Oran », à Marseille » - source : Gallica-BnF

En 1881, le gouvernement français utilise le prétexte de troubles à la frontière algero-tunisienne pour lancer une offensive en Tunisie. C’est le début d’un protectorat qui durera jusqu’en 1956.

Au début de l’année 1881, des troubles éclatent à la frontière algéro-tunisienne entre deux peuples de la région : la tribu des Kroumirs et celle des Ouled Nahd en territoire algérien. Lors d’une incursion des Kroumirs en Algérie, six soldats français sont tués. Paris décide d’intervenir et lance une offensive pour garantir l’intégrité du territoire de la France.

Officiellement, il n’est absolument pas question d’une conquête de la Tunisie.

« Le gouvernement, a dit M. Jules Ferry, " veut mettre un terme à une situation qui est absolument intolérable " ; il châtiera les Kroumirs, et ce sera tout. Il ne " cherche pas de conquêtes, s’est écrié M. Jules Ferry; il n’en a pas besoin "... Seulement, " il ira dans la répression militaire qui commence jusqu’au point où il faudra qu’il aille pour mettre à l’abri, d’une façon sérieuse et durable, la sécurité et l’avenir de celte France africaine ", l’Algérie. »

Les attaques françaises débutent le 24 avril : au nord, l’île de Tabarka est prise, le fort qui la défend est entièrement rasé et l’armée française y hisse le drapeau tricolore. Au sud et à l’ouest, les soldats se lancent à l’assaut des montagnes pour débusquer les Kroumirs avec plus ou moins de succès selon l’article mordant du Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire.

« Les résultats acquis sont sans doute honorables, mais peu brillants. Nous n’avons encore pu rencontrer en face l’ennemi que nous allions châtier.

Ces satanés Kroumirs disparaissent à notre approche, comme les brouillards du matin devant les rayons du soleil levant. Ou nous avait promis que nos vaillants soldats en trouveraient par milliers, au sommet du marabout de Sidi-AbdaIlah-ben-Djemel, montagne de mille mètres — mesure officielle — capables d’arrêter, six mois, les efforts d’une année entière.

Les bataillons des généraux Delebecque et Vincendon s’élancent, un beau matin, à l’assaut de ce formidable camp retranché et parviennent enfin à en atteindre le plateau. Qu’y trouvent-ils ? Le gardien d’une misérable petite grange, qualifiée de mosquée, assis gravement à la porte du sanctuaire, dont il est à la fois le concierge et le sacristain, et que le correspondant de la France, dans son exultation guerrière, traite de haut et appelle « ce fanatique. »

Quant aux dix mille autres Kroumirs, si étroitement cernés, pas un ! Ils avaient décampé, la nuit, dans la direction du mont Kef-Cheraga où ils nous attendent, disent les dépêches, pour nous livrer encore une grande bataille. Nous allons faire l’attaque, un de ces jours, qu’il ne pleuvra pas, des crêtes de cet autre oppidum, et nous y prendrons probablement un second Kroumir.

Le Kroumir de Sidi-Abdallah et le Kroumir de Kef-Cheraga feront deux Kroumirs. C’est bien quelque chose. Mais, pour une armée de 40,000 Français, confessons-le, il n’y a pas d’exagération. »

Le marabout de Sidi-Abdallah sera cependant pris le 8 mai. Pendant ce temps, le drapeau français flotte déjà sur le fortin de Tabarka pris par l’armée dans les premiers jours.

Pour l’Écho Rochelais, qui s’indigne du peu d’informations sur ces opérations (« Le vent, la pluie et la mer ont permis enfin, qu’on expédiât d’Algérie deux dépêches au gouvernement, deux dépêches sur les affaires de Tunisie, qui tiennent en suspens tout un pays, c’est peu ! C’est très peu. »), l’affaire est entendue, il s’agit bien d’une guerre en vue d’une future occupation du pays.

« À l’heure qu’il est, le drapeau français a remplacé l’étendard tunisien qui flottait sur les ruines des fortifications du fort de Tabarka enfin, la guerre, la vraie guerre est déclarée. Il ne s’agit plus de Kroumirs ; les Kroumirs ne se sont pas réfugiés dans la petite île de quelques centaines de mètres carrés qu’on vient de prendre...

Les Kroumirs sont bien loin dans leurs montagnes inaccessibles. C’est contre le drapeau tunisien que la Surveillante a lancé ses boulets, et si nous devions en croire certains renseignements particuliers, il ne se passera pas un temps bien long, avant qu’un corps expéditionnaire n’occupe Tunis même. »

Ce que confirment de nombreux journaux dont le Mémorial de la Loire et de la Hautre-Loire.

« Quoiqu’il en soit de plus ou moins d’exactitude de ces informations, il est évident que l’intérêt de la situation militaire s’est déplacé. Le pays proprement dit des problématiques Kroumirs n’est plus l'objectif principal de nos manœuvres stratégiques, mais bien la capitale de la Régence. Tout le monde comprend que la guerre doit avoir son dénouement au Bardo et pas ailleurs. »

Effectivement, la Tunisie est un enjeu pour plusieurs pays : la Turquie (qui y exerce une régence via un bey), l’Angleterre, l’Italie et la France. Le pays est sous la coupe de pays étrangers depuis 1869 quand une commission financière internationale (composée de deux Italiens, deux Anglais et deux Français) est mise en place pour en gérer les finances. Une lutte commerciale et diplomatique se joue sur la possession des trains tunisiens (dont le futur TGM construits par les Anglais et racheté par les Italiens) entre la France et l’Italie. Il s’agit bien, malgré les dénégations de Jules Ferry, d’une guerre de conquête.

La guerre sur terre est rapide, les villes importantes comme Le Kef sont prises les unes après les autres. Début mai, quatre navires français arrivent dans le port de Bizerte qui n’offre aucune résistance.

Le 12 mai, le général Jules Aimé Bréart, commandant des troupes françaises, se rend au palais de Ksar Saïd, au Bardo, dans la banlieue de Tunis, muni d’un traité qu’il fait signer à Sadok Bey. Celui-ci établit le protectorat de la France sur la Tunisie.

« Le traité, dont M. le président du conseil a fait connaître au sénat les données principales, attribue à la France le droit d'occuper les positions militaires où elle croira devoir s'établir ; le bey ne pourra conclure aucune convention internationale sans l'assentiment de notre gouvernement ; il s'engage à prohiber l'introduction des armes par la frontière méridionale de la Régence ; il nous abandonne le soin des intérêts tunisiens à l'étranger ; il confie à notre sauvegarde l'exécution des traités qui le lient avec les autres Etats, et met sa personne et sa dynastie sous notre protection. C'est la soumission absolue. »

En fait, le traité du Bardo est volontairement limité pour ne pas envenimer les relations avec Anglais et Italiens qui s’insurgent de cette mainmise sur le pays. En 1883, les Conventions de la Marsa établiront une domination totale de la France, supprimant toute marge d’action au bey de Tunis pour le soumettre aux décisions de Paris.

Après de nombreux soulèvements nationalistes au XXe siècle, la France reconnaît l’indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956. D’abord monarchie constitutionnelle, la Tunisie devient une république le 25 juillet 1957.