Interview

Images du Brésil des XIXe et XXe siècles, par Armelle Enders

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Estampe pour « La Perle du Brésil », pièce de théâtre, 1851 - source : Gallica-BnF

Entretien avec Armelle Enders, historienne spécialiste du Brésil, autour de plusieurs événements déterminants dans l'histoire du pays : sortie de l'esclavagisme, indépendance, et création de la république.

Armelle Enders est historienne et chercheuse à l’Institut d’histoire du Temps présent. Elle enseigne l’histoire contemporaine à l’université Paris-8-Vincennes-Saint-Denis. Spécialiste de l’histoire du Brésil contemporain, elle a publié Histoire de Rio de Janeiro (Fayard, 2000) et Plutarque au Brésil. Passé, héros et politique (1822-1922) aux Indes Savantes en 2012.

Avec elle, nous avons tenté d’éclaircir plusieurs grands moments de l’histoire du Brésil contemporain, de la fin du XVIIIe siècle colonial jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Propos recueillis par Julien Morel

RetroNews : Tout d’abord, à quoi ressemble le Brésil colonial jusqu’à 1808 et la fuite du roi du Portugal à Rio de Janeiro ?

Armelle Enders : L’Amérique portugaise reste longtemps, jusqu’au début du XXe siècle, un archipel de noyaux de peuplement, principalement côtiers, distants les uns des autres, mal reliés les unes aux autres, sinon par le cabotage. Elle ne forme donc en rien une unité et il faut oublier la forme massive du Brésil telle quelle apparaît sur les cartes actuelles. Les 3,3 millions d’habitants placée sous la souveraineté portugaise se concentrent sur les côtes. La seule région où la colonisation s’est avancée à l’intérieur du continent, à partir de la modeste bourgade de São Paulo, est la capitainerie du Minas Gerais, où sont exploitées les mines d’or et de diamant depuis l’extrême fin du XVIIe siècle.

Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « société brésilienne », mais des sociétés locales, avec chaque fois une composition particulière. En dehors des « sociétés esclavagistes » comme Rio de Janeiro, le Minas Gerais, Bahia, Pernambouc, où la présence des Africains et des Afro-descendants peut représenter localement plus de la moitié des habitants, les régions situées à l’écart des zones de plantations, comme l’intérieur du pays (São Paulo, par exemple) ou le nord amazonien, sont beaucoup plus marquées par la présence indigène.

Extrait d’une des nombreuses « lettres du Portugal » concernant le Brésil parues dans la presse française à la fin du XVIIIe siècle, Nouvelles politiques nationales et étrangères, 1796

Rappelons ce fait majeur : entre le XVIe siècle et le milieu du XIXe siècle, 5 millions d’Africains ont été déportés vers le seul Brésil. 45% du total ! Et c’est dans les années 1820 que le commerce des hommes est le plus intense. À Rio de Janeiro, par exemple, les esclaves représentent autour de 40% de la population de la ville dans les premières décennies du XIXe siècle. Les pardos (« libres de couleur ») constituent aussi un groupe numériquement important que les classes dirigeantes blanches considèrent comme redoutable pour l’ordre social. Dans les révoltes et émotions populaires du Brésil du XIXe siècle, les pardos jouent de fait un rôle primordial.

À quoi ressemblent justement les agitations qui animent le Brésil entre 1808 et son indépendance en 1822 ? Quelles sont les revendications des Brésiliens et d’où tirent-ils leurs « inspirations » politiques ?

Avant 1822, il n’y a que des Portugais du Brésil et certainement pas de « Brésiliens » au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Les autorités sont aux aguets contre la pénétration des « pernicieuses idées françaises » et démantèlent des conspirations comme celle dite « des tailleurs » à Salvador de Bahia en 1798. En 1815, le Brésil a été élevé au rang de royaume et la monarchie portugaise devient officiellement le Royaume-Uni du Portugal, du Brésil et des Algarves. En 1817, le soulèvement du Pernambouc, un mélange de révolte antifiscale et de régionalisme, est maté depuis Rio de Janeiro. Mais dans l’ensemble, l’Amérique portugaise est un havre de paix, si on la compare aux vice-royautés espagnoles voisines. La défiance envers la Révolution française, trop impie pour une société très catholique, et surtout la crainte d’une révolte des esclaves de type de celle de Saint-Domingue en 1791, renforcent la loyauté envers le roi.

Article revenant sur la révolte du Pernambouc, La Gazette nationale, 1817

L’étincelle est partie du Portugal. L’agitation au Brésil ne commence qu’à partir du moment où l’onde de choc de la Révolution portugaise (août-septembre 1820) commence à s’y répandre, au début de 1821. Les Portugais du Brésil se rallient avec enthousiasme à ce mouvement : ils veulent, comme leur compatriotes européens (désigné comme les « Portugais du Royaume »), une monarchie constitutionnelle et élisent des députés aux Cortes (états généraux devenus assemblée constituante) réunis à Lisbonne. Les troupes portugaises, en nombre important au Brésil en raison de la situation instable en Amérique du Sud, sont les plus ferventes partisanes de la Révolution portugaise (qui a commencé par un coup d’État militaire). Le grand modèle est le libéralisme espagnol et la constitution de Cadix de 1812, que les libéraux espagnols ont remis en vigueur à partir de ...

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