Interview

« La photographie a été l’un des outils de la domination coloniale »

le par

Photo extraite de "Paysages et types de mœurs du Sénégal", recueil de photos de Blaise Bonnevide, 1885 - source : Gallica-BnF

Dès la fin du XIXe siècle, l'appareil photo a été l'un des instruments privilégiés de l'expansion de l'Europe, servant non seulement à la documenter mais aussi à contrôler les populations colonisées. Entretien avec l'historien Daniel Foliard autour de son ouvrage Combattre, punir, photographier.

RetroNews : Comme vous le relevez dans votre livre, on s'imagine souvent que les conflits d'avant la Grande Guerre n'ont pas été documentés par la photographie, alors qu'en réalité, ils l’ont été dès la fin du XIXe. Peut-on considérer que l'appareil photo, dès lors qu'il devient abordable, devient aussi l’un des outils de l'expansion coloniale des Occidentaux ? 

Daniel Foliard : Il y a vraiment une articulation intime entre les deux. Dans les espaces où l’expansion des empires coloniaux est la plus intense, on va trouver des officiers, des médecins et des correspondants envoyés par des journaux pour couvrir des campagnes militaires qui vont utiliser très tôt la photographie de manière pionnière et parfois expérimentale. Ce sont des situations où l'équilibre des forces est très favorable aux forces mobilisées par les Européens, au point où il devient possible de prendre des photographies de combat pour certains participants. Les conflits qui éclatent régulièrement à la fin du XIXe siècle sur la frontière nord des Indes, dans le Pakistan actuel, donnent lieu à des couvertures photographiques qui seront extrêmement novatrices en termes esthétiques. On retrouve très tôt, dès les années 1860, des images en prise directe avec la bataille dans des albums privés.

Très vite, il va apparaître à beaucoup d’acteurs de l’expansion des empires coloniaux européens que la photographie est effectivement un outil. Tout d’abord parce qu’elle permet de construire une image de la colonisation qui soit encadrée par la technologie. La photographie d’une campagne publiée dans la presse de l’époque ne documente pas seulement des événements. Elle est en elle-même l’incarnation d’une modernité proclamée. On le voit bien dans la masse de photographies prises par les membres de la fameuse mission Marchand (1896-1898). On y documente une Afrique exoticisée, perçue comme primitive, mais avec un medium, la photographie, qui exprime en contraste une autre forme de supériorité supposée des Européens. De grands coloniaux comme Hubert Lyautey en France ou George Curzon en Grande-Bretagne vont ainsi très tôt comprendre l'utilité de la photographie comme outil de communication en direction des métropoles impériales.

Mais la photographie est aussi utilisée comme un outil au niveau local, dans les espaces colonisés ou en cours de colonisation. Cela peut passer par des expérimentations en matière d’identification de chefs ou de rebelles. Dans plusieurs cas, il s’agit aussi tout simplement d’utiliser l’appareil photographique lui-même comme une manifestation de la technologie et du pouvoir occidental. Les récits de l’époque regorgent ainsi de clichés sur des populations terrifiées par la présence de la chambre noire, parfois confondue avec une arme.

Précisément, quels sont l'objectif et la destination de ces photos ?

Il existe différents niveaux de circulation et d'utilisation. Une même image va avoir plusieurs significations en fonction de son insertion dans un album ou dans la presse – métropolitaine comme coloniale. Une large part de la production privée vise à construire une mémoire, un récit des expériences coloniales et guerrières. De nombreux officiers vont entretenir une relation presque compulsive à la photo, et vont accumuler d’albums d'énormes quantités de plaques. Le général d’armée Henri Gouraud (1867-1946) rapporte 10 000 plaques photographiques dont beaucoup documentent sa carrière d’officier colonial....

Cet article est réservé aux abonnés.
Accédez à l'intégralité de l'offre éditoriale et aux outils de recherche avancée.