Interview

Les Français au Maghreb : « un face-à-face qui n'exclut jamais le côte à côte »

le par

Kasbah en ruines de Bou Znika, au Maroc, Agence Rol, 1908 - source : Gallica-BnF

Au contraire du choc frontal provoqué en Algérie, les Français tentèrent au Maroc et en Tunisie d'imposer une « domination oblique ». C’est ce à quoi s'est intéressé l'historien Daniel Rivet : la constitution d’une société du contact, qui ne résista toutefois pas aux guerres de décolonisation. 

Daniel Rivet est historien, spécialiste du Maghreb à l’époque coloniale. D'abord assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Rabat (1967-1970) dans le cadre de la coopération, il est devenu enseignant-chercheur à l’université Lumière/Lyon II, puis professeur d’histoire du monde musulman contemporain à l’université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne. De 2002 à 2006, il a été également directeur de l’Institut d'études de l'islam et des sociétés du monde musulman rattaché à l’EHESS. 

Il a publié de nombreux ouvrages consacrés aux causes et aux conséquences de la colonisation, notamment Le Maghreb à l'épreuve de la colonisation. 

Propos recueillis par Marina Bellot

RetroNews : Bien que l'histoire coloniale du Maroc et de la Tunisie soit différente, vos travaux montrent que l’élément structurant sur la longue durée est la menace de divorce entre l'État et la société au Maghreb, qui commence avant la colonisation. Est-ce à ce décalage entre État et société que l’on peut imputer selon vous la perte d’indépendance du Maroc et de la Tunisie ? 

Daniel Rivet : Oui absolument. Et de l’Algérie aussi. Jamais l'État n’est arrivé à coaguler, condenser, rassembler autour de lui la société dans son entièreté. C’est ce qui permis à la France, dans ces trois pays, de trouver des forces centrifuges alliées, complices, contre les États qui préexistaient à la colonisation. En Algérie, c’est en s'appuyant sur les tribus makhzen qui contrôlaient les points stratégiques du pays au nom du beylik turc que l'armée d'Afrique a trouvé des protecteurs contre Abd el Kader, qui soulevait l’ouest du pays tout entier. En somme, diviser pour régner. Ceci permet à Bugeaud de construire une forteresse coloniale le long de la côte dressée contre l’intérieur de l’Algérie personnifiée par l’émir du Jihâd.

Comment expliquer que le Maroc et la Tunisie ne furent pas des départements comme l'Algérie ?

Il n’en fut jamais question. Les puissances étrangères (l’Angleterre et l’Allemagne surtout) veillaient au grain. Le bey de Tunis et le sultan du Maroc ne voulaient pas perdre leur souveraineté et défendirent l’intégrité de leur régence ou empire avec ténacité. E...

Cet article est réservé aux abonnés.
Accédez à l'intégralité de l'offre éditoriale et aux outils de recherche avancée.