Interview

Un « désinformateur » en Algérie coloniale : le cas de Messaoud Djebari

Photo de Touaregs du Sahara algérien, à Salah par Don Lefranc, 1913 - source : Gallica-BnF

Petite célébrité du Paris fin-de-siècle, Djebari est un interprète algérien pour le compte de l’empire. En 1895, il prétend avoir retrouvé les survivants français d’une expédition funeste au Sahel. L’historien Arthur Asseraf revient sur ce personnage double et ambigu.

Si son nom n’évoque rien aujourd’hui, Messaoud Djebari a eu un temps, à la fin du XIXe siècle, une belle notoriété. Il est au cœur de deux affaires – l’une de société secrète, l’autre d’expédition au cœur du Sahara – qui montrent la fabrication de l’information entre colonies et métropole, et le rôle joué par des intermédiaires algériens. Explications avec Arthur Asseraf.

Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier

RetroNews : Vous consacrez un livre à un illustre inconnu algérien, Messaoud Djebari, que vous avez croisé pour la première fois dans les archives en 2014 et que vous avez véritablement pisté pendant plusieurs années… Qu’est-ce qui, chez lui, a suscité cette curiosité si tenace ?

Arthur Asseraf : J’ai « rencontré » Messaoud Djebari entièrement par hasard, dans un épais dossier des archives diplomatiques de La Courneuve, consacré à l’invasion de la Tunisie en 1881. C’est là que je découvre un jour une correspondance incroyable au sujet d’une société secrète qui était, à en croire le procès-verbal d’une réunion parvenu entre les mains des autorités, en train de s’organiser en Algérie et qui donne alors lieu à une enquête du préfet de Constantine.

Moi qui cherchais à savoir si les Algériens s’intéressaient à l’actualité politique, voilà que je découvrais un document qui me mettait en quelque sorte dans la position de voyeur…

L’existence de cette société secrète est-elle avérée ?

C’est là toute la question, que le préfet de Constantine s’est posée et que je me suis posée moi aussi, sans réussir à la trancher définitivement. Car à lire les archives, cette affaire a quelque chose de très convaincant. Et puis, quel intérêt auraient eu ses protagonistes à l’inventer de toutes pièces ? En même temps, plusieurs éléments restent suspects : la société secrète apparaît à chaque fois sous un nom différent ; dans le procès-verbal – correspondant scrupuleusement au protocole de l’association à la française, avec un président, un secrétaire et un trésorier, ce qui dénote un suivi très précis d’une loi sur les associations qui n’était alors qu’en préparation –, tous les chiffres étaient ronds, que ce soit le nombre de membres ou le nombre de votes…

Un personnage ressortait particulièrement de l’enquête, pour son rôle qui semblait central : Messaoud Djebari. Il sera d’ailleurs placé en détention administrative, comme le permettait le Code de l’indigénat, et finalement relâché devant le manque de preuves tangibles de la réalité de la conspiration. Il n’en reste pas moins que dans l’ensemble des doc...

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