Chronique

Comment on devient « révolutionnaire » en Autriche à la fin de la Grande Guerre

le 31/12/2019 par Nicolas Offenstadt
le 26/07/2018 par Nicolas Offenstadt - modifié le 31/12/2019
Comoedia, 1 avril 1928 - analyse du roman de Josef Roth, La Fuite sans fin. Source RetroNews - BnF

L'historien Nicolas Offenstadt fait le récit des "retours de guerre", de ces "troubles de l'après-guerre", au travers du livre de l'écrivain et journaliste autrichien Josef Roth, La Rebellion, publié en 1924.

« Andreas Poum », héros du récit de l’écrivain Josef Roth (La Rébellion, 1924), est un bon soldat austro-hongrois, ancien veilleur de nuit. Il rentre du front fier d’avoir servi l’Empire, mais il est amputé. « La prothèse ne vint pas. A sa place vinrent le désordre, la défaite, la révolution. Andreas Poum ne retrouva sa tranquillité que deux semaines plus tard, après qu’il eut pu voir dans les journaux, par les discours et les événements, que les républiques aussi ont des gouvernements qui président au sort des hommes. Dans les grandes villes ont tirait sur les révoltés ».



 Avec le démembrement de l’Empire, la République d’Autriche est proclamée en novembre 1918. Si des Conseils de soldats et travailleurs, des gardes rouges se constituent en effet, un gouvernement social-démocrate, avec Karl Renner comme chancelier, permet cependant de contenir une révolution plus radicale. 

 

Andreas obtient une licence pour jouer de l’orgue de barbarie et réussit un beau mariage avec une veuve.     Sa vie semble emprunter un cours favorable. Dans la nouvelle Autriche, il peut continuer à maudire ceux qu’il appelle les « paiens », c’est à dire les progressistes, les gens de gauche, les révolutionnaires. «...il méprisait les joueurs de cartes, les buveurs et les rebelles ».

Mais tout bascule à l’occasion d’un incident dans un tram avec un bon bourgeois hostile à une manifestation d’invalides et qui les prends tous pour des voleurs. « Par malheur, il n’y avait dans le tramway que des petits bourgeois et des femmes intimidés par les événements de la Révolution mais non moins décidés à mener une lutte implacable contre le présent. Ils considéraient le passé de leur pays, ce passé rayonnant de gloire, les dents serrées et les larmes aux yeux. Pour eux, le mot Bolchevik ne signifiait rien d’autre que : bandit ». Roth décrit ici en peu de mots l’immense bouleversement que constitue pour beaucoup la dissolution de l’Empire. Lui-même en sort désorienté, comme sans patrie. Après la mort de Roth (1939), Suzanne Normand le rappelle dans Marianne, portant aussi la critique contre l’aspect oppressif et instable de l’Empire.

Mais revenons au destin d’Andreas Poum. Cet homme d’ordre est accusé d’être un fauteur de trouble, de « délit de circulation ». Les démêlés avec la police et la justice se multiplient, sa femme s’en sépare. Andreas devient bien plus critique de l’autorité qu’il célébrait, et même un « païen » lui-même. Envisageant sa résurrection, « il se décidait pour l’existence d’un révolutionnaire ». « Comment le monde avait-il pu changer si vite ? » se demande-t-il, en une question sans aucun doute partagée par beaucoup de ses contemporains.

Dans son oeuvre Roth ne cesse d’interroger ces retours de guerre, les bouleversements individuels, en particulier ceux des humbles, l’errance nostalgique dans un monde nouveau. Dans La Toile d’Araignée (1923) le lieutenant Theodor Lohse officier démobilisé connaît un pénible retour parmi les siens et rejoint une organisation para-militaire. L’incompréhension et les difficultés éprouvées face à un monde nouveau sont aussi celles du soldat Tunda dans La Fuite sans fin (1927). La critique en souligne la force pour dépeindre les troubles de l’après-guerre, ainsi dans Comoedia sous la plume d’un auteur polonais, Joseph Wittlin, ou dans le Journal des Débats.

Roth s’exile de Berlin à Paris après 1933, et dépérit. L’Autriche s’enferme dans un régime autoritaire avant d’être annexée par les Nazis. En 1918, on voulait déjà l’Anschluss, mais l’on était loin de celui-là.

Nicolas Offenstadt, historien, maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de la Grande Guerre.

 


En partenariat avec France Inter, le journal La Croix et la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale

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