Chronique

L’entrée en vigueur de la première constitution de RDA

le 08/11/2019 par Sylvie Le Grand
le 08/10/2019 par Sylvie Le Grand - modifié le 08/11/2019
Première session plénière de la Chambre du Peuple de RDA en présence de son président, Johannes Dieckmann, 1950 - source : Bundesarchiv-WikiCommons
Première session plénière de la Chambre du Peuple de RDA en présence de son président, Johannes Dieckmann, 1950 - source : Bundesarchiv-WikiCommons

Le 7 octobre 1949, plusieurs quotidiens français abordent indirectement la ratification de la première constitution d’Allemagne de l’Est. Mais, plus que de commenter son contenu, la presse commente les rapports présents et à venir entre ces « deux Allemagnes ».

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Le lecteur, désireux de savoir comment fut présentée dans la presse française l’adoption de la première constitution de RDA en date du 7 octobre 1949, le jour même de la création de cet État, est tout d’abord confronté à une déception. De la constitution il est très peu question dans les articles sur l’Allemagne, publiés simultanément dans les six quotidiens dépouillés : La Croix, L’Aube, L’Aurore, La Gazette provençale, Ce Soir et L’Humanité. Et pour cause : en matière de constitution, c’est une simple formalité qui se produit le 7 octobre 1949, à savoir la publication d’une loi proclamant l’entrée en vigueur du texte constitutionnel.

Cette loi est publiée par le Président de la Chambre du Peuple provisoire qui vient de s’auto-constituer comme telle en tant qu’émanation du Conseil du Peuple allemand, né lui-même dans le contexte passablement complexe d’un mouvement congressiste propre à la zone d’occupation soviétique. C’est donc plus à ce processus compliqué que ces journaux s’intéressent de façon à la fois complémentaire et très diverse, en s’efforçant de le contextualiser et de l’interpréter au plan interallemand et international.

Il ne peut être question ici de distribuer des bons (ou des mauvais) points à chacun de ces titres, mais force est de constater que leur ligne rédactionnelle s’avère plus ou moins soucieuse de neutralité dans le traitement de l’information.

La palme de la neutralité revient peut-être à La Croix en ce que le quotidien catholique conservateur propose de longues citations d’acteurs de tous bords, invitant, ce faisant, le lecteur à se faire sa propre opinion sur le processus en cours en Allemagne orientale. Ainsi, ce journal commence par citer longuement le communiqué du Conseil du Peuple appelé à se déclarer Chambre basse provisoire et à créer un gouvernement : y figurent à la fois les attendus de son action (« la politique dictatoriale des puissances occidentales ») et des éléments de programme de gouvernement qui montrent, juge le quotidien, « l’asservissement de la future République démocratique au Kremlin ».

Mais l’article évoque aussi tant le point de vue des trois grandes puissances occidentales, d’accord sur l’essentiel, sauf sur les « démontages », que des propos du Quai d’Orsay à propos du choix de Berlin comme capitale de la RDA « en violation de l’accord de Paris » ou encore la perspective développée par le chef du parti social-démocrate ouest-allemand Kurt Schumacher. Ce dernier voit dans la création de la RDA une volonté de « neutraliser l’influence exercée par la RFA », une « entrave au rétablissement de l’unité allemande » et un État à « l’existence éphémère car créé contre la volonté du peuple allemand ».

C’est aussi La Croix qui, à l’instar de La Gazette provençale, accorde la meilleure place à ce sujet en le plaçant dans sa « Une », ici sous le titre « Le programme du gouvernement prosoviétique d’Allemagne orientale ».

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À l’autre bout de la chaîne, c’est L’Humanité qui se montre clairement le plus partisan.

Ce que met en exergue l’organe du parti communiste français, le 7 octobre 1949, c’est d’abord l’inquiétude face à ce qu’il présente, dans le fond, comme la survivance de l’hitlérisme en Allemagne occidentale. L’article de « Une » titre ainsi :

« “Nous approuvons le programme de Hitler” affirme le vice-président du parti allemand de droite créé avec l’approbation des “Occidentaux”. »

En le lisant, le lecteur peine à repérer d’emblée si l’on parle de l’Ouest ou de l’Est de l’Allemagne. Seul le dernier mot, les « Occidentaux », mis entre guillemets, et le sens général négatif du propos le suggèrent, mais cette assignation à l’une des deux Allemagnes n’est pas signifiée de manière simple et évidente. L’interrogation ainsi suscitée trouve une forme de réponse à la page 3 dans le billet du résistant et ancien déporté Pierre Durand (1923-2002), intitulé justement : « De quelle Allemagne s’agit-il ? ».

Se situant dans la continuité du combat résistant, avant tout en lutte contre l’hydre nazie, ce billet s’ouvre aussi significativement sur cette idée d’inquiétude :

« D’inquiétantes nouvelles nous parviennent une nouvelle fois d’Allemagne occidentale. »

Ce qui frappe dans ce billet synthétique aux formules qui font mouche, comme dans les divers petits articles sur l’Allemagne qui l’accompagnent, c’est que le point de vue endossé est celui de l’URSS et du SED est-allemand.

La terminologie employée est rarement neutre et presque toujours militante. On retrouve par exemple les principaux éléments du point de vue communiste sur le passé nazi comme fascisme et sa renaissance sous forme d’avatar de l’impérialisme capitaliste (« la grande embrassade avec les nouveaux Hitler, les Krupp, les Thyssen et autres magnats de la Ruhr ») ou militariste (dénonciation de l’alliance préconisée par Schumann ou Bevin avec « les revanchards militaristes, l’Allemagne non dénazifiée de l’Ouest »).

Sont évoquées aussi les références culturelles sous les auspices desquelles sont placée en RDA la naissance du nouvel État : Goethe, Heine, à côté des figures tutélaires du socialisme Karl Marx, F. Engels, K. Liebknecht, E. Thälmann.

Les divers propos sur l’Allemagne publiés dans L’Humanité du 7 octobre 1949 le montrent : c’est bien une sorte de guerre linguistique qui est menée sur fond de guerre de légitimité. À deux reprises, il est question de « la formation du Reich Occidental », expression reprise d’une note soviétique, qui avec la formule du « gouvernement fantoche de Bonn » sont les principales armes terminologiques ici affutées pour dénier à l’autre toute légitimité.

Deux autres quotidiens font écho à ces questions sur divers plans. On observe que le quotidien démocrate-chrétien L’Aube, malgré quelques précautions langagières et l’usage du conditionnel dans la transmission des informations, adopte dans son titre une position strictement symétrique de celle de L’Humanité en dénonçant « le gouvernement fantoche de Berlin » qui « se donnerait pour programme de liquider Bonn et le contrôle de la Ruhr ».

Il faut citer aussi et surtout l’éditorial remarquable et non signé, « Deux Allemagnes… côte à côte ou face à face », paru dans La Gazette provençale qui se démarque par sa hauteur de vue et sa présentation limpide des enjeux :

« Simple voisinage et relation économiques normales […] ou rivalité et guerre froide si chacun des deux gouvernements revendique pour lui la légitimité pour toute l’Allemagne. »

L’article renvoie dos à dos les deux États allemands et éclaire, comme on le voit, très explicitement les revendications respectives de légitimité pour toute l’Allemagne qui se retrouvent symétriquement de part et d’autre, à l’Est et à l’Ouest. Cet article n’a pas pris une ride et peut être lu avec profit aujourd’hui encore.

Face à cet article, le caractère informatif et l’orientation pédagogique qui caractérisent le quotidien communiste dirigé par Aragon, Ce Soir, sur le sujet qui nous occupe, font presque pâle figure, bien qu’ils apparaissent de très bon aloi.

En titrant à la page 3 « Le Conseil du Peuple allemand se réunira demain à midi. Il va se proclamer chambre basse provisoire et préparer la formation d’un gouvernement pour toute l’Allemagne », le journal se concentre sur la procédure concrète de création du nouvel État, comme le montre aussi l’encadré parallèle, « Ce qu’est le Conseil du peuple allemand ». L’ensemble est complété par une brève : « Protestation polonaise et roumaine contre la constitution du gouvernement de Bonn ».

En parcourant les 8 pages de L’Aurore, on aurait pu croire que ce quotidien faisait l’impasse sur la création de la RDA et avait choisi plutôt de mettre en valeur (p.4) le témoignage du général allemand von Choltitz, « Je n’ai jamais voulu détruire Paris », dans une enquête de Jean Bernard-Derosne. Il faut en effet attendre la dernière page pour y découvrir « Mon point de vue par Henri Bénazet : le 7e satellite de l’URSS ». Dans ce billet, l’avocat et journaliste (1897-1968) livre une analyse aiguë de la situation : la RDA aurait pu naître selon lui bien plus tôt, car tout était soigneusement calculé et prévu.

Il évoque les promesses soviétiques d’une abrogation du statut d’occupant, explique la formation d’un cabinet de type « front national », les projets de ratification à l’Est des amputations de provinces orientales et les appels à la réunification de l’Allemagne. Il met aussi en avant le dilemme auquel font face les Occidentaux – le trio Acheson, Bevin, Schumann –, à savoir : ne rien faire et permettre à Staline de retourner l’opinion germanique en sa faveur, ou riposter et se ridiculiser.

Quid de la constitution du 7.10.1949 dans tout cela ? Deux occurrences intéressantes attirent l’attention. La première, explicite dans La Gazette provençale, souligne une dimension de ce texte constitutionnel qui pourrait paraître paradoxale : sa parenté relative avec la constitution de Weimar :

« Le nouveau Parlement mettra aussitôt en vigueur la constitution élaborée précédemment par lui-même sur le modèle de celle de Weimar. »

La seconde occurrence est parfaitement implicite, mais très appuyée dans une brève publiée par L’Humanité. En insistant par deux fois en quelques lignes sur la responsabilité du peuple qui s’exprime dans la constitution de la RDA, il est fait allusion a contrario à la Loi fondamentale de la RFA dans le préambule de laquelle la responsabilité du peuple devant Dieu est affirmée :

« Le futur gouvernement démocratique allemand sera responsable devant le peuple allemand et devant lui seul. »

Y est ajouté en gras dans le texte : « Responsable devant le peuple allemand et devant lui seul, le nouveau gouvernement pourra s’employer efficacement à restaurer l’unité allemande et à conclure un traité de paix qui permettra le retrait des troupes d’occupation », une phrase reprise d’un article de la Tägliche Rundschau de Berlin, dont seul L’Aube précise qu’il s’agit d’un journal soviétique.

On voit donc que ces six quotidiens apportent peu de grain à moudre sur le contenu de la première constitution de RDA en tant que telle, mais beaucoup d’éléments sur le rapport aux deux Allemagnes et le processus d’élaboration complexe qui vit naître cette constitution, adoptée le 19 mars 1949 par le Conseil allemand du Peuple (Deutscher Volksrat), puis confirmée par le Troisième Congrès du Peuple allemand le 30 mai 1949.

Qui cherche des commentaires sur le contenu de cette constitution devrait donc plutôt explorer les journaux à ces dates. Affaire à suivre !

Sylvie Le Grand est historienne, maître de conférences habilitée à diriger des recherches en études germaniques à l’Université Paris Nanterre, et membre du CEREG (Paris Nanterre, Paris 3).