Chronique

La Brigade d’assaut « France » : des volontaires français dans la Waffen-SS

le 06/02/2023 par Édouard Sill
le 24/01/2023 par Édouard Sill - modifié le 06/02/2023
A Paris, soldats français de la Waffen-SS, 1943 – source : Bundesarchiv-WikiCommons
A Paris, soldats français de la Waffen-SS, 1943 – source : Bundesarchiv-WikiCommons

Formation prétendument d’élite de sinistre mémoire, la brigade France, bientôt Division Charlemagne, accueillit quelque 1 700 combattants français venus rejoindre les rangs de la SS nazie.

Depuis la poignée de mains échangée en octobre 1940 à Montoire-sur-le-Loir sur un quai de gare, la France vaincue s’engageait peu à peu dans la voie glissante d’une collaboration plurielle avec l’Allemagne nazie. Déjà, à Paris, des partis appelaient à une collaboration plus étroite avec l’Occupant, et une place pour la France dans le grand dessein d’une Europe nouvelle, nazifiée et soumise à son vainqueur.

Lorsque Hitler se retourne en juin 1941 contre son allié Staline, les collaborationnistes français exultent : l’évènement grandiose d’une bataille immense et définitive contre le communisme offre à la France l’occasion de la reprise du combat et, croient-ils, une place parmi les vainqueurs. À cet effet, la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF) avait été levée, sorte de brigade internationale réunissant les militants des principaux partis collaborationnistes. Mais Hitler n’avait accepté que du bout des lèvres cette initiative très parisienne.

Podcast

La saison 3 de Séries Noires à la Une est là !

Séries Noires à la Une est désormais disponible en intégralité sur Youtube : retrouvez chaque mois un nouvel épisode, et rattrapez les saisons précédentes avec un épisode des saisons 1 et 2 rendu disponible sur Youtube chaque mercredi.

Écouter sur Youtube

Quant à eux, les Allemands avaient d’ores et déjà commencé à recruter des volontaires étrangers pour leurs propres services, dans les NSKK, les transports militaires. Une campagne de publicité avait été initiée en France également. Mais, contrairement aux Scandinaves, aux Flamands ou aux « Volksdeutsche » (les Allemands de l’étranger), les Français n’étaient théoriquement pas acceptés.

Ce n’est qu’en février 1943 qu’Adolf Hitler donnait, tardivement, son aval à l’ouverture du recrutement de Français dans la Waffen-SS. Cet accord fut suivi d’un décret du gouvernement français, signé de Pierre Laval le 22 juillet 1943, autorisant les Français à s’engager en tant que SS.

Pour rejoindre la Waffen-SS, il fallait être de sang « aryen », avoir un casier judiciaire vierge, être âgé de dix-sept à quarante ans et faire plus d’1 mètre 65. Le Matin ajoutait que la loi française reconnaissait cet engagement comme ouvrant des droits et des pensions. Naturellement, la presse collaborationniste se passionne pour le recrutement de cette « élite » de combattants français destinés à alimenter la machine de guerre nazie.

A l’inverse, France, journal édité à Londres et associé à la France libre, se désole de la constitution du bataillon SS français mais souligne qu’il s’agit d’un signe d’une chute des effectifs des armées allemandes, obligées d’ouvrir leurs rangs à des étrangers.

En dix jours seulement, deux mille postulants se sont présentés dans les bureaux d’enrôlement français de la Waffen-SS. Contrairement aux annonces grandiloquentes, les jeunes français effectivement admis furent bien moins nombreux. Néanmoins, le 9 août 1943, Paris Soir annonçait la création du premier bataillon français de Waffen-SS.

À partir de l’été 1943, tandis que se délitait l’offensive majeure des armées allemandes contre le saillant de Koursk, des encarts apparaissent dans Le Cri du peuple de Paris, le journal de Jacques Doriot, et dans la presse régionale, pour appeler les volontaires français à compléter les rangs des SS. Ces petits encarts frappés du sinistre double S fleurissaient encore dans la presse locale après le débarquement en Normandie.

Les annonces s’accompagnent parfois d’un appel aux armes en direction de la jeunesse, comme dans La Petite Gironde :

« Camarade ! La S.S. t’appelle !

Aussi incroyable que ce soit, dans les rangs fraternels de la SS, il y a aujourd'hui des fils de chez nous. Des Jeunes Français de 17 ans, de 20 ans, de 30 ans n'ont pas manqué l'occasion qui leur est offerte par le Führer et s'honorent d’être membres du ‘Corps noir’.

Ils peuvent se flatter, à juste titre, d'appartenir à la Waffen SS, qui, à l'origine, était exclusivement la troupe d'élite et de sécurité du Parti national-socialiste et est devenue maintenant l’armée politique de l‘Europe. Ses exploits l’ont rendu populaire et défrayent toutes les chroniques militaires. Ils ont su se soumettre à une discipline de fer et cultiver le sens de l'honneur dans une ambiance de camaraderie profonde. Ces quelques principes moteurs en font les chevaliers modernes de l’ordre nouveau.

Jeune ! Si tu es encore capable d’avoir de l’enthousiasme et de choisir un noble destin pour sauver ta patrie et donner à la France du prestige nouveau, tu ne dois plus attendre. Tu dois suivre l’exemple de tes camarades français qui t’ont précédé et t’engager à ton tour dans la Waffen SS. Les SS grenadiers français sont une réalité. »

En décembre 1943, la presse française annonce que « les engagements dans les Waffen-SS sont en progression » et que des infirmières sont également parties les rejoindre.

Bien que les objectifs de recrutement n’aient jamais été atteints, les effectifs sont suffisants en mai 1944 pour que la SS française soit transformée en une « brigade d’assaut » de grenadiers motorisés baptisée France.

A l’instar de ses homologues belges de la Sturmbrigade Wallonie, la brigade française est née. Elle compte 1 688 SS français en juin 1944 et est bientôt engagée en Pologne au sein de la 18e division SS Horst Wessel. Pour Le Progrès de la Côte-d’Or, l’année 1944, c’est « l’année SS » et les volontaires de France se doivent « d'être à la tête de l'élite de leur pays », dans la SS.

Les reportages insistent tous sur la jeunesse et l’enthousiasme des recrues françaises de l’ordre noir. Le Réveil du Nord se rend auprès du premier contingent qui s’entraîne en Belgique, avec l’objectif de savoir « pourquoi ils se sont engagés ». Naturellement, ce sont les profils les plus chaleureux et les plus pathétiques qui obtiennent les faveurs du journaliste : des Quat’zarts (étudiants des Beaux-Arts) qui passent in petto de la bastonnade des zazous au Quartier latin à la manipulation du pistolet-mitrailleur. À leurs côtés, des jeunes gens victimes des bombardements alliés.

Ici, un Franco-Irlandais, venu par haine des Anglais depuis que ses parents ont été assassinés à Killarney par les Black and Tans. Là, un fils de Russe blanc, engagé à 18 ans dans les armées blanches avant de s’engager dans la Légion étrangère en 1939 et dont la famille a disparu sous le joug du bolchevisme.

Il y a, enfin, l’attrait de l’esprit de corps, l’orgueil d’appartenir à une formation d’élite, comme un jeune normalien parisien qui répond au journaliste du Réveil du Nord :

« Certes, l’entraînement est dur. Mais pas plus pénible que nous l’avions prévu.

Je ne regrette pas d’être où je suis ; bien au contraire, je me sens fier plus que jamais d’appartenir à un corps où tout le monde ne peut prétendre entrer et se maintenir sans un effort physique et moral au-dessus des forces d’un grand nombre sinon de la moyenne des hommes. »

L’Appel ouvre ses colonnes à Pierre C., jeune Waffen SS de « 20 ans ». Chez ce jeune vétéran de 40 (il avait alors 20 ans) qui rempile en 44 dans la SS, c’est la détestation de la génération qui l’a précédé et qui incarne pour lui la déroute lors de la Campagne de France :

« Dans les épouvantables conditions de l’avenir, un Français vivant valait mieux que dix Français morts. Résister avec quoi ? Nous n’avions rien. C’est à nos chefs politiques imbéciles qu’il aurait fallu résister. Trop tard. Le mal était fait.

Trouver les quinze volontaires fut assez facile pour les maréchaux des logis, vieux réservistes roublards. Ils saoulèrent sans scrupule les jeunes bleus, dont les plus gonflés vinrent spontanément se présenter au bureau pour singerie parmi les héros futurs de la drôle de guerre. C’était fort beau.

J’en enrageai, déchiré aux larmes. Tant de générosité juvénile dépensée jusqu’à la mort pour une cause perdue d’avance. »

Fait prisonnier en Allemagne, il est fasciné par l’État nazi et le projet qu’il porte pour l’Europe :

« Me battre pour une cause honorable, enfin ! »

Avec le titre de « Sous les plis du drapeau noir », Je suis Partout publiait également les « choses vues » d’un volontaire français à la Waffen-SS.

A la fin de l’été 1944, la Brigade d’assaut SS France disparaît des titres. Et pour cause. Tandis que la France fêtait les armées alliées qui depuis la Normandie et la Provence fonçaient vers le Rhin, les SS français combattaient en Pologne, face à l’irrésistible rouleau des armées soviétiques. Retirés du front et complétés par l’arrivée des légionnaires de la LVF, des Miliciens et des collaborateurs en fuite, la brigade d’assaut France est transformée en division SS et prend le nom de Charlemagne.

En novembre 1944, le journal Combat, issu de la Résistance, croit savoir que Joseph Darnand, l’ancien chef de la Milice, commande désormais la nouvelle division SS française Charlemagne. Si ce dernier a bien été nommé Obersturmführer de la SS depuis juillet 1943, c’est à un autre officier français que Himmler a confié le commandement de la 33e division SS : l’Oberführer Edgar Puaud, ancien commandant de la ci-devant LVF. France-Soir assure d’ailleurs que la division Charlemagne « a prêté serment au gouvernement Pétain le dimanche 12 novembre », ce qui est inexact, et impossible.

Mais Darnand le SS demeure aux yeux de la presse le véritable chef d’une division Charlemagne dont les Français apprennent que les débris ont combattu à Berlin, jusqu’au bout, parmi les défenseurs des dernières ruines du Reich.

Faits prisonniers en Allemagne ou bien saisis en Italie durant leur fuite par les armées alliées, les SS français sont transférés en France à l’été 1945. 800 SS français et anciens légionnaires de la LVF passent en procès à Lyon en juillet. C’est l’occasion pour le public français de découvrir le visage et les parcours « des tueurs de la Brigade Charlemagne ».

Bon sang ne saurait mentir, France Soir se penche sur l’un de ses volontaires pour en tirer le portrait pathétique du jeune homme dévoyé, égaré parmi les tueurs :

« J’ai dit qu’il se trouvait parmi les brutes de la brigade quelques idéalistes sincères qui, victimes plus que coupables, sont des exemples typiques de l’influence d’une propagande intense sur des esprits peu préparés à lutter contre elle. Le sous-lieutenant Albert était de ceux-là.

[Il] appartenait à une famille humble, mais saine. Son brave gendarme de père voulait faire de lui un officier. Après de bonnes études secondaires, le jeune homme se présente à Navale en 1941. Il est refusé à la visite médicale. En désespoir de cause, il se résigne à Saint-Cyr. Recalé en 1942, il est stoppé dans sa préparation au concours par la suspension de l’école en novembre 1942. Que va-t-il faire ? Le but qu’il s’est fixé, il ne peut maintenant l’atteindre. II, ne peut également y renoncer, car sa vie perdrait tout son sens. Ballotté entre ces deux impossibilités majeures, il hésite. […]

Décidé à voir de près le régime qu’on lui a dépeint sous d’aussi belles couleurs, il s’engage en septembre 1943 dans les Waffen SS français de la Brigade Charlemagne. II est définitivement entraîné dans le cycle infernal dont il ne pourra s’arracher. Malgré ses déceptions (car il est loin, l’ordre rêvé, les beaux équipements, la bonne nourriture et le combat enivrant) il ne recule pas. Et d’ailleurs il ne peut plus reculer. Pas de permissions, pas de contacts avec des Français, et toujours le morne horizon des camps d’instruction : la Brigade Charlemagne ne va pas au feu ; on craint trop, en haut lieu, le moral de cette ‘formation d’élite’. »

Après la Libération, beaucoup de ces soldats perdus sauront se faire discrets, en rempilant un engagement, dans la Légion étrangère cette fois, munis d’un aller simple pour la guerre en Indochine.