L’Action française décrit avec d’autres détails, ce qu’elle considère avec raison comme une manœuvre concertée (qu’elle approuve) de la part des Italiens :

« Debout à sa place, le Négus attendait que M. Jèze lui dise : Allez-y ! Quand le professeur français de droit lui eut fait signe, le roi des rois, très lentement, se dirigea vers la tribune, en gravit les marches, s'inclina.
Les projecteurs s'allumèrent aussitôt... Et une formidable clameur s'éleva : « Assassin ! Voleur ! Déserteur !... » Des sifflets à roulette faisaient un hourvari de tous les diables. Ces cris provenaient d'une partie de la tribune de la presse où nos confrères italiens siègent les uns à côté des autres. Ce ne fut point chose facile. Des « ham-bourgeois » suisses et deux gendarmes en tenue grimpèrent finalement dans la tribune et arrachèrent de leur banc les journalistes italiens.
Ceux-ci ne se défendirent pas : ils continuèrent jusqu'à la dernière seconde à hurler à tue-tête. L'ensemble avec lequel opérèrent les Italiens montre évidemment qu'il s'agissait d'une manœuvre concertée. L'extrême correction dont ils ont toujours fait preuve depuis quinze ans environ avant qu'on les rencontre ici établissait assez qu'ils ne faisaient qu'exécuter une mission dont ils étaient chargés. »

Mais cette harangue digne, saluée par des applaudissements, a également été précédée par un mémorandum rédigé officiellement par le comte Ciano, le ministre des Affaires étrangères et gendre de Mussolini. Le premier ministre belge, qui préside l’assemblée, a tenu à lire lui-même ce texte qui, en termes plus diplomatiques, n’hésite pas lui aussi à tordre complètement la réalité, en refusant toute injonction du droit international et en mettant les puissances européennes face à leurs contradictions ; elles aussi sont des puissances coloniales, rappelle l’Italie.

Pour les fascistes italiens, ce sont carrément les Ethiopiens les agresseurs et de fait, « l’intervention très humaine » de leur nation va permettre dans « l’intérêt de la civilisation » de soumettre ce « pays de brigands, de marchands d'esclaves, de maraudeurs qui empoisonnaient la vie des voisins ». Il s’agit donc, ni plus ni moins, que d’expulser l’Ethiopie de la SDN et de faire reconnaître son nouveau statut sous tutelle italienne.

« CE QUE CONTIENDRAIT LE MÉMORANDUM ITALIEN
Genève, 29 Juin. — Le mémorandum Italien comporterait les trois points essentiels ci-après :
1. Demande révision du procès du 7 octobre et proclamation du fait que l’Italie n’a pas été l’agresseur;
2. L’Italie Insistera sur l’adhésion spontanée des hauts dignitaires éthiopiens au régime italien ;
3. Impossibilité pour la S.D.N. de garder l'Ethiopie dans son sein.
Cette communication exposera les raisons pour lesquelles l'Italie ne croit pas devoir prendre part aux travaux de l’assemblée, en protestant, du reste, contre la participation du Négus.
D’après les indications recueillies dans les milieux italiens, le ton de ce document serait conciliant. M. Mussolini y exposerait que le peuple italien a le sentiment d’avoir répondu à une agression préparée depuis de longues années par le gouvernement éthiopien, dont il dénoncera une fois de plus les abus et les violences. Il soulignera que la conquête de l’Abyssinie a été accomplie par les forces italiennes en versant le minimum de sang. [...]
C’est une sorte de mandat volontaire dont elle accepte ainsi la charge dans l’intérêt de la civilisation. Enfin le gouvernement de Rome donnera deux assurances essentielles : la première, de ne pas lever une armée indigène dans le territoire annexé, mais d'y organiser seulement des forces de police à effectifs restreints; la deuxième, de faire, sur le terrain économique, toutes concessions nécessaires pour y maintenir le principe de la porte ouverte, en favorisant en particulier la libre entrée des capitaux étrangers. »