Entre 1830 et 1900, alors que la France et la Grande-Bretagne se sont emparées de plus de la moitié de l'Afrique, l'Allemagne est quasiment dépourvue de territoire colonial. Après une série d'accords avec les autres pays occidentaux et l'Empire ottoman, elle se voit accorder en 1884 quatre zones d'expansion, dont une, la Südwestafrika, occupe le territoire de l'actuelle Namibie. La découverte en 1894 de fabuleux gisements de diamants exacerbe sa convoitise.
Pour "aider" à la colonisation de la région, le IIe Reich envoie des troupes sur place. Au cours de plusieurs campagnes violentes, elles attaquent les "tribus rebelles", massacrant femmes et enfants, saisissant terres et bétail et envoyant les survivants dans des camps de travaux forcés.
En janvier 1904, le peuple héréro se soulève contre l'occupant et parvient à détruire les lignes de communication allemandes. Sous le commandement de Samuel Maharero, il massacre également plusieurs centaines de colons allemands. Le 21 février, Le Petit Journal consacre sa une illustrée à l'insurrection [Voir l'archive]. Un mois plus tôt, L'Écho de Paris commentait [Voir l'archive] :
"Les Héréros sont une des plus belles races du sud de l'Afrique. Ils sont courageux et seront certainement pour les Allemands qu'ils détestent de redoutables adversaires. […] Il est probable que les Héréros remporteront des succès considérables avant que les renforts puissent arriver."
Mais les renforts ne tardent pas. En avril 1904 débarque le général Lothar von Trotha [voir l'archive], qui prend le commandement des troupes allemandes. Surnommé "le Requin", il s'est déjà illustré au Togoland, puis en Chine, lors de la révolte des Boxers. À la tête d'une armée de 15 000 hommes munis de canons, de grenades et de mitrailleuses, Trotha pratique d'abord une guerre d'usure, se contentant d'observer l'ennemi.
Puis en octobre, sur le plateau du Waterberg, Trotha ordonne un carnage. Pendant des semaines, sur son ordre explicite, hommes, femmes, enfants sont exterminés. Les survivants tentent de fuir dans le désert du Kalahari. Beaucoup meurent de soif. Méthodiquement, Trotha fait empoisonner les points d'eau. Les survivants sont envoyés dans des camps de concentration inspirés de ceux créés par les Britanniques en Afrique du Sud en 1901. Rares sont ceux qui en sortiront vivants.
La désinformation est importante, mais le récit des exactions commises par Trotha finit par parvenir en Europe. Il est relayé surtout par la presse de gauche, anticolonialiste. En août 1905, L'Aurore, dans un article très critique, retranscrit un document signé de la main du général allemand [Voir l'archive] :
"« La nation des Héréros, annonce-t-il, doit disparaître du territoire. » Il les y contraindra par le canon. Mais comme cela ne peut suffire, il est décrété par le général von Trotha que « tout Héréro, avec ou sans fusil, avec ou sans bétail, qui sera trouvé sur le territoire de la colonie sera fusillé ». « Je ne recevrai plus dans mes lignes, ajoute-t-il, les femmes et les enfants. Je vous les renverrai ou je ferai tirer sur eux »."
L'Humanité cite en septembre 1905 un article de la presse du Cap [Voir l'archive], signé d'un certain William Wison, qui a pris des photos sur place. L'article explique que "le général Von Trotha aurait fait fusiller des indigènes blessés, hommes et femmes, comme ne valant pas la peine qu'on leur portât secours".
Au total, le massacre fit plus de 75 000 victimes (65 000 Héréros et 10 000 Namas). 80 % de la population héréro fut exterminée. Longtemps méconnu, ce génocide est considéré comme le premier du XXe siècle.
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Pierre Ancery est journaliste. Il a signé des articles dans GQ, Slate, Neon, et écrit aujourd'hui pour Télérama et Je Bouquine.