Écho de presse

Les 50 communistes et gaullistes fusillés au camp de Souge

le 14/03/2020 par Michèle Pedinielli
le 26/04/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 14/03/2020
Carte postale du camp militaire de Souge, en Gironde, circa 1925 - source : WikiCommons

En octobre 1941, 50 otages sont fusillés au camp de Souge, près de Bordeaux, en représailles de la mort d’un officier allemand. La presse collaborationniste dénonce le « lâche attentat » antiallemand.

En juin 1941, pour accentuer la pression sur l’occupant allemand, l’Organisation secrète (OS) issue du Parti communiste ordonne de tuer plusieurs officiers nazis.

C’est Pierre Georges, futur colonel Fabien, qui commence le 21 août 1941, en tirant sur un aspirant de la marine allemande dans le métro parisien. Le lendemain, le commandant militaire et chef des troupes d’occupation en France von Stülpnagel publie une ordonnance stipulant que tous les Français de sexe masculin arrêtés par les Allemands ou le gouvernement vichyste pour « activité communiste ou anarchiste » seront considérés comme autant d’« otages ».

Le 16 septembre, Hitler, trouvant la politique répressive insuffisante, exige que 50 à 100 communistes français soient exécutés pour la mort d’un soldat allemand. C’est ce que l’on nomme alors non sans sadisme le « Code des otages ».

Le 20 octobre 1941, Gilbert Brustlein, adjoint du colonel Fabien, assassine le lieutenant-colonel Karl Holtz à Nantes. Le lendemain, c’est le Kriegsverwaltungsrat (conseiller militaire) Hans Reimers qui tombe sous les balles des résistants, à Bordeaux.

« On télégraphie de Nantes qu'alors qu’il se rendait à son quartier général, le lieutenant-colonel allemand Hotz a été tué à coups de révolver par des inconnus qui ont réussi à prendre la fuite ; à la suite de cet attentat, 50 otages ont été fusillés.

À Bordeaux, quatre jeunes gens ont assassiné à coups de revolver un officier allemand sur le boulevard St-Georges. Les autorités d’occupation ont procédé à l'arrestation de cinquante otages. Les assassins sont activement recherchés. »

Pour la mort de Hotz à Nantes, 48 otages sont exécutés à Châteaubriand, Nantes et Paris.

À Bordeaux, 50 personnes sont immédiatement extraites du camp de Mérignac et du fort du Hâ afin d’être fusillées au camp de Souge, une ancienne base militaire transformée en lieu d’exécution par l’armée allemande. Les journaux publient le communiqué de Von Stülpnagel, dénonçant ce qu’il nomme les « lâches assassins à la solde de l’Angleterre et de Moscou ».

« Les autorités allemandes ont publié, hier, l'avis suivant :

Au crépuscule du 21 octobre 1941, un jour après le crime qui vient d'être commis à Nantes, de lâches assassins à la solde de l'Angleterre et de Moscou, ont tué, à coups de feu tirés traîtreusement, un officier de l'administration militaire allemande à Bordeaux.

Les assassins ont réussi à prendre la fuite. Les meurtriers de Nantes non plus ne sont pas encore entre mes mains.

Comme première mesure de représailles du nouveau crime, j'ai ordonné une fois de plus de fusiller 50 otages. »

Les 50 otages exécutés sont pour la plupart des militants communistes ou syndicalistes, des gaullistes et des personnes incarcérées pour des faits que l’on désigne par « action en faveur de l’ennemi ». Tous sont alors considérés comme des « ennemis de la patrie », comme le soulignent les journaux collaborationnistes.

Pour faire plier la population bordelaise, l’administration allemande encourage également la délation.

« J’offre en récompense une somme totale de 15 millions de francs aux habitants de la France qui contribueront à découvrir les coupables.

Toutes informations utiles pourront être déposées à n'importe quel service de police allemand ou français, sur demande, ces informations seront regardées comme confidentielles. »

Plus grave encore, 50 nouveaux otages sont menacés du peloton d’exécution si les coupables ne sont pas saisis avant le 26 octobre à minuit.

Au passage, Bordeaux et quinze communes girondines (Bassens, Bègles. Bouliac, Bruges, Caudéran, Cesson, Eysines, Floirac. Le Bouscat, Lormont, Carrignan, Talence, Pessac, Villenave-d'Ornon et Gradignan) sont mises à l’amende : 10 millions de francs « prélevés sur les fonds publics » de ces communes doivent être versés immédiatement à l’administration allemande.

Dans la presse et sur les ondes, le Maréchal Pétain et l’amiral Darlan en appellent au « bon sens » du peuple français pour « faire cesser la tuerie ».

« Le Maréchal Pétain, dans une poignante allocution, a adjuré le peuple français de “faire cesser la tuerie”.

Il y a juste un mois, parlant à la radio au sujet des attentats de Paris, le Maréchal disait : “Il n'est pas conforme à la tradition des Français d'attaquer dans l'ombre des soldats obéissant à leurs consignes.”

Aujourd'hui, à nouveau, il demande à tous, d'une voie brisée par la douleur, d'aider la justice afin de mettre un terme à ces complots.

C'est également pour arrêter le ruisseau de sang qui coule à nouveau sur la France que le vice-président du Conseil, après le chef de l'État, s'est adressé au pays. L'amiral Darlan a flétri des assassinats qui ne pouvaient que compromettre une situation déjà difficile. Il a déclaré que ces actes abominables “étaient accomplis par des agents de puissances étrangères qui cherchent, dans leur seul intérêt, une aggravation des relations entre les troupes d'occupation et la population française”.

Au nom du Maréchal il a fait appel à la loyauté, au bon sens et au patriotisme de cette dernière. »

Le préfet de Bordeaux François Pierre-Alype n’est pas en reste pour exhorter la population à activement collaborer contre les « ennemis de la patrie ».

« La population a le devoir de participer loyalement et activement à toutes les mesures qui sont décidées pour découvrir les coupables et éviter, dans notre région, le retour des lâches attentats, dont les terribles conséquences ne sont pas oubliées.

Au lendemain du meurtre du commandant Reimers et après le message si pathétique du maréchal Pétain, j'ai adressé un pressant appel à la population en spécifiant que l'honneur de notre pays exigeait qu’on lui répondît.

Je renouvelle aujourd’hui cet appel, certain que, comme hier, il sera compris et entendu. Chacun va avoir à cœur de seconder l'action du gouvernement dans la lutte qu’il a engagée pour mettre hors d’état de nuire les ennemis de la patrie.

–Le Préfet régional, F. PIERRE-ALYPE »

Et pour que le peuple de France soit bien sûr que les exécutions d’otages sont une nécessité, Marcel Déat, futur ministre du Travail du gouvernement Laval, prend la plume dans L’Œuvre, sous le titre « Le jeu des assassins ».

« Là-dessus on nous dira : “Puisqu’on est persuadé que les tueurs sont des agents de l'Angleterre, pourquoi fusille-t-on des Français en représailles ?” Cet argument court les rues, et on voit bien d'où il part et à quoi il tend. […]

D'abord parce que, si l'inspiration est anglaise, il y a de grandes chances pour que l'exécution soit française. Souhaitons qu'elle soit simplement gaulliste, ce qui est d'une appartenance assurément moins directe à la nation. Surtout si quelques-uns de ces fous et des ces traîtres sont revenus exprès de leur émigration. […]

Si dure que soit la répression, on ne voit pas comment les autorités occupantes pourraient l'éviter. Il y a nécessité pour l'armée allemande de protéger ses membres, et de couper court à cette contagion de meurtre. […]

L'expérience semble prouver que si l'opinion, au lieu de demeurer passive, réagit contre ces actes abominables, le climat fait défaut aux exécuteurs, et ils ne se sentent plus suffisamment à l'aise pour renouveler leurs entreprises. »

Pour montrer la « clémence » de l’armée occupante, le Führer sursoit à l’exécution des 50 otages complémentaires, lesquels sont rapatriés en prison au camp de Mérignac et dans le fort du Hâ, en attendant une nouvelle menace.

Dans les faits, le camp de Souge demeure l’un des plus grands lieux d’exécution en France pendant la Seconde Guerre mondiale, avec 256 hommes fusillés entre 1940 et 1944.

Parmi les 50 personnes assassinées le 23 octobre 1941, il y avait de nombreux hommes de la région (les listes d’otages étant établies par le préfet de Gironde), notamment les syndicalistes Alfred Charlionnet et Laurent Puyoo, les gaullistes Jean Michel et Louis Guichard (18 ans tous deux) ou Pierre Lerein, jeune distributeur de tract âgé de 19 ans.

Il y avait aussi Roger Allo et le docteur Charles Nancel-Penard. Tous deux membres du Parti communiste, anciens brigadistes aux côtés de l’Espagne républicaine, ils s’étaient vus proposer un marché accordé par le préfet François Pierre-Alype : signer une déclaration de reniement de leur engagement, en échange de la vie sauve.

Les deux l’ont refusé.

 

L’association du souvenir des fusillés de Souge possède la liste et la biographies complète des otages exécutés dans le camp : http://www.fusilles-souge.asso.fr.