Écho de presse

Les déserteurs de la Grande Guerre, bêtes noires de la presse

le 16/06/2019 par Marina Bellot
le 18/10/2018 par Marina Bellot - modifié le 16/06/2019
Campements de soldats en Argonne transformés par les pluies en village lacustre, Agence Rol, 1915 - source : Gallica-BnF
Campements de soldats en Argonne transformés par les pluies en village lacustre, Agence Rol, 1915 - source : Gallica-BnF

Bien que très marginaux, les déserteurs de la Première Guerre mondiale ont fait l'objet de sévères critiques dans la presse d'alors, qui les assimilait à des « lâches » et des « criminels ». 

Au moment de l’entrée en guerre de la France, en août 1914, le code de justice militaire prévoit la peine capitale pour un certain nombre de délits, notamment pour la désertion, comme en dispose l’article 238 : 

« Est puni de mort, avec dégradation militaire, tout militaire coupable de désertion à l’ennemi. »

Nul ne conteste alors que la désertion ou l’abandon de poste en présence de l’ennemi soient passible de la peine de mort.

S'il est admis aujourd'hui que la désertion fut en réalité marginale et n’a en rien influencé le cours de la guerre, le phénomène était néanmoins largement dramatisé pendant le conflit.

L’opprobre jeté sur les soldats déserteurs semble aveugle au désespoir qui mène alors ces hommes souvent très jeunes à refuser de rejoindre le front, qui est alors un immense charnier. 

En septembre 1915, le journal local La Gazette du pays basque rapporte l'arrestation d’un soldat qui, tentant de gagner l'Espagne accompagné de sa mère, a été contraint de se travestir en femme :

« L’admirable habillage et maquillage fut découvert, et voici ce que révéla l’interrogatoire : Lui – celui qui était déguisé en jeune fille – était soldat de la classe 1912, dans un régiment de l’Est, opérant en Argonne. [...]

Le déserteur, qui est né à Palerme, et qui se nomme Jean G..., a reconnu expressément son intention de déserter.

La mère, née en 1863, confirme tout ce qu’a dit le fils, mais veut prendre sur elle toute la responsabilité du crime dont le déserteur va avoir à répondre et se montra atterrée de voir – trop tard, hélas ! – les tragiques conséquences de l’acte dont elle s’est rendue coupable. »

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Toute acquise à sa « participation » à l'effort de guerre, la presse se montre extrêmement dure envers les déserteurs et les insoumis, appelant à une sévère répression envers ces « lâches » et ces « criminels ». 

La Gazette du pays basque, région où la désertion aurait été parmi la plus forte du pays, déplore ainsi au début de l'année 1917 les bruits selon lesquels les déserteurs pourraient faire l'objet d'une amnistie après la guerre : 

« Nous avons dit plusieurs fois, depuis le début de la guerre actuelle, faire justice d’une illusion pitoyable et pernicieuse qui tendait à se répandre dans les campagnes du Pays Basque et, d’après laquelle, les déserteurs et insoumis qui se seront dérobés au plus sacré des devoirs peuvent compter sur une amnistie dans un temps plus ou moins long après la cessation des hostilités.

On nous a même rapporté l’argument avec lequel on entretient de telles espérances : “La France aura tant besoin d’hommes après la guerre qu’il faudra bien rappeler ou laisser rentrer ceux qui sont à l’étranger.”

Si jamais, dans le cours des siècles, une amnistie a été impossible c’est bien celle qu’on a osé invoquer. Non ! nous l’avons déjà dit et nous sommes autorisés à le répéter, non, le crime est trop grand pour qu’aucun pardon soit possible en faveur de ceux qui ont lâchement failli à leur devoir. »

En mars 1918, alors qu'une loi renforçant les sanctions contre les déserteurs – et permettant notamment leur condamnation par contumace – est votée, le toujours très conservateur Petit journal se réjouit :

 « Pas de pardon pour les crimes envers la patrie ! Après quarante-trois mois de guerre, nos législateurs viennent de s'apercevoir soudain que les lois contre la désertion étaient insuffisantes ; et ils se sont mis à l'œuvre pour les renforcer. Tout vient à point à qui sait attendre.

Ils ont rétabli contre les déserteurs la contumace qui permet de les condamner par défaut, ce qui naguère était impossible. Ils ont décidé la confiscation des biens des déserteurs et des insoumis, et prévu également le châtiment de quiconque aura provoqué à la désertion ou l'aura favorisée. Tout cela est fort bien.

Mais nos législateurs n'ont oublié qu'une chose qui nous paraît essentielle : c'est de décider que, dorénavant, pas plus en temps de paix qu'en temps de guerre, le crime de désertion ne pourra être effacé par aucune amnistie.

Il paraît que, depuis le début de la guerre, beaucoup de déserteurs sont rentrés spontanément se mettre au service du pays ; il paraît que les cas de désertion et d'insoumission ont été beaucoup moins nombreux qu'en temps de paix. Cela, évidemment, est tout à l'honneur du caractère français. Mais le devoir national n'est pas moins sacré en temps de paix qu'en temps de guerre ; et ceux qui s'y dérobent ne sont jamais excusables. »

Et de dénoncer la « propagande infâme et criminelle » contre l’armée et la patrie :

 « Cet accroissement régulier du nombre des insoumis et des déserteurs résultait de deux causes : d'abord, l'indulgence traditionnelle pour les réfractaires ; ensuite, le développement continu et sans cesse grandissant d'une propagande criminelle contre l'armée et la patrie, propagande menée librement, sûrement, avec un esprit de suite et une méthode qu'on eût voulu voir appliquer dans la répression de ces actes abominables. 

Pendant plusieurs années, cette propagande ne désarma pas un seul instant et ne négligea aucun des moyens efficaces inventés par la publicité moderne.

Nous avons vu naguère sur les murs de Paris des affiches antimilitaristes dans lesquelles on disait aux conscrits : “Jeunes gens, qui n'êtes pas patriotes et qui ne voulez accepter aucune parcelle d'autorité, désertez !” »

Affiche de la Fédération communiste anarchiste en faveur de la désertion, octobre 1912 - Domaine public
Affiche de la Fédération communiste anarchiste en faveur de la désertion, octobre 1912 - Domaine public

À l’inverse, les déserteurs de l’Alsace-Lorraine alors allemande, qui refusent de servir sous le drapeau germanique, sont présentés comme des héros et martyrs, comme ici dans le journal socialiste L’Œuvre

 « Les innombrables condamnations pour haute trahison et désertion infligées aux Alsaciens-Lorrains par les tribunaux allemands sont la preuve la plus évidente de la triomphante victoire de la pensée française, après un demi-siècle de lutte, sur la force germanique, victoire qui est le vrai “miracle” contemporain ». 

Pendant la Première Guerre mondiale, la France a compté entre 600 et 650 soldats fusillés pour des crimes militaires, dont environ 240 pour désertion à l’ennemi. Au total, ils auraient été moins de 16 000 hommes par an à déserter pendant le conflit, un chiffre dérisoire comparé aux près de 9 millions de soldats français enrôlés.

En 1919, une loi permettra l'amnistie des déserteurs s'étant rendus volontairement avant le 1er novembre 1918 et si la durée de la désertion n'a pas excédé deux mois. Elle sera complétée par une deuxième loi d'amnistie en 1921, qui instaurera un recours contre les condamnations prononcées par les conseils de guerre spéciaux.

Pour en savoir plus :  

Le rapport d'Antoine Prost, Quelle mémoire pour les fusillés de 1914-1918 ?, via le site de la Documentation française