Écho de presse

La défaite turque en 1918 et la chute de l’Empire ottoman

le 29/10/2023 par Pierre Ancery
le 06/11/2018 par Pierre Ancery - modifié le 29/10/2023
Prisonniers turcs encadrés de soldats britanniques à Gallipoli, Turquie, Agence Rol, 1915 - source : Gallica-BnF
Prisonniers turcs encadrés de soldats britanniques à Gallipoli, Turquie, Agence Rol, 1915 - source : Gallica-BnF

La défaite des Turcs à l'issue de la Première Guerre mondiale conduit à la dislocation de l'Empire ottoman. La presse française applaudit. Mais le dépècement qui s'ensuit sera lourd de conséquences géopolitiques.

L'Empire ottoman avait duré six siècles. Quatre années de guerre auront suffi à causer sa chute définitive. Le 30 octobre 1918, les Turcs vaincus signent avec les Britanniques l'armistice de Moudros, qui règle les détails de leur capitulation.

Le Journal des débats politiques et littéraires écrit le 2 novembre :

« Dans la nuit du 30 au 31 octobre, à Moudros, la Turquie a signé avec les Alliés un armistice qui équivaut à une capitulation. Elle leur ouvre les Détroits, leur livre les forts du Bosphore et des Dardanelles et leur rend leurs prisonniers. Cet événement est la suite naturelle de la capitulation bulgare et la conséquence de la défaite allemande sur le front d'Occident […].

Il est trop tôt pour parler du sort de ce qui fut l'empire ottoman. C'est une question complexe, compliquée, hérissée de difficultés. Elle exige une étude approfondie. Toutefois, dès à présent, il convient de s'inspirer des principes suivants.

Les peuples assujettis, qui ont une histoire et une personnalité propres, qui ont subi une longue domination fondée sur l'arbitraire et le massacre, devront être libérés et constitués en États distincts, sous un contrôle amical, qui leur permettra de se constituer et de s'organiser. D'autres parties de l'empire seront placées sous un contrôle plus direct d'un ou de plusieurs des alliés.

Seule la Turquie proprement dite restera sous la souveraineté directe du sultan.  »

14-18 : Les journaux en guerre

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L'Empire ottoman, en déclin depuis le XVIIIe siècle, avait perdu ses dernières provinces européennes en 1913, à l'issue de la seconde guerre balkanique. Mais au début de la Première guerre mondiale, son étendue restait immense : outre l'actuelle Turquie, il couvrait une grande partie de l'Arabie, mais aussi les territoires actuels de l'Arménie, Syrie, Irak, Liban, Jordanie et Israël.

Au lendemain de l'armistice de Moudros, L'Intransigeant évoque la fin de cette hégémonie et le sort de ces peuples « assujettis » :

« La guerre turque a aussi été marquée, ne l'oublions pas, par les odieux massacres inspirés par l’Allemagne et dans lesquels périrent plus d’un million d’Arméniens, par les exactions et les pendaisons dont souffrirent les Grecs, les Syriens, les Libanais, par la révolte des Arabes, maîtres aujourd’hui des lieux saints de l’Islam.

Nous éviterons le retour de pareilles atrocités. Nous appliquerons aux nationalités de l’Empire ottoman les principes du président Wilson. »

En effet, le gouvernement turc, comme le souligne l'article, avait organisé entre 1915 et 1916 le génocide des arméniens, un fait qui fut très tôt dénoncé par la presse française.

Alliés aux Allemands pendant la guerre, les Turcs vaincus ne trouvent donc quasiment aucun défenseur dans la France de la fin 1918. À l'exception notable de l'écrivain Pierre Loti, turcophile de longue date, qui signe dans L’Écho de Paris du 1er novembre une longue tribune en leur faveur.

« Pendant la dernière guerre balkanique, pour les remercier sans doute de l’affectueuse hospitalité qu’ils nous avaient de tous temps donnée dans leur pays, nous les avons grossièrement insultés, à jet continu, dans presque tous nos journaux – ce qui a causé, je le sais, la plus douloureuse stupeur. C’est en désespoir de cause qu’ils se sont jetés dans les bras de l’Allemagne détestée […].

Je disais qu’ils n’étaient pas nos ennemis, ces Turcs calomniés, et qu’ils ne nous avaient fait la guerre qu’à contrecœur. Je disais, en outre, et j’ai dit toute ma vie qu’ils composaient l’élément le plus sain, le plus honnête de tout l’Orient – et le plus tolérant aussi […]. »

Mais dans le contexte de la victoire alliée et après la révélation des horreurs du génocide arménien, cette position ne rencontre guère d'écho. L'heure est au démantèlement de l'empire honni – et au partage des territoires libérés.

Dans ce but, Français et Britanniques, qui rêvent depuis longtemps d'accroître leur influence au Proche-Orient, ont signé en secret, en 1916, les accords Sykes-Picot. Ces derniers prévoient le partage des territoires orientaux ottomans entre les deux puissances, une fois le conflit terminé.

Le sort de ces provinces mettra toutefois du temps à être réglé. En juin 1919, Le Miroir se pose la question : « Que va-t-il advenir de l'Empire ottoman ? »

« La Turquie ayant pris position, en 1914, contre l'Entente, il apparut que son sort devait être aussi réglé : c'est-à-dire qu'elle avait mérité d'être rayée de la carte. De 1915 à 1917, des traités secrets furent conclus entre les puissances alliées qui la divisaient en zones d'influences.

Il y avait des zones française, anglaise, russe, italienne : française en Syrie, anglaise en Mésopotamie, russe en Arménie, italienne à Adalia. Il s'agissait à la fois de libérer les nationalités chrétiennes d'Orient du joug ottoman et de réserver les intérêts économiques des grands États […].

Lorsque la Conférence eut à statuer elle se heurta à des difficultés. La Russie avait disparu, ses droits devenaient caducs. Les revendications arabes, soutenues par le cabinet de Londres, s'affirmaient plus larges qu'on ne l'avait cru.

Les Syriens, dont on mutilait le pays, protestaient contre la dislocation de leur nationalité. Les Arméniens prétendaient ériger un État qui irait de la mer Noire à la Méditerranée, de Trébizonde à Alexandrette. Les Kurdes et les Assyro-Chaldéens proclamaient leur désir de liberté […].

Il n'était pas jusqu'à la question sioniste qui ne suscitât quelque embarras. »

La conférence de San Remo, en avril 1920, fixe le sort des provinces arabes de l'Empire ottoman au Proche-Orient. Les Français reçoivent un mandat sur la Syrie et le Liban, tandis que la Palestine est placée sous mandat britannique (la déclaration Balfour, en 1917, y avait reconnu un « foyer national pour le peuple juif »).

Le traité de Sèvres, en août 1920, va entériner ce partage et sonner officiellement le glas de l'Empire ottoman. Celui-ci renonce à ses territoires arabes et perd une partie des ses provinces anatoliennes. La Thrace, à l'exception de Constantinople, est donnée à la Grèce. L'Arménie devient indépendante et un État kurde, qui fera long feu, est également créé. L'armée ottomane est quant à elle dissoute.

À aucun moment, les populations locales ne sont consultées.

L’Ouest-Éclair annonce le lendemain de la signature que le traité de Sèvres met totalement fin à la Grande Guerre :

« Depuis hier, la guerre de 14-18 est officiellement terminée par la signature de la paix avec la Turquie […].

Le dernier traité de paix avec les puissances qui ont combattu contre l'Entente au cours de la grande guerre étant signé, l'état de paix est maintenant officiellement rétabli avec tous nos anciens ennemis. »

A l'issue de la guerre greco-turque, le traité de Lausanne, plus avantageux pour les Turcs, remplacera toutefois celui de Sèvres en 1923. Il est à l'origine, à peu de choses près, du tracé de la Turquie actuelle.

Pour en savoir plus :

Yves Ternon, Empire ottoman, le déclin, la chute, l'effacement, éditions du Félin, 2002

Henri Laurens, Comment l'Empire ottoman fut dépecé, article paru dans Le Monde diplomatique, 2003

Robert Mantran (dir.), Histoire de l'Empire ottoman, Fayard, 2003