Écho de presse

Octobre 1918 : l'implosion de l'empire austro-hongrois

le 15/12/2022 par Pierre Ancery
le 08/11/2018 par Pierre Ancery - modifié le 15/12/2022
Soldat autrichien mort sur le champ de bataille, agence Rol, 1915 - source : Gallica-BnF
Soldat autrichien mort sur le champ de bataille, agence Rol, 1915 - source : Gallica-BnF

La défaite de l'Autriche-Hongrie à la fin de la Première Guerre mondiale sonne le glas de cet empire supranational créé en 1867. Au nom du principe de souveraineté nationale, sept États-nations vont se partager son territoire démantelé.

Le 26 octobre 1918, Le Journal pose la question : « Y a-t-il encore une Autriche-Hongrie ? »

« Zurich, 25 octobre […].

 

La situation en Autriche-Hongrie est telle que je crois pouvoir annoncer qu'avant peu nous serons mis en présence de la capitulation de la monarchie, qui s'en remettra, pour ainsi dire, à la grâce des Alliés. »

14-18 : Les journaux en guerre

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Les événements qui se sont succédés au cours des dernières semaines semblent en effet annoncer la fin de l'Autriche-Hongrie. La défaite paraît inéluctable pour la double monarchie créé par le compromis de 1867 et dirigée par la famille des Habsbourg-Lorraine, alliée pendant la guerre à deux autres grandes monarchies d'Europe centrale et du Proche Orient, les empires allemand et ottoman.

 

C'était ce même vieil empire héritier de Charles Quint qui avait enclenché la Première Guerre mondiale en déclarant la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914.

 

En octobre 1918, l'armée austro-hongroise a été défaite par les Alliés lors de la bataille décisive de Vittorio Veneto, sur le front italien. Agrégat de différentes nationalités (allemande, magyare, slaves et latines notamment), l'Autriche-Hongrie vaincue va devoir faire face aux revendications autonomistes de ces dernières.

 

Galvanisées par la révolution russe de 1917, les peuples soumis à Vienne (50 millions d'habitants en tout) vont en effet profiter de la défaite impériale pour se soulever et déclarer leur indépendance, sur le principe de la souveraineté nationale.

 

C'est ce qu'explique notamment le journal conservateur Le Gaulois le 26 octobre, sous le titre « La révolution en Autriche-Hongrie » :

« On télégraphie de Vienne à la Gazette :

 

Les événements de Hongrie produisent ici l'effet d'une canonnade qui se rapproche constamment. On doute qu'un cabinet Karolyi, même en supposant qu'il soit renforcé par les socialistes et les représentants des nationalités, ait la force nécessaire pour empêcher la dissolution du pays.

 

La Croatie est déjà complètement séparée. À Ayram, la révolution a triomphé sans effusion de sang, sans la moindre difficulté. Il est impossible d'opposer la moindre résistance aux armées de l'Entente, qui s'avancent vers les régions sud-slaves et il faut s'attendre à ce que l'Autriche-Hongrie capitule complètement d'ici peu. »

Acculée militairement, l'Autriche-Hongrie capitule en effet le 28 octobre. L'annonce fait la Une de tous les journaux français, à l'instar de L'Echo d'Alger qui table sur une capitulation allemande consécutive :

« Le Gouvernement austro-hongrois reconnaît l'indépendance des peuples slaves soumis à son autorité et demande à négocier une paix séparée […].

 

Un fait notable, de conséquences presque incommensurables, résulte de la note autrichienne : celle-ci déchire, en effet, d'un trait de plume, l'alliance austro-allemande, et c'est avec quelque curiosité qu'on attend l'effet qui sera produit à Berlin et dans toute l'Allemagne par le “lâchage” – disons le mot : par la trahison de celui qu'on se plaisait à appeler : le brillant second. »

Pour Le Journal du même jour, la capitulation signifie que « la monarchie des Habsbourg reconnaît le droit des nationalités ». Le journal s'interroge sur les suites de ce démantèlement, et craint que l'Allemagne n'en tire bénéfice :

« Les convulsions des derniers jours ont fait apparaître aux yeux de tous le péril que nous avons signalé maintes fois dès le début de la guerre. La dislocation totale de la monarchie des Habsbourg risque de renforcer l'Allemagne de 12 millions d'Allemands d'Autriche et d'autant de Magyars. Il se formerait ainsi un bloc compact de 80 millions de Germains, étreignant de ses tentacules des États slaves en pleine formation.

 

Le cas, déjà sérieux quand il y avait une Russie, devient plus que grave alors que tout le monde slave est dans le chaos. Dans ces conditions, on doit se demander s'il est vraiment impossible de conserver, sous une forme modernisée, les cadres d'une fédération du sud de l'Europe centrale, capable de faire équilibre à une Allemagne diminuée. »

Conséquence logique de la capitulation, Charles 1er, empereur d'Autriche et roi de Hongrie, intronisé en novembre 1916, annonce le 12 novembre 1918 qu'il abdique. Pour le quotidien de droite Le Journal, favorable au maintien de l'empire et qui redoute au passage une contagion de la révolution allemande, c'est « la fin des Habsbourg » :

« La rafale qui souffle sur l'Europe centrale vient de balayer ce qui restait du trône des Habsbourg. Si une chose peut surprendre, ce n'est pas que cet écroulement survienne, c'est qu'il ait tardé jusqu'ici.

 

Depuis trois semaines, l'empereur Charles offrait ce spectacle paradoxal d'un prince maintenant une action de souveraineté au milieu de l'abandon de tous ses sujets. Phénomène simplement curieux à ne considérer que les survivances du passé, mais plein d'intérêt par les possibilités d'avenir.

 

Tant que subsistait le lien dynastique qui a réuni, pendant des siècles, des peuples animés de fort peu de tendresse les uns envers les autres, il restait une chance de voir se réveiller la conscience des solidarités économiques et géographiques.

 

Pourquoi s'est-il brisé, ce lien qui n'avait véritablement plus rien de gênant, puisque l'empereur Charles laissait aux nationalités toute liberté de fixer leurs destinées ? On ne nous le dit pas en propres termes, mais les faits parlent.

 

C'est à Vienne que se produit la rupture, c'est-à-dire au cœur de l'Autriche allemande. Cette Autriche allemande subit l'attraction de la révolution de Berlin et l'empereur Charles s'incline devant la communion des démocraties germaniques. L'abdication d'hier est la première manifestation du pangermanisme rouge. Sachons en comprendre la gravité. »

Le même Journal, début décembre, envoie un reporter dans la Vienne « affamée », capitale historique du défunt empire. Le journaliste semble se féliciter des souffrances endurées par la population :

« Ah ! l'Autriche expie durement aujourd'hui tous les crimes qu'elle a sur la conscience. Le peuple souffre, il est affamé, il chôme. La mortalité est effroyable, la tuberculose fait dans les populations des ravages inouïs.

 

Ah ! les prisonniers italiens. roumains, serbes et russes, que l'Autriche a assassinés froidement, qu'elle a laissés mourir à petit feu ou qu'elle a livrés en pâture à la phtisie, cette grande faucheuse, sont bien vengés.

 

Si, aujourd'hui, ils pouvaient assister aux souffrances de ceux qui les ont tant torturés, je crois qu'ils remercieraient Dieu de leur avoir donné cette suprême satisfaction. »

Le 15 décembre, L'Humanité se réjouit du démantèlement de l'empire austro-hongrois et salue la victoire des peuples qui ont arraché leur droit à l'auto-détermination. Le quotidien compare la situation à celle de la Russie lors de la révolution de 1917, faisant une lecture sociale des soulèvements indépendantistes.

« L'Autriche-Hongrie s'est disloquée de même que la Russie tsarienne, et ce morcellement, de part et d'autre, s'explique par les raisons les plus simples. Il n'eût été conjuré que par une pratique large et loyale du fédéralisme. Or [...] le gouvernement de Vienne ne l'a accueilli que trop tard, et lorsque la catastrophe était inévitable [...].

 

Le démembrement qui a eu lieu a offert, en effet, à la fois un caractère social et un caractère ethnique. Les nationalités n'ont pu s'émanciper que parce que la classe ouvrière avait jugé venue l'heure de l'effort suprême contre un état de choses suranné, humiliant et oppressif. Les partis nationaux n'eussent presque rien pu par eux-mêmes. »

Le territoire austro-hongrois va être partagé entre sept États : la Tchécoslovaquie, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (future Yougoslavie), la Pologne (par conséquence de la défaite allemande et qui ressuscite un État polonais après 120 ans de disparition), la république d'Autriche allemande, la République démocatique hongroise, tandis que les royaumes de Roumanie et d'Italie récupèrent chacun une partie de l'empire dépecé.

 

Ces changements majeurs seront consacrés par les traités de Saint-Germain en 1919 et du Trianon en 1920, par lesquels les Habsbourg se voient interdits de résider en Autriche. Le redécoupage territorial provoquera toutefois une myriade de contentieux liés aux frontières et à la présence, dans chaque nouvel État, de minorités nationales.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Jean-Paul Bled, L'Agonie d'une monarchie : Autriche-Hongrie 1914-1920, Tallandier, 2013

 

Catherine Horel, La fin de l'Autriche-Hongrie : réflexions sur l'Europe centrale après 1918, Les Cahiers Irice, 2015, article paru sur cairn.info

 

Max Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre mondiale : La fin d'un empire, Éditions Soteca, 14-18 Éditions, 2011