Écho de presse

Les petits brigadistes : engagements et fugues d’adolescents vers la guerre d’Espagne

le 26/03/2021 par Édouard Sill
le 04/04/2019 par Édouard Sill - modifié le 26/03/2021
Jeunes miliciens à l'arrière des barricades, Le Petit Journal, 1936 - source : RetroNews-BnF
Jeunes miliciens à l'arrière des barricades, Le Petit Journal, 1936 - source : RetroNews-BnF

Au début de la guerre civile, la presse relaie les diverses arrivées (et exploits militaires) d’adolescents, garçons et filles, venus gonfler les rangs des Brigades internationales. L’opinion s’émeut de ces enfants « trompés ».

Au commencement de la guerre civile espagnole, la jeunesse des combattants, notamment du côté républicain, fascine les observateurs étrangers. Ils y trouvent également matière pour représenter le conflit par des contrastes simples.

À l’évidence, ces « gosses » incarnent à merveille le topique d’une jeune Espagne antifasciste aux prises avec la vieille Espagne conservatrice : « Que j'en ai vu de ces petits Bara, de ces petites Viala, de ces petits héros, anonymes guérilleros, de 12 ou 13 ans qui lèvent le poing comme de vieux militants et qui meurent comme des hommes » ! Louis Aragon célèbre alors cette « Espagne en armes [qui] a mis sa jeunesse dans la grande lumière des combats ».

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La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939

Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.

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On s’ébahit de l’omniprésence de ces petits soldats, de cette guerre de jeunes :

« Un quart ou un tiers de la troupe est composé de jeunes filles ou de jeunes femmes. La moitié seulement porte un fusil. Quelques-uns, parmi les autres, un revolver.

La plupart vont la tête nue. Quelques casques de guerre tranchent d'une façon bizarre et cruelle sur toutes ces chevelures frisées ou lustrées. Sur les trottoirs, une foule de fête regarde et s'amuse, comme s'il s'agissait de l'équipement d'un jour de mi-carême. La rue tout entière pépie d'ailleurs comme une volière.

Tout ce petit monde, divisé en quatre sections d'une cinquantaine de combattants chacune, paraît fort joyeux. Un camion de brasserie arrive, plein à rebord de nouveaux volontaires-enfants. Mille cris les accueillent. Ils sautent du camion.

Surprise ! ces enfants sont presque tous des filles. »

Alors, naturellement on les photographie, sous des poses viriles ou pathétiques tandis que Le Populaire s’émeut de ses « Gavroches espagnols tombés comme des braves ».

Naturellement, on en profite aussi pour sermonner avec condescendance le gouvernement républicain espagnol qui « averti, fera sans doute quelque chose pour eux. La solution radicale serait de leur interdire le courage. Jacobins d'Espagne, ne laissez plus les enfants jouer avec la mort ! ».

À Paris, les députés conservateurs pointent du doigt leurs homologues espagnols, jugés responsables de cette « anarchie » ayant rendu possible le fait de de donner un fusil à « tout Espagnol de quinze ans qui en a exprimé le désir ». D’ailleurs, ne surnomme-t-on pas Madrid « La ville des gosses au mauser » ?

Très vite, de jeunes immigrés espagnols quittent leurs banlieues parisiennes pour les tranchées de Madrid, d’où ils envoient des lettres enflammées à leurs camarades qui rêvent aussi d’Espagne – et qui prendront la route à leur tour.

Ainsi parmi les plus de quarante mille étrangers, combattants ou non, venus en Espagne durant la guerre civile, figurèrent des centaines d’adolescents. Les plus jeunes avaient l’âge de quatorze ans, la plupart entre dix-sept et vingt. Beaucoup d’autres n’ont pas réussi à rejoindre l’Espagne, objet de leur périple, le plus souvent initié par une fugue du foyer parental ou de l’institution de tutelle. En effet, ces très jeunes aspirants aux champs de bataille espagnols étaient tous légalement mineurs (de moins de 21 ans, donc) et assujettis de fait à l’autorité de leurs parents. Lorsqu’ils anticipent le désaccord parental, ils laissent derrière eux une lettre expliquant leur geste, leur désir de combattre en Espagne, des motivations pas toujours conformes à leur désir de prendre le large – la guerre d’Espagne figurant souvent un écran pratique à l’imaginaire.

La grande majorité d'entre eux s'engagent aux côtés de la République espagnole. Dissimulant leur âge, ils sont enrôlés dans les Brigades internationales ou rejoignent les milices paramilitaires des différentes organisations politiques. En décembre 1937, sur un panel de 1 265 Français enrôlés dans les Brigades internationales, 17 avaient moins de 20 ans et 212 de 20 à 25 ans. Les jeunes gens se disant anarchistes ont souvent quant à eux rejoint les colonnes anarcho-syndicalistes catalanes, en vue d’édifier un communisme libertaire. Ils ne choisissent pas toujours leur affectation, qui dépend de leur capacité à convaincre ou à se dissimuler.

Tout d’abord, on ne cache pas leur présence parmi les Brigades internationales, qui atteste de l’enthousiasme pour la cause – quoi qu’en insistant paradoxalement sur leur trop grande jeunesse. L’un de ces gosses les plus fameux, bientôt encensé par la presse communiste pour cette raison, est le jeune Rémi Georges, futur Colonel Fabien. À 16 ans il rejoint les Brigades internationales en mentant sur son âge, mais sa conduite héroïque n’empêchera pas son prompt rapatriement.

En effet, initialement peu regardantes, les autorités militaires espagnoles comme les Brigades internationales refusèrent rapidement les volontaires trop jeunes ou réclamés. On tâchait d’éviter mauvaise presse en renvoyant ces jeunes gens chez eux, avec toutefois de nombreuses exceptions, suivant les motivations plutôt que les supplications des intéressés.

Ces petits volontaires se retrouvent également dans les rangs franquistes. Ces jeunes gens sont venus en Espagne par anticommunisme ou, en majorité, pour défendre le catholicisme. La plupart furent incorporés sous une fausse identité dans la légion étrangère espagnole. Certains parvinrent à rejoindre des unités de « requetes », ces miliciens ultra-catholiques de Navarre inscrites dans les traditions monarchistes carlistes qui, plusieurs fois, s’étaient sont insurgés contre le pouvoir central en Espagne au nom des traditions et du Christ.

Les services diplomatiques français conservèrent un œil attentif sur ces petits soldats, notamment ceux dont elle ne put obtenir la démobilisation. À partir de 1939, et jusque durant la Seconde Guerre mondiale, quelques jeunes Français engagés dans les troupes franquistes se tournèrent vers la France pour obtenir leur démobilisation de la Légion étrangère. En effet, considérant leur engagement clôt par la victoire sur les « Rouges », ils étaient désormais astreints à une vie de garnison au Maroc, conclusion inattendue de leurs rêves héroïques des années précédentes.

Habituellement, les signalements de disparition et les actions entreprises pour récupérer un enfant parti en Espagne furent menés avec discrétion par les voies diplomatiques et judiciaires. Mais la presse eut quelquefois l’opportunité d’interviewer un de ces petits soldats.

Tous les pays ont connu une affaire plus ou moins retentissante concernant le périple d’un adolescent parti vers l’Espagne. En France, le petit bordelais Henri Pueyo, occupa ainsi durant quelques semaines les colonnes des journaux. Jeune mécanicien de 14 ans, Henri quittait le foyer familial un matin de novembre 1936 pour ne jamais rentrer. Tandis qu’il était recherché par la police en France, sa tante recevait quelques semaines plus tard une carte laconique : « Un bonjour de Madrid, Henri ». Arrivé à Barcelone, il trouve à s’engager dans une colonne milicienne prenant le départ pour le front de Madrid, dangereusement assiégée. Ce fut le décor d’une incroyable odyssée, presque entièrement issue de sa fertile imagination mais relatée avec détails dans les journaux français et attirant l’attention sur le sort des adolescents français prétendument « détournés », « trompés » voire même « enlevés » pour partir combattre en Espagne.

Ces récits effrayants, comme la douleur des parents, contribuèrent à donner une image odieuse du volontariat vers l’Espagne, les deux camps étant renvoyés dos à dos. On dénonce « la traite des Blancs » qui envoie « à l'abattoir des jeunes gens qui ont l'excuse de l'inexpérience et de la crédulité », le « trafic du sang français ». Les grands titres s’étalent dans la presse quotidienne : « Comment on recrute à Paris des jeunes gens mineurs pour les milices gouvernementales espagnoles ». Ces articles compteront pour beaucoup dans la décision du gouvernement de Léon Blum d’interdire le recrutement et le volontariat vers l’Espagne au mois de janvier 1937.

De fait, la fermeture de la frontière en février 1937, une décision consécutive à l’accord de non-intervention, compliqua considérablement le périple des petits fugueurs, qui échouent le plus souvent au poste de police. On souligne « l’inconscience » des jeunes volontaires français, d’autant plus s’il s’agit de jeunes filles, qu’il faut rapatrier au plus vite.

Enfin, ces aventures d’adolescents forment le support idéal pour des histoires romantiques. La Grande-Bretagne, mais aussi la France, se passionne pour la fugue de l’honorable Deboray Vivian Freeman Mitford, fille de lord Redesdale, 17 ans. Faussant compagnie à sa famille en villégiature à Dieppe, elle rejoint en Espagne son cousin et néanmoins amoureux, Sir Esmond Romilly, neveu de Winston Churchill. Âgé de 18 ans, celui-ci combat durement devant Madrid en compagnie des Brigades internationales, après avoir lui-même quitté subrepticement le giron familial et défrayé la chronique ; ce dernier rédigera plus tard un témoignage saisissant de son expérience de combattant en Espagne.

On s’inquiète alors davantage de la possibilité que les deux tourtereaux « ne contractent un mariage comme il se pratique actuellement en Russie » plutôt que des bombes et des balles. Débarqués tous deux en France par un torpilleur britannique, avec quelques jeunes Français également démobilisés, c’est finalement à Bayonne que les deux fugitifs s’unirent un mois plus tard.

La génération suivante de ces adolescents volontaires va également se tenir au plus près des combats, en rejoignant massivement la France Libre et la Résistance. Ainsi, on relèvera 19 Compagnons de la Libération âgés de moins de 18 ans.

Édouard Sill est chercheur en histoire, spécialiste de l'entre-deux-guerres, notamment de la guerre d’Espagne et de ses conséquences internationales. Il est actuellement doctorant à l’École pratique des hautes études (Paris, EPHE).

Pour en savoir plus :

Édouard Sill, « La croisade des gosses. Fugues, disparitions et enrôlements volontaires de mineurs français en Espagne durant la guerre civile (1936-1939) » in: Vingtième Siècle. Revue d’Histoire n°110, avril- Juin 2011, pp. 19-32

Édouard Sill, « Pénaliser l’idéal ? L’État français confronté au volontariat combattant de ses ressortissants durant la guerre civile espagnole » in: Cultures & Conflits n°112 printemps- été 2019 (à paraître)