Écho de presse

En 1917, les États-Unis s’offraient déjà un territoire danois

le 23/07/2021 par Antoine Jourdan
le 23/08/2019 par Antoine Jourdan - modifié le 23/07/2021
Photographie d'un port des Îles Vierges danoises au moment de la vente de l'archipel aux Etats-Unis, Excelsior, 1917 - source : RetroNews-BnF
Photographie d'un port des Îles Vierges danoises au moment de la vente de l'archipel aux Etats-Unis, Excelsior, 1917 - source : RetroNews-BnF

Depuis quelques jours, une information fait la Une des journaux : Donald Trump souhaiterait « acheter le Groenland » au Danemark. La démarche n’est pas sans précédent historique : en 1916, un autre président américain, Wilson, avait réussi à acquérir un territoire au royaume : les Îles Vierges

Alors que la guerre fait rage sur le Vieux-contient en 1916, les États-Unis s’avèrent peu enclins à s’investir militairement dans les querelles européennes. Largement en faveur de la neutralité, le gouvernement américain préfère rester de l’autre côté de l’Atlantique aussi longtemps que possible.

Mais la guerre sous-marine qui livre l’Allemagne (et notamment le célèbre torpillage du RMS Lusitania en 1915) fait craindre au président Woodrow Wilson une offensive de la marine allemande. Le petit archipel des Indes occidentales danoises, situé à l’Est de l’actuelle République dominicaine, semble particulièrement à risque. Non seulement la prise de ces îles donnerait aux envahisseurs une position stratégique dans les Caraïbes, mais une telle démarche violerait un principe fondamental de la politique étrangère américaine : depuis 1823, la doctrine Monroe marque une opposition de principe à toute nouvelle colonisation européenne sur le continent américain.

Devant cette menace, Wilson se sent obligé d’être proactif. En 1916, « la crainte du Boche » le pousse à entreprendre d’acheter les îles en question.

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Ça n’est pas la première fois que les États-Unis manifestent un intérêt pour ces îles - qui étaient françaises jusqu’en 1733. La Petit Gironde rappelle ainsi les deux autres tentatives d’accord, qui s’étaient soldées par un retournement à la dernière minute :

« La tentative d’aujourd’hui est la troisième en cinquante ans.

La question avait été posée pour la première fois sur l’initiative des États-Unis […], mais au dernier moment, le Sénat des États-Unis refusa son consentement et l’affaire resta là.

Elle est revenue, il y a seize ans, devant l’opinion des deux pays. Mais c’est alors au Danemark qu’elle rencontra une ardente opposition. »

Comme les fois précédentes, les négociations ne se passent pas sans accroche. Au Danemark, elles provoquent une crise ministérielle importante lorsque l’accord, signé le 5 août 1916, est révélé, sans que la population en ait été informée auparavant.

« Le peuple [danois] qui se dit le plus libre du monde s’est vu dans une question qui touche à ses possessions territoriales, qui n’était donc pas négligeable, traiter comme un peuple vivant sous le régime le plus absolu » explique le Journal des débats politiques et littéraires.

Le 22 août, Le Siècle revient sur ce scandale qui a contraint la coalition ministérielle à la démission :

« Quand l’acte de cession, ou plus exactement la promesse de vente aux États-Unis fut signée, nous avons pu l’annoncer à nos lecteurs, bien avant même que la grande presse se fût emparée de la question : le gouvernement danois a démenti la nouvelle ; les faits ont démonté que ce démenti n’était pas sincère.

Le ministère danois a voulu mettre le pays devant un fait accompli ; peut-être pensait-il que le prix élevé accepté par les États-Unis aurait raison des oppositions. »

Si le parlement danois approuve néanmoins la transaction à une courte majorité, l’accord se heurte au refus du Sénat. L’opposition est de principe : on ne cède pas un territoire national sans demander l’accord de la population au préalable.

Ainsi, un référendum est organisé le 15 décembre 1916. Le résultat du plébiscite est sans appel :

« Le résultat du plébiscite sur la vente des Indes occidentales a donné 283 694 voix pour la vente et 157 596 contre. »

La démarche est enclenchée. Le 17 janvier à Washington, une convention est signée par le secrétaire d’État des États-Unis Robert Lansing ratifiant ainsi l’achat des trois îles. Le 27 mars, le roi adresse une lettre aux habitants dans laquelle il leur fait part de sa « conviction que la prospérité des Antilles sera mieux assurée et mieux développée par leur réunion aux États-Unis ».

Le 1er avril suivant, Lansing remet un chèque de 25 millions de dollars au ministre Danois, et donne l’ordre à l’amiral Pollock de prendre possession des îles.

Aujourd’hui, on nomme ce petit archipel les Îles Vierges américaines. Depuis leur achat, elles ont progressivement été intégrées par la politique de Washington.

À la fin des années 1920, la plupart des habitants seront naturalisés américains et le dollar sera adopté en 1934.

Puis, en 1970, Melvin H. Evans deviendra le premier gouverneur des îles, sans toutefois que le territoire soit considéré comme un « État » américain.

Si Donald Trump n’a pas fait explicitement référence à cet événement pour justifier son envie d’acheter le Groenland, l’histoire entre les deux pays et la primauté des questions géopolitiques dans les deux cas en fait un précédent pour le moins étonnant.

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Pour en savoir plus :

Hélène Harter, Les États-Unis dans la Grande Guerre, Tallandier, 2017

Isaac Dookhan. “Changing Patterns of Local Reaction to the United States Acquisition of the Virgin Islands, 1865-1917”, in: Caribbean Studies, vol. 15, no. 1