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« Nous volons vers l’ennemi » : Pearl Harbor raconté par un officier japonais

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L'attaque de Pearl Harbor, illustration parue dans Gringoire, 1942 - source : RetroNews-BnF

Six mois après l’attaque japonaise de la base américaine de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, le journal collaborationniste Gringoire publie le témoignage d’un officier nippon qui a participé à la bataille. Un récit heure par heure qui donne le beau rôle aux Japonais et tourne en ridicule l’impréparation américaine.

Le dimanche 7 décembre 1941 – et non le 8 décembre comme le titre l’article de manière erronée –, les Japonais lancent une attaque surprise sur la base navale de Pearl Harbor, sur l’île d’Oahu, dans l’archipel d’Hawaï. L’assaut vise à anéantir l’US Navy. L’objectif : avoir les mains libres dans le Pacifique pour poursuivre une politique expansionniste lancée dès le début des années 1930. Après la Mandchourie en 1931, le Japon s’est attaqué à la Chine en 1937 et continue à élargir sa « sphère de coprospérité asiatique ». En juillet 1941, les Etats-Unis réagissent par des sanctions économiques. C’en est trop : Tokyo arme ses navires, hisse – dit l’article – le drapeau de l’amiral Heihachiro Togo, héros de la guerre russo-japonaise de 1904-05, et traverse le Pacifique.

Les pertes américaines sont importantes : près de 2 500 morts, deux cuirassés anéantis, 16 autres navires endommagés. Mais le bilan de l’attaque sera, au final, moins désastreux que ne le laisse entendre le témoignage : aucun porte-avion américain n’est détruit, et la majorité des bâtiments touchés est remise en état rapidement. Elle influe en revanche sur le cours de la guerre, en provoquant l’entrée en guerre des Etats-Unis.

On sait que le sort de la guerre entre le Japon et les États-Unis s'est joué le 8 décembre 1941. En quelques minutes, la flotte américaine du Pacifique, embossée dans la rade de Pearl-Harbour, a été mise hors de combat par les aviateurs et les marins nippons.

C'est le récit de ce fait d’armes sans précédent que Gringoire donne aujourd'hui, d'après la version française de notre confrère belge Cassandre, d'une relation publiée par la Münchner Illustrierte Presse fondée sur le témoignage direct d'un officier japonais qui a participé à cette action d'éclat.

Cet officier est un capitaine de frégate aviateur. Pendant plusieurs années, il a, comme vingt-quatre mille autres officiers japonais, accepté d'être enfermé avec un camarade dans une cabine étroite, il a dormi sur des couchettes de bois dur, il n'a rien mangé d'autre, chaque jour, qu'une assiette de riz. La solde de cet homme n'était que d'environ deux mille deux cent francs par mois. Or, de cette somme il a, comme tous ses collègues, volontairement abandonné de cinq à six cents francs « pour améliorer son navire ».

« Certes, a-t-il déclaré, nous avons imposé à nos familles de durs sacrifices et nous avons souffert à cette idée, mais grâce à toutes ces privations notre pays a pu, en un an, mettre sur chantier, trois nouveaux navires de guerre ».

***

NAVIRES DANS LA NUIT.

La nuit est sombre et impénétrable. Les navires de guerre s'avancent en haut mer. Leurs grandes masses tanguent et roulent lourdement au gré des vagues. Chaque fois que les proues s'enfoncent par les flots, des paquets, d'eau inondent les ponts, s'écrasent contre les tourelles et rejaillissent en larges cascades sur les épais blindages.

Tout en haut, dans leur poste d'observation solitaire, les vigies ne quittent pas leurs jumelles de nuit et scrutent l'obscurité. Nulle part, elles ne découvrent une colonne de fumée, nulle part la moindre ombre : l'océan entre Bonin et les Hawaï est désert.

Nous sommes pendant la nuit qui sépare le 7 du 8 décembre 1941. Rien de surprenant ne s'est passé, et pourtant, les milliers d'hommes de l'escadre sont incapables de trouver le moindre repos, tant leurs pensées sont tendues vers le but inconnu qu'ils atteindront demain.

Qu'arrivera-t-il cette nuit ? N'importe quel navire, le plus humble cargo neutre qui nous rencontrerait pourrait aussitôt annoncer au monde entier, par radio, qu'il vu une partie de la flotte japonaise en route vers les Hawaï. Le plus insignifiant charbonnier pourrait de la sorte faire échouer, tout près du but, une entreprise minutieusement préparée. Et cette émission radiophonique pourrait ruiner une mission à laquelle des spécialistes ont consacré pendant des années le meilleur d'eux-mêmes et qui décidera sans doute du sort d'une guerre.

Quand nous avons pris la mer, personne ne savait le but de notre course. Nous pouvions très bien partir pour une croisière comme nous en avions tant fait. Pour une manœuvre.

Nous avons navigué pendant deux jours. Sans voir un bateau. Sans être aperçus. Le cap était vers l'est. Nous avons laissé ainsi les îles Bonin loin derrière nous. Notre formation comprenait des navires de bataille, des destroyers, des porte-avions.

ON HISSE UN DRAPEAU. 

Mais un midi, il se produisit quelque chose qui nous coupa la respiration pour plusieurs secondes. Nous, aviateurs, nous étions appuyés au bastingage el nous regardions voguer un de nos cuirassés. Nous connaissions ce gigantesque bâtiment de trente mille tonnes comme nous-mêmes. Nous avions fait l'exercice avec les puissants canons de 35 et de 40 cm. Parmi les treize cents hommes de son équipage, nous comptions beaucoup de compagnons. La plupart d'entre nous avaient assisté au lancement des plus récents navires de bataille à Yokosuka ou à Kure. Leurs doubles et puissantes tourelles vers la proue et la poupe étaient, à nos yeux, des forteresses dirigées vers l'est. Mais ce n'est pas ce spectacle coutumier qui nous serrait la gorge. Non. On venait, sur le dernier navire de la ligne de bataille, de hisser un pavillon que nous connaissions bien. Il ne fut pas besoin de nous dire ce qu'il signifiait. Il nous a toujours hantés. Il flottait depuis de longues années sur l'écran de notre imagination. Quelques-uns d'entre nous l'avaient vu déployé sous le vent, quand ils étaient encore enfants, mais beaucoup d'autres n'étaient pas encore nés ce jour-là. Seuls, les anciens élèves de l'Académie de Marine l'avaient contemplé de leurs propres yeux : car le pavillon qui venait d'être hissé sur le cuirassé était celui de l'amiral Heihachiro Togo.

Ainsi, en cet instant même, il ne se trouvait pas un seul homme dans toute l'escadre qui ignorât ce que ce drapeau signifiait. Le vieux et glorieux drapeau d'il y a trente-six ans ! Celui qui avait flotté le jour de Tsushima au grand mât du Mikasa ! Ce jour-là aussi, il monta dans l'air en indiquant à tous les autres bâtiments de la flotte que le salut de la patrie dépendait de la bataille qui allait s'engager.

Aujourd'hui, il a la même signification et nous comprenons qu'en ce jour sacré et dans cet océan immense, l'avenir du Japon vient de nous être confié.

Aucun des camarades n'a dit un mot. Ils ont tous vu le drapeau qui maintenant claque dans l'air pur, au sommet du grand mât. Près de nous, un amiral apparaît sur le pont qui dit quelques mots pleins de fierté :

« J'ai soixante ans et moi, je ne compte plus. Vous êtes jeunes et vous avez un grand avenir devant vous. Il ne faut pas mourir pour la patrie, il faut vaincre pour elle, afin de rester à son service ! »

L'ATTENTE.

Il est là, le grand jour ! Maintenant chacun le sait. Et nul n'est surpris. Nous avons vécu toute notre vie dans l'attente de cette heure qui vient enfin de sonner. Oui, comme à Tsushima, les heures prochaines décideront du sort de la patrie. Alors, le Japon en lutte contre la Russie avait conquis sa place de grande puissance ; aujourd'hui, il s'agit de conquérir notre espace vital contre un ennemi redoutable.

Tous ces hommes qui regardent flotter le drapeau de Togo ont derrière eux, sans exception, des années de travail pénible et inlassable. Ce n'est pas pour rien que la marine, au Japon, est considérée comme une troupe d'élite. Elle a travaillé dans le plus grand secret, et sans que le peuple ait eu l'occasion de lui rendre hommage. Des revues navales devant le Tenno ? Certes, il y en eut ! Mais loin des rades et des ports, si loin qu'avec les plus puissantes longues-vues, il était impossible d'apercevoir une seule des unités. Et les chantiers ? direz-vous. Les cales de lancement ? Qui donc les a vues ? Les chantiers de Nagasaki ou de Kure sont séparés du restant du Japon par d'impénétrables murailles.

Tous, nous avons connu seulement le travail secret et solitaire. Celui qui a besoin d'applaudissements n'a pas sa place dans la marine japonaise. On y accepte seulement quiconque ne rechigne pas à l'effort. Quant aux aviateurs qui contemplent de tous leurs yeux le pavillon de guerre du vieil amiral mort il y a huit ans, ont-ils seulement, pendant tout leur long apprentissage, fait un seul vol par beau temps ?

L'un de nous dit :

« Nous n'avons jamais volé qu'à travers la tempête et l'orage. Nous avons toujours attendu que le temps fût détestable pour nous habituer au pire. Il y a eu des victimes ! Assurément, nombreux sont ceux qui ne sont jamais revenus. Ils se sont écrasés au sol ou sont tombés dans la mer. Comme ceux qui mourront tout à l'heure, ils ont donné leur vie à la patrie. »

EN ROUTE VERS LES HAWAÏ.

Maintenant, nous nous trouvons sur un porte-avions. Nous savons où nous allons : aucun doute, droit sur les Hawaï. Nous connaissons celles-ci parfaitement. Chaque officier de notre marine en dessinerait la carte les yeux fermés. Dans l'éventualité d'une guerre avec les États-Unis, les Hawaï doivent être le plus important...

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