Interview

Les Français et la guerre de 1870 : stupeur, amertume et résilience

Les Dernières cartouches, tableau d'Alphonse-Marie-Adolphe de Neuville, 1873 - source : WikiCommons

Comment les Français ont-ils traversé la Guerre de 1870 ? L'historien Jean-François Lecaillon a exhumé des milliers de témoignages écrits qui la racontent telle que l'ont vécue jeunes conscrits, militaires de carrière et simples citoyens.

La guerre franco-allemande de 1870 a profondément marqué le XIXe siècle et a considérablement influé sur le XXe. Comment les Français ont-ils vécu ce conflit, dont rien ne laissait présager l'extrême violence et les répercussions politiques ? Quelles traces a-t-il laissées dans l'histoire contemporaine ? En exhumant lettres, journaux intimes, carnets de guerre et récits de souvenirs, l'historien Jean-François Lecaillon a mené une enquête passionnante, qui met en lumière l'intensité des sentiments des combattants et des civils pendant et après le conflit de 1870. 

Propos recueillis par Marina Bellot

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RetroNews : Vous rappelez que le conflit part d’une simple question de succession au trône d’Espagne. Quelles en sont, selon vous, les raisons plus profondes ?

Jean-François Lecaillon : La question de la succession au trône d’Espagne est le déclencheur, mais c’est en réalité un prétexte qu’utilise Bismarck qui veut provoquer le conflit à des fins d’unification de l’Allemagne. Dans cette perspective, il a besoin d’un adversaire commun pour fédérer les peuples germaniques.

Côté français, on est dans la défense d’une primauté européenne et le prolongement de la politique de Napoléon III visant à renforcer les frontières de l’Est et à annexer de nouveaux territoires, comme il a pu le faire au terme de la campagne d’Italie (gain de Nice et de la Savoie). Dans le préambule du conflit de 1870, il envisageait au mieux une annexion, sinon une neutralisation du Luxembourg. Mais la raison principale vient bien de l’Allemagne et de Bismarck.

Au déclenchement du conflit, George Sand écrit : « Je comprends le chauvinisme quand il s'agit de délivrer un peuple comme la Pologne ou l'Italie ; mais entre la France et la Prusse, il n'y a en ce moment, qu'une question d'amour-propre, à savoir qui aura le meilleur fusil ». Partagez-vous cette analyse ? 

Ce qu'elle exprime me parait judicieux et pas du tout anecdotique car c’est l'expression de ce qui a été utilisé par tous les acteurs politiques : le sentiment national. En Allemagne, il s’agit de construire la grande Patrie aux dépens des petites ; en France, on est plutôt dans l’effort de consolidation du sentiment né en 1792.

Comment l’annonce du conflit est-elle accueillie par les Français ? 

Le plébiscite du mois de mai, largement remporté par Napoléon III, est présenté comme un vote en faveur de la paix. L'Empire est la garantie de la force et de la puissance. Quand la guerre éclate, si l’on regarde de près les témoignages écrits des jeunes conscrits, des militaires de carrière ou du simple citoyen, on voit plusieurs sentiments s’enchaîner.

Il y a d’abord la stupeur : le déclenchement de la guerre est une surprise ; puis la colère, notamment de la part de ceux qui voyaient le plébiscite comme une garantie de paix et de prospérité. Ils se sentent trahis. Se greffe là-dessus la crainte, celle qui vient traditionnellement des milieux ruraux, de celui des affaires dont la guerre menace les intérêts commerciaux et de certains militaires, en particulier ceux qui sont dans l’artillerie. Ils ont consci...

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