Interview

Deux siècles d'islamisme : retour sur une histoire politique et sociale

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« Chacun de ces visages incarne un aspect de la guerre sainte », L'Intransigeant, 1951 - source : RetroNews-BnF

Depuis près de deux siècles, des forces variées se réclament de l’islam à des fins politiques. Dans un ouvrage collectif, des chercheurs entreprennent la généalogie de ces courants et montrent que l’islamisme est d'abord une réponse identitaire à un contexte de domination occidentale. Entretien avec l'historien Matthieu Rey.

RetroNews : Quel a été le point de départ de votre ouvrage ? Quels a priori avez-vous été contraints de déconstruire ?

Matthieu Rey : Nous nous sommes penchés sur un angle mort du phénomène : les manières dont des forces variées se réclament de l’islam en politique depuis près de deux siècles.

Il nous a semblé judicieux de revenir sur cette trajectoire, cette généalogie de vastes courants, dont on caricature souvent la présence et dont on ne comprend pas les fondements. C’est ainsi que cette entreprise est née, avec l’idée qu’il fallait interroger l'ensemble des champs politiques en terres musulmanes, de telle manière à écrire une histoire mondiale et non pas des histoires locales. Ainsi, on peut repenser ce phénomène comme quelque chose de structurel et de présent dans le champ politique à l’aube de la période contemporaine, c'est-à-dire à partir des conquêtes de Napoléon.

Dans quelle part vous êtes-vous intéressés au phénomène que l'on nomme « islamisme » ?

Sur l'islamisme lui-même, nous avons voulu montrer que l’on a affaire à une forme politique contemporaine, et non pas du tout à une sorte de « résurgence médiévale » qui brandirait la volonté de revenir à un ordre passé. Dans les terres musulmanes, on voit au contraire apparaître à partir du XIXe siècle des pouvoirs qui séparent le religieux et le politique : c’est la condition de naissance de l’islamisme qu’il y ait séparation de l’ordre normatif traditionnel avec la réalité sociale économique et politique.

Notre ambition était aussi de nous départir d’une lecture qui oppose souvent des forces dites laïques et des forces dites religieuses. Cette opposition n’est pas pertinente. Ces dernières années, des pouvoirs qui se brandissent devant l'Occident comme « laïcs » ont défrayé la chronique, de Saddam Hussein aux Assad successifs. Le cas de l’Irak est éloquent : ce régime a été soutenu par l’Occident comme laïc contre l’Iran chiite, considéré comme nécessairement religieux et anti-laïc, alors même que Saddam Hussein plaçait sur le drapeau Allahou Akbar dès son accès au pouvoir, et commençait à faire monter en puissance les référents religieux parce que cela lui permettait de mo...

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