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Le suicide du résistant Pierre Brossolette

le par - modifié le 05/08/2022
le par - modifié le 05/08/2022

Le 22 mars 1944, le « soutier de la gloire » Pierre Brossolette se suicide pour ne pas parler sous la torture. Journaliste, militant socialiste, résistant, il avait pris tous les risques pour lutter contre l’occupant nazi.

Le 22 mars 1944, Pierre Brossolette se jette du 4e étage du 84 avenue Foch, à Paris. Torturé depuis deux jours par la Gestapo, il craint de ne pouvoir tenir plus longtemps. Menotté les mains dans le dos, il réussit à ouvrir une fenêtre puis s’élance dans le vide.

Grand intellectuel (il est sorti major de l’École normale supérieure) et journaliste, Pierre Brossolette est un homme d’engagement. À la SFIO tout d’abord (il devient secrétaire fédéral de l’Aube), puis en soutien au gouvernement du Front populaire en 1936.

En 1938, il dénonce les accords de Munich et se fait exclure de la radio où il officie comme journaliste.

En 1939, dénonçant le pacte germano-soviétique, il s’attire les foudres des communistes.

« S’agissant maintenant du projet de pacte de non agression entre Berlin et Moscou, je dis aujourd'hui que si cette hypothèse incroyable était croyable, elle forcerait à accuser le gouvernement soviétique à la fois de démence et d'ignominie.

Car, poussé à un certain point le chantage est un procédé de gangsters et, devant un péril qu'il peut rendre plus immédiat pour des millions d'êtres, il devient une folie. 

Est-ce ainsi qu'Aragon, Hénaff et Gitton veulent nous forcer à envisager la politique soviétique ? Ce serait vraiment un comble. »

14-18 : Les journaux en guerre

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Homme de plume, Brossolette est aussi officier de réserve. Dès que la guerre éclate, il monte au front et se bat en juin 1940 sur la Marne. Le journal de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA), Le Droit de vivre, salue son engagement.

« Notre ami Pierre Brossolette, parti dès le premier jour aux armées et, depuis le premier jour, combattant sur le front “quelque part en France”, nous fait donner de ses nouvelles par le Journal Officiel.

Lieutenant d’artillerie, ce “planqué” vient d’être promu capitaine.

Nos félicitations au fidèle collaborateur du Droit de vivre. »

Charles De Gaulle nomme Pierre Brossolette Compagnon de la Libération, le 17 octobre 1942 - source : WikiCommons

Il est décoré de la Croix de guerre le 11 juillet 1941 puis démobilisé avec la défaite. Farouchement hostile au régime de Vichy, il rejoint le groupe de résistance Musée de l’Homme pendant l’hiver 1940-1941. La librairie qu’il possède avec sa femme, rue de la Pompe, devient un lieu de rencontre pour les résistants.

Il est discret mais le gouvernement de Vichy et ses supplétifs ne l’oublie pas. Il avait participé avant-guerre à l’élaboration de manuels scolaires ? On « expurge », se félicitent les journaux collaborationnistes.

« On expurge... Ce n’est pas trop tôt ! Un décret paru à “L’Officiel” vient d’interdire l’usage dans les écoles primaires élémentaires et primaires supérieures d’un certain nombre d’ouvrages.

Parmi lesquels des livres de Romain Rolland, de Ballereau-Brangier, et un manuel d’histoire signé Pierre Brossolette !

Hé, oui ! Cet extraordinaire et imprudent Brossolette qui, pendant deux ans, à la radio officielle, nous chanta, au moins une fois par jour, les prétendues victoires des Rouges espagnols, écrivait des manuels pour les écoles publiques. On devine à quelle sauce il accommodait l'histoire de France ! […]

Il y a là, comme partout, un immense travail d’épuration et de redressement à accomplir. Félicitons-nous qu’on n’ait pas trop attendu pour le commencer ! »

En décembre 1941, le gouvernement publie la liste des Francs-maçons de France, dont Brossolette fait partie. En janvier 1943, il est déchu de la nationalité française, ce dont le journal nationaliste L’Action française fait ses choux gras, soulignant son appartenance à la « F-M. », la franc-maçonnerie.

« On a vu dans notre numéro de samedi que le sieur Pierre Brossolette était déchu de la nationalité française. Voilà un nom que connaissent tous les auditeurs de la T. S. F. 

Marchant sur les traces paternelles, il adhéra à la F.-M. (Loge Emile-Zola) dont il devint rapidement un des dignitaires et à la S. F. I. O. dont il devint un des augures en matière de politique extérieure.

Léon Blum lui confia cette rubrique au Populaire. Quand le Front populaire accéda au pouvoir, il fut attaché à la radiodiffusion nationale. […]

Il commit toutes les indiscrétions, propagea toutes les fausses nouvelles et fit tout pour envenimer la situation qui était déjà grave. […]

Après l'Armistice, le F-M Brossolette avait feint de se rallier à la France nouvelle, mais comme celle-ci ne donnait pas à cet arriviste la place qu'il croyait lui être due, il est allé chercher fortune en Angleterre où il s'est joint au chœur des traîtres insulteurs de la France à la B. B. C. »

Le « traître insulteur » est en effet parti à Londres en 1942, devenant représentant du commissaire national à l'intérieur et au travail de la France libre. Puis il effectue des allers-retours périlleux entre l’Angleterre et Paris, comme le rappelle Maurice Schuman, porte-parole de la France libre à Londres et futur ministre, lors de son discours hommage en 1945.

« Sur un petit mot griffonné par Mounette, sa compagne, je lis et relis interminablement ces quelques lignes :

“Laissez-moi vous rappeler rapidement les dates de ses allées et venues Paris-Londres : 1° Départ de France, avril 42. Retour de Londres, juin 42. 2eme Départ, septembre 42. Retour, janvier 43. 3eme Départ, avril 43. Retour septembre 43…” »

La librairie-papeterie de Pierre Brossolette et sa femme au 89 rue de la Pompe, Paris, en 1940 - source : WikiCommons

Sa fille, Sylvie Pierre-Brossolette, raconte qu’en juin 1942, rentré pour venir chercher sa famille, il avait sauté en parachute sans aucun entraînement préalable.

Il sera finalement arrêté en février 1944 à Plogoff lors d’une quatrième tentative de rallier l’Angleterre, puis transféré à Paris le 19 mars lorsque son identité est révélée.

Le courage de ce « soutier de la gloire » selon les mots de Schuman, culmine avec le choix ultime de son suicide. La mort plutôt que la délation.

« Il fut, non seulement dans la mort mais dans la vie, l’homme le plus sobrement et le plus stoïquement courageux d’une époque qui racheta pourtant ses laideurs et ses erreurs en méritant d'être appelée par l'histoire l’ère des sacrifices. »

En 1948, quatre ans après le suicide du résistant, on arrête Ernst Misselwitz, le chef de la police allemande à Paris, tortionnaire de Pierre Brossolette et de tant d’autres, qui officiait avenue Foch.

« Arrêté, voici quelques jours, par la sécurité militaire en zone française d'Allemagne, Ernst Misselwitz, ancien agent de la Gestapo de l'avenue Foch, a été transféré à Paris.

Accusé d'avoir torturé Pierre Brossolette, il est également soupçonné d'avoir participé à l'arrestation de Mlle de Gaulle. »

Discours de Pierre Brossolette à l'Albert Hall de Londres, 1943 - source : WikiCommons

Échappé en 1946 des prisons berlinoises, Misselwitz est condamné en 1952 à Paris in absentia, tandis que se succèdent à la barre les témoins, notamment la veuve de Pierre Brossolette, Gilberte.

Il faudra attendre près de quarante ans et l’enquête de Serge et Beate Klarsfeld, les « chasseurs de nazis », pour savoir ce qu’est devenu le disparu Misselwitz. Ces nouvelles causent, en 1983, un véritable scandale, et pour cause :

« [Ceci] éclabousse sérieusement les autorités militaires françaises d'après-guerre.

Il a été mis à jour par Beate et Serge Klarsfeld, qui ont dévoilé le fait que la DST (Direction de la Surveillance du Territoire) avait “employé” le dénommé Misselwitz, l'ex-grand patron de la Gestapo de Paris, celui-là même qui avait torturé Pierre Brossolette, envoyé spécial du général de Gaulle en France occupée. »

Brossolette fut reconnu, à titre posthume, chevalier de la Légion d’honneur dès 1945, et baptise aujourd’hui un grand nombre de rues et de monuments en son hommage partout en France.

Le précédent maire de Paris Bertrand Delanoë a inauguré le 27 janvier 2014 la pelouse Pierre-Brossolette devant le 84-86 avenue Foch, où siégeaient ses bourreaux, les services du SD et de la Gestapo.

Brossolette est aujourd’hui enterré au Panthéon aux côtés de son meilleur ennemi, Jean Moulin.