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Paul Ferdonnet, « salopard national » de la drôle de guerre

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Fin 1939, un journaliste antisémite français exilé en Allemagne, autrefois aimé, devient l’épouvantail de la presse lorsqu’il se met à faire la promotion de la Wehmarcht depuis une radio de Stuttgart. Ses « infox » sont quotidiennement commentées, et le traître, abhorré.

Il y eut des carrières de correspondants étrangers qui ne furent pas des sinécures. Paul Ferdonnet, journaliste antisémite au petit pied, sut se trouver en Allemagne un singulier destin français.

Après une carrière incolore à Paris, il rejoint Berlin en 1928 d’où il envoyait quelques piges. Il dut sa notoriété aux événements de 1933 et à sa publication de Face à Hitler, un récit hagiographique de onze mois de régime nazi. « Avant de l'approuver ou le condamner, il faut le connaître », disait la réclame de l’éditeur français.

Je suis Partout salua la publication d’un ouvrage « courageux de propager la vérité, en dépit des haines raciales et de la bêtise universelle ». Et le journal raciste de demander, faussement ingénu : « Face à Hitler : Est-il sincère ?... Peut-on en causer ? ». D’autres s’enthousiasment également pour cet « écrasant réquisitoire contre la social-démocratie ».

Paul Ferdonnet publie deux autres opuscules relayant en France les vues allemandes, des titres salués par la presse réactionnaire puisque pourfendant tout « interventionnisme français ». Car Ferdonnet, c’est également une agence d’informations allemande créée en 1934 et sise à Paris. En juin 1939 paraît La Guerre juive, dont le titre résume le boniment mais trouve cependant des pages pour sa promotion et pas seulement à l’extrême droite.

Mais un mois après la déclaration de guerre, le statut de l’écrivain « courageux », du « témoin objectif » change du tout au tout. Le 6 octobre 1939, la nouvelle fait l’effet d’une bombe : une voix française s’exprime quotidiennement sur les ondes d’une radio émettant vers la France depuis Stuttgart. Ils sont en réalité trois hommes et une femme à se partager l’antenne, dont Paul Ferdonnet, mais lui seul est « le speaker de Stuttgart, le traître, celui qui a accepté d'être la voix de l’Allemagne ».

Pourquoi cette colère, cette haine ? Radio Stuttgart, dont les émissions sont brouillées, ne semble pourtant pas être la fréquence favorite des Français. C’est qu’elle relaie des mots qui touchent, des « punchlines » telles que « les Anglais offrent leurs machines, les Français offrent leurs poitrines » qui ulcèrent la presse française.

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Les autres speakers sont présentés comme des acolytes. Le premier est un acteur alsacien émigré après quelques menus démêlés avec la justice française. Évidemment André Obrecht, dit Saint-Germain, est « un raté ». Il tint pourtant et durablement le rôle peu enviable de « Français de service » dans les productions des studios allemands. Pour Le Journal, il n’en fallait pas plus pour que cette vocation devienne une profession de foi dans une confusion vertigineuse entre le personnage et l’interprète :

« Totalement dépourvu de talent, il ne tint guère, dans des films allemands, que des rôles qui comportaient des bouts de dialogues en français […]

Sa spécialité était de singer l'officier français. Réalisait-il à l'écran l'ambition que la vie n'avait pas satisfaite ? Faut-il chercher dans ce rêve déçu le secret de son abjection ? […]

Dans l'une [des scènes], il incarnait un Français louche qui dupe tout le monde, et tient en main les fils de l'intrigue. Voilà un rôle qu'il dut jouer avec sincérité. »

Le second, un Allemand francophone, ne pèse guère plus : « Un voleur, un escroc doublé d'un clown, maquillé en journaliste, sans nationalité définie ». La dernière, présentée comme la compagne de Ferdonnet, est ménagée par les contempteurs de la fréquence. Tous « gagnent un pain pourri à tirer, chaque jour, sur le moral français ».

Car l’offensive radiophonique déployée contre le moral des Français inquiète. Étonnamment, ou bien s’agit-il d’un aveu, la presse relate nombre d’écoutes collectives, parmi  la troupe comme à l’arrière, le courrier des lecteurs faisant foi.

Car le « salopard national » ose ; le « microcéphale de Stuttgart » ose faire « parler » à l’antenne des soldats français faits prisonniers. Naturellement, on assure que les interviews sont fausses, que tel prisonnier est en réalité un vénérable retraité du Var, que tel « soldat X » entendu hier réclamer la paix depuis Stuttgart, n’a pas quitté son domicile, et que ça « n’attrape que les gogos ». Il n’empêche, la rage atteste de l’inquiétude distillée par les fredaines de Ferdonnet :

« Un jour – c’est fatal – nous entendrons le cri d’agonie qui vous jaillira de la gorge quand celui qui vous paye, vous jugeant à bout de fredons, vous passera l’arrière au fil de sa botte... »

Contraint, Je suis partout s’est joint au concert contre le « grotesque » Ferdonnet. Madeleine Jacob dans les colonnes de L’Œuvre s’amuse, elle, des retournements de veste des anciens thuriféraires de l’écrivain courageux : « Comme il doit être gênant, aujourd'hui, de figurer dans le livre de Paul Ferdonnet, parmi ceux dont il approuvait la doctrine ou les campagnes de haine ! Comme il doit être désagréable d'être celui auquel le volume fut dédié !... ». Avec quatre ans de retard, le venin antisémite distillé par Ferdonnet et vendu par lots dans la presse française est interdit.

Avec l’effroi, la haine, on tente de faire de Ferdonnet un mauvais bouffon inoffensif. Mais les dessins humoristiques et les bons mots ne peuvent dissimuler le malaise. Lorsqu’on apprend que Ferdonnet aurait été rossé par des inconnus en sortant des studios à la nuit tombée, la presse tout entière est traversée d’un frisson de plaisir et se prend à rêver tout haut, étranges fantasmes journalistiques pétris de paradoxes :

« Une bonne petite nouvelle nous arrive d’Allemagne. L’autre nuit, comme il sortait du studio de radiodiffusion où il venait comme chaque soir, de salir la France et l’Angleterre, le traître de Stuttgart, Paul Ferdonnet, a été assailli à la faveur de l'obscurité et rossé d’importance.

Tiens ! Tiens ! Que s'est-il donc passé ? Aurions-nous là-bas quelques amis inconnus ?

Ou bien y a-t-il une tradition, comme chez nous qui veut que, dans les mélodrames, on attende le traître à la sortie ? À moins que ce ne soit un coup de Hitler ! Le Führer a peut-être voulu être agréable à la France pour tenter de la détacher de l’Angleterre. »

Paradoxale, la presse l’est assurément sur les qualités radiodiffusées du renégat. Dans un portrait au vitriol, L’Ouest Éclair décrit un « minable » étreint par la honte, conduit par un SA « au micro, à Ia mangeoire » où il « balbutie pitoyablement ». Avant de conclure avec un courroux où perce l’impuissance :

« Qu’il reste donc au micro de Stuttgart, jusqu'à l'heure où un gendarme français, entrant dans son studio, lui mettra la main au collet. Il nous y sert. […]

Car il pue le mensonge commandé, le mensonge de rebut, ramassé dirait-on, sous les bottes de la Gestapo. Tous ses textes ont l'air maintenant écrits par des mouchards de basse police. C'est répugnant, mais c'est inoffensif.

Il sera fusillé, mais il est déjà mort. »

Puisqu’il ne peut être tu ou atteint – à moins de franchir le Rhin – c’est son passé et ses proches qui sont saisis, brandis, flétris. À Niort, dans sa ville natale « l’indignation est grande » et « sa pauvre mère pleure » le déshonneur de son fils. On fait prendre la parole à sa mère et à sa fille: « J'ai renié le nom de Ferdonnet », dit l’une. L'autre ajoute : « S'il est vrai que mon fils, par folie, sert l'ennemi, je voudrais lui donner la réplique d'une mère française, sa mère ». Son ex-femme est mise à contribution pour brocarder le mauvais mari.

Une information judiciaire est ouverte pour « agissements contre la sûreté intérieure de l’État », il encourt la peine de mort. Dans Le Petit Provençal, cette annonce est introduite par un titre sobre: « Au poteau ! ». À l’unanimité, la presse appelle au juste châtiment des voix de Stuttgart :

« Voilà tout ce que le Dr Goebbels a pu trouver pour tenter de troubler l'âme française.

“Ça” n’est pas lourd, mais “ça” vaut tout de même douze balles, le dos tourné et à genoux. »

L’instruction conduite par un tribunal militaire de Paris se déroule en l’absence des prévenus et sans contradicteur. Malgré les supplications de sa mère, il ne rentre pas et est condamné à mort avec Obrecht le 7 mars 1940, par contumace.

Que faire en l’absence du condamné ? Brouiller davantage l’impertinent ? Ce serait, pour une lectrice de Lorraine, risquer de laisser dire qu’on cherche à faire taire la vérité. Elle conseille de combattre l’infox et de stigmatiser le « troll » :

« Il faut mettre les points sur les i. En d’autres termes, ne pas se satisfaire de dire : “Ce n’est pas vrai.” Aligner des faits, donner des chiffres, sous la garantie de personnalités compétentes […].

Et puis, ne pas craindre de répondre chaque fois, à chaque bourde de Ferdonnet […] Dire qu’il est vendu. Ce n’est ni le moment ni l’occasion de prendre des gants.

En règle générale, je n’aime pas les polémiques personnelles : je n’attaque que les idées, non pas les hommes Mais Ferdonnet..., c’est Ferdonnet : un être immonde. »

L’irruption de la guerre de mouvement et le recul général des armées franco-britanniques provoqua une nouvelle nausée. En pleine débâcle, fin mai 40, un journal auvergnat fit éclater sa colère :

« Le croirait-on ? Il y a encore des sans-filistes qui se permettent d’écouter les postes hitlériens, et notamment celui où travaille le répugnant Ferdonnet. C’est là une aberration criminelle, et une espèce de trahison.

Écouter Ferdonnet, c’est entrer en relation avec lui […]

Le mensonge habile a une force de pénétration incroyable ; nul esprit ne saurait se flatter d’être immunisé contre le venin qu’il peut inoculer. Aux heures surtout où les événements sont porteurs d’inquiétudes, le devoir impérieux de chacun est de préserver son moral de tout contact avec l’ignoble traître de Stuttgart. »

Le journaliste honni prend la substance de la Cinquième colonne, à qui la France doit sa défaite. Il y a désormais « les Ferdonnet ». Pour la France Libre, il demeure la figure du traître, l’intercesseur des Allemands, celui qui a placé Pétain à son poste.

Bien qu’il se soit retiré de la vie publique début 1941, la presse ne l’a pas oublié. En 1944, il demeure la référence en matière de traître. On assure qu’il avait « rejoint Laval en Allemagne », quoi qu’il s’agisse pourtant du contraire. Un à un, ses anciens collaborateurs tombent entre les mains des Alliés. Stuttgart, « l'ex-capitale de Ferdonnet » est prise mais lui, demeure introuvable.

Enfin, une dépêche tombe de New York le 22 mai 1945 : le « Traître de Stuttgart » a été arrêté en Autriche. Il comparaît le 12 juillet 1945 devant la Haute cour de justice et est condamné une nouvelle fois à mort.

« L’abject » Ferdonnet, le « doyen des collaborateurs français du Reich » va être fusillé sous les applaudissements unanimes. Pourtant, comme l’écrivait avec justesse l’écrit L’Aube, c’est plutôt « le mythe Ferdonnet » qu’on veut exorciser par le sang.

Le 4 août 1945, il tombe dans les fossés du fort de Châtillon, « dernière et sinistre étape de celui auquel la vindicte populaire attachera à jamais le nom de “traître de Stuttgart” ».

L’infox, quant à elle, a bien survécu aux balles des pelotons de l’épuration.

Édouard Sill est docteur en histoire, spécialiste de l'entre-deux-guerres, notamment de la guerre d’Espagne et de ses conséquences internationales. Il est diplômé de l’École pratique des hautes études (Paris, EPHE).