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1794 : Première abolition de l’esclavage

le par - modifié le 19/08/2021
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Le décret n° 2262 de la Convention nationale abolit l’esclavage dans les colonies françaises. Cette abolition est décrétée dans un contexte particulier, qui révèle les tensions autour de plusieurs enjeux révolutionnaires.

L’abolition : un enjeu conflictuel

Commémorations des mémoires de l’esclavage, des traites et leurs abolitions

Entretiens en direct « Sortir de l’esclavage »  

A partir du 13 mai, la BnF propose une série d’entretiens sur le thème « Sortir de l’esclavage » avec des philosophes, chercheurs et personnalités du monde de la culture. Ces entretiens sont diffusés en direct sur la page Facebook de la BnF.

 

Plus d'informations

Durant les premières années révolutionnaires, la question de l’esclavage préoccupe plusieurs hommes politiques, notamment en raison de l’action de la Société des amis des Noirs (abbé Grégoire, abbé Sieyès, Brissot,…) et de celle du Comité colonial, défendant le système esclavagiste. Lors de la nuit du 4 août 1789, qui voit l’abolition des privilèges féodaux, le duc de la Rochefoucauld-Liancourt envisage d’accorder aux esclaves l’égalité devant la loi, mais le Club Massiac obtient le maintien de l’esclavage le 28 novembre 1789.

Le 15 mai 1791, l’Assemblée législative accorde le droit de vote à certains hommes de couleur, début d’émancipation qui inquiète les colons blancs de Saint-Domingue qui envisagent de proclamer l’indépendance de l’île pour préserver l’économie florissante. Le 28 mars 1792, l’Assemblée législative se contente d’établir une égalité de droit entre tous les hommes libres, ce qui exclut les esclaves.

Ces demi-mesures ne satisfont pas les esclaves qui se révoltent, comme à Saint-Domingue en 1791 [voir le dossier : Révolte à Saint-Domingue] et en Guadeloupe le 20 avril 1793.

Incendie du Cap Français : le 20, 21, 22 et 23 juin 1793, Jacques François Swebach, 1802 - source : Gallica-BnF

Le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794)

Les commissaires civils de Saint-Domingue, Sonthonax et Polverel, confrontés à la guerre contre l’Angleterre et l’Espagne, décident de s’appuyer sur la population noire en accordant, le 21 juin 1793, la liberté à tous les esclaves se battant pour la République. Le 29 août 1793, Sonthonax proclame l’abolition générale de l’esclavage dans le nord de l’île, Polverel fait de même le 21 septembre 1793 pour le reste de la colonie.

Informée de la décision de Sonthonax, la Convention nationale ratifie sa décision et proclame l’abolition de l’esclavage (qualifié de crime de lèse-humanité) dans toutes les colonies françaises le 16 pluviôse an II (4 février 1794).

Ce décret prévoit l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises mais sans indemnisation des propriétaires. Les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, deviennent citoyens français et jouissent ainsi de tous les droits assurés par la Constitution. Cependant, le décret renvoie au Comité de salut public la responsabilité afin de prendre les mesures permettant d’assurer l’exécution de ce décret.

Terre des esclaves, terre de la liberté : arrivé là, on ne recule pas, François Bonneville, 1794 - source : Gallica-BnF

Entre célébration et rejet du décret

L’abolition est célébrée comme une grande décision par les sans-culottes et les sociétés populaires. La Commune de Paris organise une grande célébration au temple de la Raison (de nombreuses églises comme Notre-Dame de Paris ou l’église Saint-Sulpice sont transformées en lieux de culte de la Raison, voulus par des Hébertistes athées à l’automne 1793). Les sans-culottes de Moulins jurent de « reconnaître pour [leur] frère tout homme juste et vraiment ami de l’humanité, quels que soient sa couleur, sa taille et son pays » (Le Père Duchesne, n°347 de 1794).

Le décret est mis en application dans plusieurs colonies françaises : Saint-Domingue, la Guyane et la Guadeloupe. En raison de la guerre contre l’Angleterre, certaines colonies sont sous domination britannique ce qui empêche son application comme à la Martinique et à Tobago. Dans les Mascareignes (la Réunion et l'Île-de-France, qui deviendra plus tard l'Île Maurice), le décret n’est pas appliqué en raison de l’opposition des administrations locales.

Par la loi du 20 mai 1802, Le Premier Consul Napoléon Bonaparte maintient l’esclavage partout où la loi du  4 février 1794 n’a pas encore été administrée, c’est-à-dire dans les colonies restituées (Martinique, Sainte-Lucie, Tobago) par le Royaume-Uni lors de la signature du traité d’Amiens.

L’esclavage sera finalement aboli plus de quarante ans plus tard, à l’issue du décret du 27 avril 1848.

Nouvelles cartes de la Republique française, Jean-Démosthène Dugourc, 1793 - source : Gallica-BnF

Léger-Félicité Sonthonax (1763-1813)

Avocat au Parlement de Paris en 1789, Sonthonax défend les idées de la Société des amis des Noirs, notamment à travers ses articles dans les Révolutions de Paris.  Son ami Brissot obtient qu’il soit nommé dans la commission civile aux pleins pouvoirs envoyée à Saint-Domingue en avril 1792. Il doit mener la guerre contre l’Angleterre et empêcher les colons  favorables aux idées royalistes. Pour cela, il s’appuie sur la population noire à laquelle il promet la liberté (décret du 29 août 1793). Il obtient le ralliement de Toussaint-Louverture.  Rentré en France en 1797, il devient député de Saint-Domingue. Hostile au coup d’État du 18 brumaire an VIII, il se retire de la vie politique.

Portrait de Léger-Félicité Sonthonax (1763-1813) - source : WikiCommons