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Années 1920 : lois contre l'avortement et la contraception

le par - modifié le 14/03/2023
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La IIIe République a développé un arsenal répressif pour lutter contre l’avortement et la contraception. Ces lois reflètent la difficile émancipation des femmes et la faible influence des mouvements féministes après la Première Guerre mondiale.

L’avortement : un « péril national »

L’avortement est au centre des débats politiques, juridiques et médicaux depuis les années 1870. Dans un contexte de rivalités exacerbées avec l’Allemagne se constitue un groupe de pression antimalthusien et nationaliste qui s’inquiète du déséquilibre démographique en défaveur de la France, groupe qui est très présent dans la presse. Cette crainte est renforcée par la saignée démographique provoquée par la Grande Guerre qui induit une baisse des naissances (L’Intransigeant, 12 avril 1920).

L’Assiette au beurre, 13 avril 1907 - source : Gallica-BnF
L’Assiette au beurre, 13 avril 1907 - source : Gallica-BnF

Des politiques, des juristes et des médecins voient dans l’avortement la cause première de la dépopulation : c’est un péril national qu’il faut endiguer (Le Matin, 26 décembre 1910 et L’Ouest-Éclair, 12 septembre 1917). Pourtant l’avortement, dans le Code civil (article 317), est un crime jugé aux Assises : une femme qui a avorté encourt jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et la « faiseuse d’ange » jusqu’à 5 ans.

L’Assiette au beurre, 13 avril 1907 - source : Gallica-BnF
L’Assiette au beurre, 13 avril 1907 - source : Gallica-BnF

Les rapprochements sont rares entre néomalthusiens et féministes. Les néomalthusiens sont souvent hostiles aux suffragettes féministes. Seules quelques féministes radicales comme la journaliste féministe Séverine, qui s’est toujours refusée à condamner l’avortement, rallient le néomalthusianisme (Gil Blas, 14 novembre 1890).

La participation des femmes à l’effort de guerre laissait entrevoir leur émancipation après le conflit. L’Assemblée vota même une loi donnant le droit de vote aux femmes en mai 1919 mais elle fut bloquée par le Sénat. À rebours avec le développement du féminisme, cette politique antiavortement rappelle la place et la mission accordées aux femmes dans la société française : être une mère et repeupler le pays.

Une politique plus répressive dans l’entre-deux-guerres

Dans l’entre-deux-guerres, les parlementaires vont chercher à accentuer la répression contre l’avortement et les politiques contraceptives. La loi du 31 juillet 1920 interdit toute propagande pour les méthodes anticonceptionnelles et l’avortement. Elle vise les néomalthusiens qui prônent une restriction des naissances mais elle ne modifie pas la nature de l’avortement qui reste un crime.

L’Assiette au beurre, 27 août 1904 - source : Gallica-BnF
L’Assiette au beurre, 27 août 1904 - source : Gallica-BnF

Les députés durcissent la législation le 23 mars 1923 en correctionnalisant l’avortement. L’avortement devient un délit pénal et les peines sont réduites, jugées par des professionnels et non plus par un jury d’Assises. Il s’agit d’une revendication ancienne des natalistes qui considèrent ces derniers trop laxistes : entre 55 à 80 % des inculpées pour avortement étaient innocentées, le nombre tombant à 25 % avec les juges professionnels (Le Siècle, 27 juillet 1923). Ces lois répressives s’accompagnent d’une politique nataliste incitative : prime à la natalité, allocation à partir du troisième enfant. Elles restent sans réel effet car la natalité atteint son niveau le plus bas dans les années 1930.

L’Assiette au beurre, 27 août 1904 - source : Gallica-BnF
L’Assiette au beurre, 27 août 1904 - source : Gallica-BnF

La presse quotidienne s’intéresse de près aux procès pour avortement (Le Petit Journal, 16 avril 1923). L’un des plus retentissants est celui de l’affaire Fouroux en 1891 : Mme Jonquières, mariée à un militaire, fut condamnée pour avoir pratiqué un avortement avec l’aide de son amant, le maire de Toulon. Ce procès aboutit aux premiers débats en vue d’une correctionnalisation de l’avortement (L’Écho de Paris, 5 décembre 1919). Henriette Alquier et Marie Guillot du groupe féministe de l’enseignement laïque sont jugées en 1927 pour avoir publié un rapport favorable aux contrôles des naissances. Leur avocat en fait le procès de la loi de 1920 (L’Humanité, 11 décembre 1927).

La IIIe République a ouvert la voie à la politique extrêmement répressive de Vichy (Le Journal des débats, 15 janvier 1943) : Marie-Louise Giraud est exécutée en 1943 pour avoir pratiqué des avortements.

Bibliographie

 

Fabrice Cahen, « De l'“efficacité” des politiques publiques : la lutte contre l'avortement “criminel” en France, 1890-1950 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 58 (2011), p. 90-117.


Anne Cova, Maternité et droits des femmes en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Anthropos, 1997.


Geneviève Dermenjian, Irène Jami, Annie Rouquier et Françoise Thébaud (dir.), La Place des femmes dans l’histoire - Une histoire mixte, Paris, Belin, 2010.


Jean-Yves Le Naour, Catherine Valenti, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, 2003.

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