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L'élection de Grenier en 1896, premier député musulman de France

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Rentrée parlementaire de 1897 : tous les regards se portent sur un Philippe Grenier, vêtu de l'habit traditionnel des Berbères, le burnous. La mandature ce premier député musulman est particulièrement suivie par la presse.

Une surprise électorale

Commémorations des mémoires de l’esclavage, des traites et leurs abolitions

Entretiens en direct « Sortir de l’esclavage »  

A partir du 13 mai, la BnF propose une série d’entretiens sur le thème « Sortir de l’esclavage » avec des philosophes, chercheurs et personnalités du monde de la culture. Ces entretiens sont diffusés en direct sur la page Facebook de la BnF.

 

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Le 15 octobre 1896, le décès du député de Pontarlier, Dionys Ordinaire, amène à la tenue d’une élection législative partielle. Bien que n’ayant pas les moyens d’entamer une campagne électorale, le docteur Philippe Grenier se porte candidat et réussit à convaincre la population en multipliant les meetings et en s’appuyant sur un programme social, ambitieux pour l’époque. La presse locale ironise dès lors sur le « Prophète de Dieu ».

Le 20 décembre 1896, à la surprise générale, le docteur Grenier est élu au second tour face à un avocat. Dès le 21 décembre 1896, de nombreux journaux consacrent des articles au « premier député musulman ». Certains journalistes critiquent les électeurs de Pontarlier qui ont voté pour un fou. Le 24 décembre 1896, Le Matin consacre deux colonnes à une présentation du député Grenier ainsi qu’à une interview inédite.

Un personnage passionnant et clivant

Le Petit Parisien. Supplément littéraire illustré, 3 janvier 1897, Paris - source : Gallica-BnF

Le jour de la rentrée parlementaire, le 12 janvier 1897, le député Grenier fait l’objet de toutes les attentions et même de moqueries, certains députés l’invitant à aller à la buvette. Le journal La Croix se moque de la manière qu’il a de se prosterner et de baiser les marches du perron. Le Petit Journal regrette que la cause des citoyens musulmans soit défendue par un homme se couvrant sans cesse de ridicule. Une brève du journal L’Univers relate que le député prend des libertés avec la loi en exigeant de pouvoir signer ses chèques en arabe. Durant sa mandature, le député Grenier se rend à plusieurs reprises en Algérie, déplacements suivis par des journalistes avides de détails permettant de continuer à dénigrer le « député musulman ». Le Figaro profite du scandale causé par le député Grenier en début de mandature pour critiquer les radicaux qui acceptent et défendent les agissements d’un musulman alors qu’ils pourchassent les catholiques.

Le 12 janvier 1897, de nombreux journaux titrent sur le « député des musulmans » ou le « député des Arabes ». En mai 1898, Jean Jullien rédige un portrait dans lequel il critique la croyance du député envers la capacité des religions à rendre « les hommes honnêtes, justes et bons » mais reconnaît en lui un philanthrope proche des idées du socialisme.

Un engagement pour plusieurs causes

En octobre 1897, à Oran, le député Grenier défend l’idée d’un rapprochement de la France avec la population musulmane de ses colonies, ce qui permettra d’augmenter son influence en Afrique notamment grâce à la diffusion de l’instruction et à l’ « extinction du paupérisme ».

Le 6 mars 1897, il dépose un projet de loi  concernant la Défense nationale. Il propose de faire appel aux troupes coloniales pour compenser l’isolement stratégique de la France face à l’Allemagne. Il propose de créer une armée coloniale grâce aux populations d’Algérie, de Tunisie, du Sénégal et d’Indochine.

Son opposition à la consommation d’alcool lui vaut une hostilité de plus en plus vive dans sa circonscription, où la production d’absinthe est importante. Lorsqu’il est battu aux élections législatives de 1898, le journal L’Aurore dénonce la symbolique de la défaite d’un député se battant contre un fléau qui ravage les ouvriers face au lobby des productions d’absinthe.

Le Petit Journal, 24 janvier 1897, Paris - Gallica-BnF

Philippe Grenier (1865-1944)

En 1890, Philippe Grenier s’installe comme médecin à Pontarlier. Rendant visite à son frère vivant à Blida (Algérie), le jeune médecin découvre la civilisation musulmane. C’est lors de son second voyage à Blida qu’il décide de se convertir à l’islam. Revenu en France, il s’engage dans une carrière politique. Député de Pontarlier de 1896 à 1898, il reprend son activité médicale en 1898. Il meurt le 25 mars 1944.

Le Petit Parisien. Supplément littéraire illustré - source : Gallica-BnF