Écho de presse

L'assassinat de Rosa Luxemburg

le 02/08/2021 par Pierre Ancery
le 10/05/2018 par Pierre Ancery - modifié le 02/08/2021
Rosa Luxemburg, entre 1895 et 1905 - source WikiCommons

Théoricienne marxiste, fondatrice de la Ligue spartakiste puis du Parti communiste d'Allemagne, Rosa Luxemburg fut tuée le 15 janvier 1919, pendant la révolution allemande, par des officiers nationalistes.

Le 17 janvier 1919, en pleine révolution allemande, les journaux annoncent la mort, dans des circonstances troubles, de la célèbre militante et théoricienne marxiste Rosa Luxemburg, fondatrice avec Karl Liebknecht du tout jeune Parti communiste d'Allemagne.

Qui était Rosa Luxemburg, âgée de 47 ans au moment de sa mort ? Un mois auparavant, le journal socialiste Le Populaire publiait sa photo et faisait d'elle ce portrait :

« D'origine polonaise, Rosa Luxembourg a donné toutes ses forces à la Social-démocratie, où elle tient une des premières places. Agitatrice intrépide, théoricienne, journaliste, organisatrice remarquable, elle a toujours été à l’extrême gauche du Parti, préconisant “la grève en masse et l'action révolutionnaire.

 

Pendant la guerre, elle n'a cessé de combattre son gouvernement et la politique du 4 août. Plusieurs fois condamnée et emprisonnée, elle fut libérée à la veille de la Révolution. Elle est de nouveau sur la brèche, dans les rangs du groupe Spartacus, et combat comme elle l'a fait toute sa vie les opportunistes et les briseurs de révolution. »

L'une des principales figures de l'Internationale ouvrière révolutionnaire, Rosa Luxemburg (née en 1871 en Pologne, plus tard naturalisée allemande) a mis sa vie au service de ses convictions, les promouvant avec une force qui impressionnait les auditeurs. En 1916, La France raconte son intervention quelques années auparavant lors d'un Congrès de l'Internationale socialiste, face à un Jaurès médusé :

« Je revois Rosa Luxemburg au Congrès d’Amsterdam, qui marque une des dates les plus fameuses de l’histoire de l’Internationale. Elle était positivement enragée [...]. Rosa Luxemburg cependant restait insensible à tout le talent passionné que faisait paraître Jaurès. Il n’avait pas fini de parler, qu’à son tour elle fit entendre sa voix coupante.

 

Elle rappela l’orateur au respect des textes marxistes. Et le bon Jaurès n’en revenait pas que cette petite femme, redressant sur son petit corps difforme sa grande tête chevaline, pût lui donner sur les doigts.

 

Elle alla très loin dans sa polémique : emportée par son élan – prophétesse stigmatisant les gentils – elle en vint à reprocher à Jaurès qu'il osât, malgré sa violation constante de la loi socialiste, conserver sa florissante santé. »

Favorable à la grève de masse comme principal moyen d'action, elle se situe à la gauche du mouvement. À l'origine, parmi d'autres, de la création de la Ligue spartakiste, mouvement révolutionnaire et antimilitariste, elle est emprisonnée en 1915 alors qu'elle mène une campagne pacifiste en Allemagne. Les Annales politiques et littéraires le racontent : 

« On se rappelle l'origine de l'affaire et du procès qui s'ensuivit. Mme Rosa Luxemburg, parlant à Fribourg-en-Brisgau, mentionna le récent suicide d'un soldat et dit : “Une chose est claire. Il s'agit certainement ici d'un de ces innombrables drames qui se passent chaque jour dans les casernes allemandes et dont l'écho douloureux ne parvient que rarement jusqu'à nos oreilles.”

 

Ces propos parurent inadmissibles au ministre de la guerre. Il déclara qu'elles constituaient une injure à l'adresse de toute l'armée allemande et requit du procureur général des poursuites contre Mme Rosa Luxemburg. »

En 1917, enthousiasmée par la Révolution russe, Rosa Luxemburg est toutefois lucide sur ses dérives autoritaires. En 1918, Le Matin publie une interview d'elle copiée dans Le Drapeau rouge, l'organe des spartakistes, dans laquelle elle fait part des objectifs révolutionnaires de la Ligue, bientôt appelée à devenir le Parti communiste d'Allemagne :

« Il nous faut une véritable armée, car nous devons aider par la force au triomphe de la cause non seulement chez nous, mais aussi dans les pays étrangers. Mais notre armée, destinée à une lutte toute spéciale, ne doit ressembler en rien à ces immenses troupeaux formés par les gouvernements capitalistes. Il nous faut une armée d'individus qui ne se signaleront à l'attention publique par aucun signe apparent [...].

 

Les gouvernements capitalistes, dit-elle, fonderont probablement après la guerre une association qu'ils décoreront du nom de Ligue des nations. Il nous faudra opposer a cet instrument d'oppression économique une alliance également puissante. »

Lorsque la révolution allemande éclate à Berlin le 5 janvier 1919, elle s'y oppose, jugeant le rapport de forces peu favorable aux ouvriers. Elle suivra toutefois le mouvement. Mais le 6 janvier, le gouvernement socialiste d'Ebert conclut un accord avec l'armée pour réprimer la révolte. Une milice para-militaire, les Freikorps (Corps francs), est chargée de l'écraser dans le sang.

 

Le 15 janvier, des militaires arrêtent Rosa Luxemburg à son domicile clandestin et l'interrogent à l'hôtel Eden. Elle refuse de répondre à la question. Elle trouvera la mort juste après, lors de son transfert en prison. La version officielle, reprise par les journaux du 17, veut qu'elle ait été lynchée par la foule :

« Liebknecht et Rosa Luxembourg arrêtés et tués.

 

C'est au cours de leur transfert en prison qu'ils auraient trouvé la mort. Liebknecht a été arrêté, dans la soirée du 15 janvier, dans l'appartement de l'un de ses amis […] Peu après, Rosa Luxembourg fut arrêtée et conduite à l'hôtel Eden […].

 

Rosa Luxembourg, déjà fort maltraitée par la foule, ayant perdu connaissance, aurait été achevée par un coup de revolver que lui tira dans la tête un homme grimpé sur l'automobile. »

Mais dans les jours suivants, des rumeurs circulent : elle aurait été en fait tuée par les militaires qui l'avaient arrêtée.

« Dans une réunion du C.O.S. de Berlin, un matelot a donné lecture d'un procès-verbal rédigé par un soldat qui aurait été témoin de la mort de Liebknecht et de Rosa Luxembourg. Ce témoin affirme que les récits officiels de la mort de Liebknecht et de Rosa Luxembourg sont mensongers !

 

Il ne serait pas exact qu’une foule énorme aurait assiégé l'hôtel où on avait amené les prisonniers et les aurait lynchés. En réalité, Liebknecht et Rosa Luxembourg auraient été assommés à coups de crosse par les soldats. Liebknecht évanoui aurait été transporté en automobile et Rosa Luxembourg aurait été achevée d'un coup de revolver par un des soldats de son escorte. »

C'est cette dernière version qui est la bonne. Son corps fut ensuite jeté dans un canal. Karl Liebknecht fut tué de la même façon. Deux cercueils vides sont enterrés le 25 mai, en même temps que ceux de 31 autres victimes de la répression.

 

Après des années de lutte de leurs amis pour prouver qu'il s'agissait d'assassinats planifiés, le gouvernement ouest-allemand a reconnu en 1962 que les meurtres de Luxemburg et Liebknecht avaient été des « exécutions en accord avec la loi martiale ».