Écho de presse

Nicole Girard-Mangin, unique femme médecin sur le front à Verdun

le 26/07/2021 par Pierre Ancery
le 11/05/2019 par Pierre Ancery - modifié le 26/07/2021
Nicole Girard-Mangin et sa chienne Dun, L'Image de la guerre, novembre 1916 - source Gallica BnF

Nicole Girard-Mangin (1878-1919) fut la seule femme médecin-major de l'armée française affectée au front durant la Première Guerre mondiale. De 1917 à sa mort, elle dirigea l'hôpital-école Edith Cavell, à Paris.

Le 25 février 1916, alors que la guerre fait rage sur le front de Verdun, on lit cet entrefilet dans le journal L'Oeuvre :

« Le docteur N. Girard-Mangin a rempli depuis le 4 août 1914, sans autre répit qu'une permission de dix jours, les fonctions de médecin aide-major de 2e classe, d'abord dans la 21e région, en chirurgie, puis dans la région fortifiée de Verdun, aux contagieux. Ceci n'a rien d'absolument remarquable.

 

Mais ce qui est très remarquable, c'est que le docteur Girard-Mangin est une femme. »

« Très remarquable », en effet, la présence d'une femme en première ligne à Verdun. Tout aussi remarquable que la personnalité de Nicole Girard-Mangin (1878-1919), seule femme médecin affectée au front durant la Première Guerre mondiale, puis directrice d'un hôpital-école à partir de 1917, jusqu’à ce qu'une mort brutale ne l'emporte.

 

Née à Paris, elle s'était lancée dans des études de médecine à une époque où cette carrière est quasiment réservée aux hommes. En 1899, elle est admise à l'externat des hôpitaux de Paris. Elle se marie ensuite avec André Girard, producteur de champagne, avec qui elle a un fils. Elle abandonne alors son parcours pour aider son mari, mais les infidélités de ce dernier ayant conduit en 1903 le couple au divorce, la jeune femme reprend ses études grâce à sa pension alimentaire.

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Elle présente sa thèse sur les « poisons cancéreux » en 1909. Se spécialisant dans l'étude de la prophylaxie antituberculeuse, elle publie alors beaucoup. Elle dirige à partir de 1914 le dispensaire anti-tuberculeux de l'hôpital Beaujon, dans le 8e arrondissement.

 

Son destin bascule lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Nicole Girard-Mangin se porte aussitôt volontaire. L'administration, qui ne note pas le prénom « Nicole » derrière le titre de Docteur, ne soupçonne pas qu'elle est une femme : elle est mobilisée par erreur. Son arrivée à l'hôpital militaire de Bourbonne-les-Bains suscite d'abord la surprise, puis de fortes réticences de la hiérarchie.

 

Mais peu à peu, elle va s'imposer par sa compétence. Lors de l'hiver 1914-1915, elle est affectée au soin des malades du typhus du secteur de Verdun. Elle se distingue par son courage, n'hésitant pas sillonner le champ de bataille avec un brancardier et un infirmier pour administrer les premiers soins.

 

À l'automne 1916, elle obtient le grade de médecin-major. Affectée à Paris, elle se voit confier la direction de l'hôpital-école Edith Cavell (du nom d’une célèbre infirmière britannique fusillée par les Allemands en octobre 1915), comme le relève Le Petit Parisien du 12 octobre :

« Le poste de médecin-directeur de l'école a été confié à une femme, Mme Girard-Mangin, aide-major de 2e classe, qui, après vingt-cinq mois de présence ininterrompue au front, est bien, je crois, la seule femme de France ayant le droit de porter, au col, le caducée, et à la manche droite, les trois brisques glorieuses. »

Dans un article de mars 1917 consacré à cet hôpital du 15e arrondissement destiné à former des infirmières, L'Humanité commente la charge qui incombe à sa directrice :

« Créé pour répondre à un besoin présent, l'Hôpital-Ecole ambitionne, la paix venue, de réaliser une tâche très haute. Alors que tant d'activités viriles manqueront à la France, l'Hôpital-Ecole voudrait voir ses infirmières éprouvées se substituer aux infirmiers et infirmiers-majors dans les hôpitaux militaires.

 

Peut-être pourrait-il étendre son effort au-delà encore, en répandant par la voix de ses infirmières-chefs, dans les casernes, ces notions d'hygiène, de prophylaxie, si nécessaires aux jeunes hommes. »

Après-guerre, alors qu'elle est rendue à la vie civile sans aucune décoration, elle continue de militer, s'investissant au sein de la Croix-Rouge américaine, donnant des conférences sur le rôle des femmes dans la Grande Guerre et participant à la création de la Ligue contre le cancer.

 

Son parcours devient un modèle pour de nombreuses féministes de l'époque. En mai 1919, Maria Vérone, présidente de la Ligue française pour le Droit des Femmes, la cite en exemple dans un article de L'Oeuvre où elle s'attaque au député Lefebvre du Prey, adversaire du vote des femmes :

« Notre adversaire ne va pas jusqu'à nier les services rendus par les femmes durant la guerre, mais il s'évertue à en diminuer l'importance. La femme a été idéale comme infirmière, mais pensez-vous, demande-t-il à ses collègues, que, si vous en aviez fait un médecin-chef, elle aurait pareillement réussi ?

 

Certainement, Monsieur le Député, la Française était capable de diriger un hôpital. La meilleure preuve c'est qu'elle l'a fait. Vous connaissez sans doute l'hôpital Edith Cavell, autrement dit Hôpital V. G. 84, qui a pour médecin-chef le médecin aide-major de 2e classe Girard-Mangin.

 

Seulement ce que vous ignorez probablement c'est que le Dr Girard-Mangin est une femme ! »

Mais le 6 juin 1919, Nicole Girard-Mangin est retrouvée morte à Paris, des suites d'une overdose médicamenteuse. Diverses hypothèses ont été formulées : victime de surmenage, elle se serait donné la mort. Ou bien aurait mis fin à ses jours parce qu'elle se savait atteinte d'un cancer incurable. Elle avait 41 ans.

 

L'Humanité lui rend hommage le 13 :

« La doctoresse Girard-Mangin est morte brusquement vendredi dernier. D'un dévouement sans limites secondé par une merveilleuse intelligence, elle était arrivée à vaincre l'hostilité du service de santé au point qu'elle fut nommée médecin directeur de l'hôpital-école Edith Cavell. Sous le bombardement de Verdun, elle avait soigné de nombreux blessés.

 

Mme Girard-Mangin laisse un fils tout jeune. Un de ses frères est un artiste de valeur. Nous joignons nos bien sincères regrets à ceux de sa famille désolée. »

L'hommage le plus émouvant qui lui est rendu est sans doute celui de la socialiste Fanny Clar, dans Le Populaire. La journaliste et écrivain, qui avait rencontré Nicole Girard-Mangin peu de temps auparavant, y écrit le 15 juin :

« Une femme vient de mourir sa mort est un deuil cruel. Nous avons perdu Nicole Girard-Mangin, enlevée par une embolie, au milieu de l'épanouissement d'une vie ennoblie de travail et de dévouement.

 

Elle était féministe à la façon de cet homme qui, pour prouver le mouvement, se mit à marcher. Quand, au début, de la guerre, la doctoresse Girard-Mangin fut mobilisée à Verdun, ce fut par erreur. On avait relevé le nom sur une liste, le croyant masculin. Voyant arriver cette petite femme mince, le major leva les bras au ciel.

Encore des femmes ! Nous n'en voulons plus !

 

Mais, au moment du danger réel, avec quelle satisfaction retrouva-t-on celle qui ne demandait que de la besogne. Elle en eut cette fois ! Sans compter, elle se dépensa, au milieu d'un service de santé où tout manquait, sous un bombardement forcené, dans une ville où les trains emmenaient des chargements de dragées, alors qu'on lui refusait des wagons pour ses blessés.

 

Nicole Girard-Mangin est morte docteur en médecine de la Faculté de Paris, professeur de prophylaxie tuberculeuse à la Sorbonne, médecin-directeur de l'hôpital-école Edith Cavell. C'est là que je l'ai vue pour la dernière fois. Elle me fit visiter l'hôpital et véritablement de la lumière émanait, d'elle, de ses beaux yeux clairs, des mots avec lesquels elle me contait sa tâche. Tranquillement, elle me parlait des difficultés qu'elle avait surmontées, de tout ce qu'elle avait vaincu, à force de volonté, de ténacité, de foi.

 

Pour en arriver là !... à ce papier entouré de noir, qui m'apprend qu'elle n'est plus. »

En 2018, la ville de Paris donna son nom à une allée située entre le 11e et le 20e arrondissement. Nicole Girard-Mangin repose au cimetière de Saint-Maur-des-Fossés.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Jean-Jacques Schneider, Nicole Mangin : Une Lorraine au coeur de la Grande Guerre – L’unique femme médecin de l’armée française (1914-1918), Éditions Place Stanislas, 2011

 

Catherine Le Quellenec, Docteure à Verdun : Nicole Mangin, Oskar Editeur, coll. « Histoire et société », 2014

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