Écho de presse

Michael Collins, tombé pour l'Irlande

le 03/03/2022 par Michèle Pedinielli
le 23/05/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 03/03/2022

Héros de l’indépendance irlandaise, Michael Collins est abattu en 1922 par des opposants au traité qu’il vient de signer avec l’Angleterre. Portrait d’un homme dont la vie ressemble à un roman.

Lorsque arrive la nouvelle de la mort de Michael Collins, tombé dans une embuscade dans le comté de Cork, toute l’Irlande se fige, abasourdie.

« À Dublin, les drapeaux sont en berne ; maisons particulières et magasins ont baissé les stores sur les fenêtres et les devantures ; les cloches des églises sonnent un glas ininterrompu et tout le matin les sirènes des navires ancrés sur la Liffey ont jeté leur hululement aux quatre coins de l’horizon. »

Le grand révolutionnaire, le chef de l’IRA, le ministre des Finances du premier gouvernement irlandais, l’homme qui échappa toute sa vie aux forces spéciales anglaises est mort ce 22 août 1922 dans une fusillade sur une petite route de la campagne irlandaise.

« Vers 6 h 30 le petit cortège venait de traverser un village situé à peu près à mi-chemin, quand une salve nourrie éclata. Sans doute eût-il été plus sage de passer rapidement, étant donné le faible effectif du détachement.

Michael Collins donna l'ordre d'arrêter et ses officiers, son escorte et lui-même s'abritant derrière les voitures, ouvrirent le feu sur les rebelles qu'on distinguait confusément entre les arbres.

Pendant une demi-heure la fusillade continua sans grand dommage, semble-t-il, de part et d'autre. Alors que le feu se ralentissait et que chacun croyait l'échauffourée terminée, M. Collins, qui avait pris une part des plus actives à la défense, tomba brusquement à la renverse. Une balle venait de lui traverser le crâne.

Son agonie fut brève. À ceux de ses compagnons qui s'empressaient autour de lui, tandis que les autres continuaient à tirailler, il fit signe que tout était inutile.

“Pardonnez-leur”, dit-il seulement. Puis il expira. »

La mort brutale de Michael Collins met fin à une vie digne d’un roman. Né en 1890 à Woodfield, dans le comté de Cork, il s’engage dès 1916  dans la lutte armée afin de libérer l’Irlande de la domination britannique. Il prend part à l’insurrection de la Pâques sanglante, en attaquant le bureau de poste de Dublin. Arrêté puis relâché, il devient un des principaux membres du Sinn Fein, le parti nationaliste. Son habileté politique, militaire et financière en fait la bête noire du gouvernement britannique.

« À ce moment, nous sommes en 1918 et il a vingt-neuf ans. On le charge à la fois des finances et de la direction des opérations de l'armée Républicaine qui opère contre les troupes anglaises. Il réussit dans les deux postes.

Il trouve, en effet, l'argent nécessaire pour continuer la lutte et devient, d'autre part, légendaire en sortant de situations en apparence inextricables et en réussissant a échapper à ses poursuivants, souvent de peu, comme cette fois où, tandis qu'on enfonçait sa porte, il s'enfuyait par les toits en chemise de nuit et en caleçon.

Pendant près de deux ans, il est comme le cauchemar des troupes anglaises. On le signale simultanément à Dublin, à Cork, à Waterford. Il est partout et nulle part ; il est insaisissable et doué d’ubiquité. »

Il devient député en 1918 et comme tous les autres élus du Sinn Fein, il refuse de siéger à Westminster (Londres). Collins et 72 autres élus nationalistes installent un parlement à Dublin et proclament immédiatement l’indépendance de la République d’Irlande. Sa tête est mise à prix par la Couronne pour la somme de 10 000 livres.

Comme dans un roman d’aventures, les anecdotes fourmillent sur son sang-froid.

« Il y a près de deux ans, il dînait dans un grand restaurant de Dublin lorsque, au milieu du repas, un détachement de policiers envahit la salle, et l’un d’eux, muni de la photographie de Collins, se dirigea vers lui et voulut l’appréhender.

Michael Collins eut la présence d’esprit de traiter l’aventure comme une plaisanterie et de s’égayer bruyamment de ce qu’il appelait une méprise. Les policiers se mirent à rire avec lui et s'en allèrent. »

Romanesque aussi son histoire d’amour avec la belle Kitty Kiernan, qui lui a sauvé la vie lorsque les Anglais localisent l’une de ses caches.

« Kitty Kiernan l'apprend. Il faudrait prévenir le patriote irlandais. Mais c'est la nuit et les routes sont peu sûres et elle pourrait être prise entre deux feux. N'importe, il faut sauver Collins, qui a juré de ne pas se laisser prendre vivant.

Elle part donc, brave cœur, réussit à le prévenir à temps, et une fois de plus les Anglais arrivent trop tard. “Mick” revoit celle qui lui a sauvé la vie. Des relations suivies s'engagent. Il s'éprend d'elle et voici trois mois seulement il annonçait leurs fiançailles et leur mariage prochain.

Hélas ! Kitty Kiernan, elle non plus, ne réalisera pas son beau rêve ! »

En 1921, le gouvernement britannique veut une trêve avec l’Irlande. Le Sinn Fein envoie un groupe de délégués à Londres pour discuter des termes d’un accord. À leur tête, Michael Collins. Arrivé avec sept minutes de retard à la table des négociations, il lance au vice-roi qui lui en fait la remarque : « Vous avez dû attendre pendant sept minutes, mais nous avons dû attendre pendant sept cents ans… »

Collins discute un traité anglo-irlandais qui officialise la naissance de l’État libre d’Irlande, doté d’un gouvernement, d’une police et d’une monnaie. En échange de quoi l’Irlande reste un dominion du Commonwealth, avec de nombreuses restrictions (les parlementaires irlandais doivent prêter allégeance à la couronne britannique, la marine britannique conserve la défense des côtes irlandaises, etc.).

Le président du Parlement irlandais, Éamon de Valera, le compagnon de guerre que Collins a fait évader de prison, fait savoir son opposition au texte depuis Dublin.

« Les négociateurs irlandais déconcertés par l'attitude hostile de M. de Valera hésitaient à parapher le texte tout prêt, sentant bien que ce traité était de l'intérêt de leur patrie, mais n'ignorant pas que le signer c'était comme signer leur arrêt de mort. J'ai conté comment l'un d'eux jeta soudain :

“Il s'agit du salut de mon pays ; quels que puissent être les dangers qui me menacent, je signerai !”

Celui-là, c'était Michael Collins. »

De retour à Dublin, une crise éclate entre les partisans du traité et ceux qui, espérant une indépendance totale, dénoncent cet accord considéré comme une forfaiture. Éamon de Valera accuse publiquement Michael Collins de trahison.

Une guerre civile éclate alors entre la majorité des Irlandais, qui suit Collins, et une minorité hostile au traité signé (dont de Valera). Michael Collins devient commandant en chef de l’armée nationale et s’engage dans la bataille contre les opposants au traité.

C’est lors d’une campagne de reconnaissance que sa voiture est reconnue et prise sous le feu des rebelles. Ironie tragique de l’histoire, le héros qui avait échappé à tous les pièges des forces spéciales anglaises est abattu par une balle irlandaise.

Ses obsèques sont dignes d’un chef d’État. Le cortège funéraire est suivi par une foule immense à Dublin.

« Pendant plus d'une heure, cet imposant cortège, qui comprenait environ 40 000 personnes et s'étendait sur une longueur de plus de trois kilomètres, défila dans les rues de Dublin, entre deux haies de gardes civiques derrière lesquels s'était massée une foule nombreuse, venue par centaine de milliers dès les premières heures de la matinée de tous les districts environnants. »

Même Lloyd George, le chef du gouvernement anglais, envoie un télégramme pour saluer « un vaillant soldat, un chef d'une grande énergie et un homme d'un charme personnel […], un des fils les plus brillants de l’Irlande ».

Et comme dans un roman enfin, Michael Collins avait anticipé sa mort en écrivant quelque temps plus tôt à son frère :

« Si tu apprends que j'ai été tué, sois certain que je serai mort comme un Collins, en combattant pour l'Irlande. »