L'événement, considéré à l'époque comme l'un des plus marquants de l'ère moderne, attire les regards du monde entier. En 1851, à Hyde Park (Londres), le prince Albert, époux de la Reine Victoria, organise la première Exposition Universelle de l'histoire. Celle-ci a lieu dans l'enceinte d'un bâtiment de verre à l'architecture révolutionnaire, le Palais de Cristal, réalisé par Joseph Paxton, et accueille des exposants venus non seulement des quatre coins de l'Angleterre, mais aussi du globe entier. 13 800 exposants y présentent des produits répartis en quatre sections (matières premières, machines, produits manufacturés, objets d'art).
L'inauguration a lieu le 1er mai, en présence du couple royal et d'une foule ébahie. Véritable exhibition de la puissance économique britannique et de son emprise sur le monde (l'Angleterre et ses colonies occupent la moitié de l'espace), l'Exposition universelle suscite les commentaires admiratifs de toute la presse internationale.
En France, Le Journal des débats politiques et littéraires la définit comme « un des plus grands faits de notre temps », insistant sur la modernité du Palais de Cristal :
« C'est élégant et c'est simple, c'est grandiose et c'est commode, c'est inondé de lumière, c'est de l'abord le plus facile [...]. C'est spacieux à ce point, qu'un palais deux fois long comme celui de Versailles pourrait s'y déployer à peu près. Il n'y a nulle part rien qui puisse en donner l'idée, ni par les dimensions, ni par le style […]. »
Le même journal, qui retrace l'inauguration, se montre d'un enthousiasme presque délirant quant à la portée de l'Exposition :
« Cette grande aventure est en ce moment le sujet inépuisable de la conversation du monde civilisé !
La ville entière la raconte à qui veut l'entendre, les ambassadeurs en parlent à leurs souverains, les citoyens à leurs républiques, les pères à leurs enfants, qui la rediront à leurs enfants !
Pas un cheval, et pas un brin de vapeur, et pas un flot de l'Océan qui ne se mette en route pour annoncer la grande nouvelles : L'Exposition est ouverte ! »
Pour le journal La Presse, l'Exposition britannique symbolise le début d'une nouvelle ère, marquée par la paix et la concorde des peuples, réunis grâce au libre-échange :
« Dans l'histoire contemporaine de l'industrie, l'Exposition universelle est un des plus grands faits qui se soient produits. La lutte armée qui s'est prolongée si longtemps entre les diverses nations s'est par ce fait transformée en émulation pacifique [...]. Au lieu de faire comme dans le passé, de compter, après une bataille, le nombre de leurs blessés et de leurs morts, les nations n'auront plus maintenant qu'à énumérer les merveilles industrielles qu'elles ont créées. »
Partout, l'optimisme et la foi dans l'avenir sont de mise. La Presse, dans un autre numéro, publie ainsi un texte écrit par un ouvrier tisserand anglais, William Pickdance, qui enjoint tous les ouvriers à visiter l'Exposition. Pickdance voit dans ce rassemblement « l'aurore de la vraie civilisation », le commencement d'une époque où la compétition industrielle « contribuera, par-dessus tout, à prolonger et à conserver la vie humaine, à embellir nos demeures et notre pays » :
« Nous te saluons donc, année 1851, année féconde en grands événements pour le monde civilisé ! Les historiens et les chronologistes des siècles futurs te marqueront comme le commencement d'une ère nouvelle pour les hommes et les nations, comme le temps où les Juifs, les Turcs et les Chrétiens de toutes les sectes auront porté des offrandes de paix à un autel commun ; comme la date où des hommes de toute couleur, de toute langue, de tout climat auront été rassemblés en une seule congrégation. »
Même chose dans La Gazette nationale, pour qui l'Exposition abolit toutes les différences et les rivalités entre nations. C'est un véritable esprit nouveau qui est en train de naître, placé sous le signe de l'entente et de l'ouverture à l'autre :
« On pourrait citer, d'étranger à étranger, mille traits de courtoisie, de serviable obligeance, et pas un seul acte peut-être d’incivilité, et moins encore d'offense, de brutalité. Ici l'Asiatique semble perdre quelque chose de sa nonchalance, de son impassibilité ; l’Anglais oublie volontiers sa raideur ; le Français, l’Italien, leur pétulance, leur loquacité, etc., etc. »
L'Exposition universelle ferma ses portes fin octobre 1851. Elle fut un triomphe, réunissant plus de six millions de visiteurs, soit l'équivalent de plus d'un quart des habitants du Royaume-Uni. Le Palais de Cristal fut démonté et reconstruit dans un parc du sud de Londres.
Lorsqu'il fut détruit par un incendie, en 1936, Churchill déclara : « This is the end of an age » (« C'est la fin d'une ère »).
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Pierre Ancery est journaliste. Il a signé des articles dans GQ, Slate, Neon, et écrit aujourd'hui pour Télérama et Je Bouquine.