Écho de presse

Lorsque les commentateurs critiquaient le baccalauréat

le 13/06/2023 par Marina Bellot
le 14/06/2018 par Marina Bellot - modifié le 13/06/2023
Une salle de classe du lycée Lavoisier à Paris en 1921, Agence Rol - source : Gallica-BnF

« Inutile », « abstrait », « discriminant »… Les critiques formulées dès le milieu du XIXe siècle contre le baccalauréat, maintes fois menacé d'être supprimé, restent d’une surprenante actualité. 

Créé en 1808, le baccalauréat est un diplôme spécifique à la France qui a une double fonction : sanctionner la fin des études secondaires et ouvrir l'accès à l'enseignement supérieur.

Il ne comporte à l’origine que des épreuves orales portant sur des auteurs grecs et latins, sur la rhétorique, l'histoire, la géographie et la philosophie. 

Dans les années 1880, à peine 1 % d'une classe d'âge obtient le baccalauréat. Un élitisme dénoncé dès 1885 par une campagne de presse appelant à la démocratisation du bac. 

Le pédagogue Jean Macé, fondateur de la Ligue de l’enseignement, s’insurge ainsi : 

«​ Placer à l’entrée des carrières publiques un examen purement professionnel, et déblayer le terrain par où on y arrive de cet amas indigeste de connaissances hétérogènes à s’ingurgiter hâtivement, parmi lesquelles le grec et le latin font la pièce de résistance, inabordable aux profanes, c’est une réforme que réclament impérieusement les conditions nouvelles faites à notre société par la République du suffrage universel. »​

Une décennie plus tard, le quotidien républicain Le Radical dresse peu ou prou le même constat : alors que la IIIe République est censée signer l'avènement d'une société plus démocratiqe et égalitaire, le baccalauréat est un instrument de la perpétuation et même de l'accroissement des inégalités :

«​ Le baccalauréat est la pierre angulaire de notre administration et de toutes les professions bourgeoises en dehors du commerce. L'industrie elle-même sacrifie au dieu Bachot, la plupart des ingénieurs étant bacheliers ès sciences. L'armée, enfin, recrute ses officiers en grande majorité parmi les bacheliers.

On voit que cette institution joue un rôle considérable dans notre société, qu'elle est le séminaire de la bourgeoisie dirigeante.

Ça ne sert à rien, ce brevet, ça ne prouve rien. Mais combien il est éliminatoire ! »​​

 En 1895, l’idée de supprimer le bac est reprise par l'une des figures de proue de la gauche radicale, Émile Combes, alors ministre de l’Instruction publique, mais elle est vite abandonnée.

Cependant, la suppression du bachot revient régulièrement à l’ordre du jour, alors même que l’épreuve se démocratise peu à peu.  

En 1922, plusieurs éminents professeurs dénoncent une épreuve proche du bourrage de crâne qui conduit, paradoxalement, à abaisser le niveau de connaissances des élèves.

Le journal L’Excelsior se fait le relais de ces voix critiques : 

«​ M. Branly, l'illustre physicien, qui est aussi un professeur comme il n'y en a pas beaucoup, et qui s'y connaît, m’a déclaré il y a quelque temps, à peu près ceci :

– Il est navrant de voir combien les bacheliers d'aujourd'hui sont ignorants. La faute en est au programme du baccalauréat, trop chargé, trop général. L'élève n'a pas le temps de tout apprendre et il se contente d'emmagasiner des notions étendues qu'il s'empresse d'ailleurs d oublier rapidement. [...]

M. Ferdinand Brunot, doyen de la Faculté des lettres, un jour que je lui faisais visite, me tint un langage analogue : 

– Vous seriez effrayé si vous lisiez, comme nous, les copies de certains candidats au baccalauréat. Le niveau intellectuel de ces jeunes gens est quelque chose d’invraisemblable ! Ils ne savent même pas l'orthographe ! Et ce qu'il y a de plus drôle... c'est qu’ils sont reçus ! [...] Eh bien ! si on ne recevait pas ceux qui ne savent rien, on ne recevrait personne ! »​

Le recteur de l'Académie de Paris lui-même appelle purement et simplement à sa suppression, critiquant une épreuve trop abstraite :

«​ Le baccalauréat, estime M. Appell, constitue une épreuve franchement insatisfaisante pour la part de chance et de hasard qui y entre.

Il est fréquent de voir de mauvais élèves y triompher et de bons élèves y échouer. [...]

Je pensais également – et mes idées n'ont pas varié – que le baccalauréat, avec ses vastes programmes, l'absence de toute épreuve pratique, l'effort énorme de mémoire qu'il exige pour quelques jours, le retard qu'il impose à l'entrée dans la vie active, était une institution décevante.

Aussi croyais-je – et je le crois encore – que le baccalauréat devrait être supprimé. »​

Aujourd'hui encore dénoncé comme inégalitaire et absurde, le baccalauréat demeure pourtant une institution française. À la session de juin 2017, près de 88 % des étudiants l'ont obtenu.