Écho de presse

Quand l’école était accusée de rendre les enfants malades

le 30/12/2018 par Priscille Lamure
le 13/12/2018 par Priscille Lamure - modifié le 30/12/2018
La rentrée des classes à l'école Simon Bolivar, Agence Mondial, 1932 - source : Gallica-BnF
La rentrée des classes à l'école Simon Bolivar, Agence Mondial, 1932 - source : Gallica-BnF

Après la Première Guerre mondiale, des voix s’élèvent pour protéger les enfants d’un environnement scolaire devenu « hostile ». La raison ? Le manque d’exercice physique et les conditions d’étude, jugées « insalubres ».

Dans les années 1920, la santé des écoliers devient un sujet de société. En effet, au lendemain de Première Guerre mondiale, tandis que la population française déplore de lourdes pertes humaines et que la situation démographique du pays est jugée inquiétante, le bien-être des enfants se met à occuper une place de choix par les préoccupations de l’opinion.

Mais alors même que les autorités françaises appellent à lutter contre la mortalité infantile et à protéger l’enfance, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les mauvais traitements subis par les enfants au sein même du milieu scolaire.

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L’école républicaine est accusée de contraindre les élèves à travailler dans une atmosphère insalubre, inadaptée à leurs besoins essentiels. De même, les nombreuses heures d’étude imposées seraient la cause d’un surmenage qui toucherait l’ensemble des écoliers.

Le journal Paris-Soir relaie ainsi les propos alarmistes du docteur Dufestel, qui affirme que 70% des écoliers parisiens sont chétifs et malingres. Ce docteur n’hésite d’ailleurs pas à comparer l’école à un « enfer à petites doses » :

« L’école, telle qu’on la réalise actuellement en France, est une grande absurdité. L’éleveur ne demande pas au jeune poulain l’effort qu’il exigera d’un cheval de cinq ans, et l’on demande à l’écolier plus d’heures de travail que la loi n’en impose à l’adulte. En aggravant ce surmenage par les mauvaises conditions d’hygiène dans lesquelles il est réalisé.

L’école est, en effet, pour l’être fragile et grand consommateur d’oxygène qu’est l’enfant, un enfer à petites doses.

– De six à douze ans, nous dit le docteur Dufestel, l’enfant a besoin d’air et d’exercice. Or, de 8 h 30 à 18 heures, on l’enferme dans des locaux mal aérés, mal éclairés, chauffés insuffisamment. À peine lui donne-t-on, trois fois dans la journée, une détente qui n’excède guère un quart d’heure.

Ce temps est trop minime, les cours sont trop étroites pour que les enfants jouent et compensent ainsi par l’exercice physique leur fatigue intellectuelle ; ils crient, ils se bousculent, ils ne jouent pas. L’enfant, pour se bien porter, doit jouer le plus possible. »

Le docteur poursuit ses observations. Il reproche au mobilier scolaire de ne pas être adapté à la morphologie de l’enfant et d’entraîner de graves maladies. Ainsi, pour le docteur Dufestel, le pupitre de l’élève serait un « instrument de torture » :

« Selon les programmes d’enseignement, l’enfant doit être rivé le plus possible à sa table. Et quelle table !

– Ce n’est pas une table, poursuit l’éminent médecin ; c’est un instrument de torture. Les pupitres qu’on emploie dans la plupart de nos écoles sont si mal adaptés à la taille des élèves que les enfants, ces êtres sans muscles, sans résistance, sont amenés nécessairement à se coucher sur la table ou à s’accoutumer à des attitudes vicieuses, qui lui dévient la colonne vertébrale, lui déforment les épaules et, en tous cas, l’amènent à ne plus savoir respirer. Là est le grand mal : l’écolier ne respire pas.

Tous les médecins scolaires signalent ce fait lamentable, qui prédispose à la scoliose et à la tuberculose de pauvres petits êtres déjà affaiblis par l’atmosphère terrible et la vie néfaste des villes. [...] L’instruction obligatoire, telle qu’on la pratique, est un lent suicide de la race. »

Quoiqu’alarmistes, les conclusions du docteur Dufestel, qui vont jusqu’à remettre en cause l’instruction obligatoire, ne découlent pas de jugements hâtifs.

Quelques années plus tôt, d’autres journaux avaient commencé à relayer les sérieuses préoccupations du secteur médical quant à la santé des écoliers. Ainsi, en 1923, L’Œuvre s’inquiétait déjà de cette même « hygiène respiratoire » des élèves et des dangers de leur immobilité durant les cours  :

« Pour que le jeune écolier ne souffre pas de ses études et de l’immobilité prolongée à laquelle il est astreint, il faut lui assurer trois choses : une alimentation surabondante, une bonne hygiène respiratoire, une part d’exercice physique qui équilibre la vie intellectuelle. [...]

Au point de vue de l’hygiène respiratoire, il importe que l’écolier travaille dans des classes vastes et aérées que l’on ventile largement dès que les enfants les ont quittées. Trop souvent ces conditions ne sont pas remplies et l’air des salles de classe est insuffisant et vicié.

Il serait nécessaire que la surveillance médicale fût effective, dans toutes les écoles et que les voies respiratoires des écoliers fussent l’objet d’une surveillance régulière. »

Pourtant, dès 1793, sous la Convention, la nécessité de mener des actions de santé en milieu scolaire avait été évoquée par le député montagnard Joseph Lakanal afin de veiller au bien-être des écoliers et contribuer à leur réussite scolaire. Dès lors, des visites d’officiers de santé avaient été mises en place dans les établissements scolaires.

Près d’un siècle plus tard, en 1887, dans le cadre de l’élaboration de la politique de santé en France, un service d’inspection médicale des écoles avait été créé, mais seules quelques grandes villes avaient pu en profiter.

Examen médical des enfants à l'école en plein air du boulevard Bessières, Agence Rol, 1921 - source : Gallica-BnF
Examen médical des enfants à l'école en plein air du boulevard Bessières, Agence Rol, 1921 - source : Gallica-BnF

La fatigue et le surmenage des jeunes écoliers sont un sujet si préoccupant qu’il est utilisé par les publicitaires de cette époque pour vendre des compléments alimentaires aux enfants. Ainsi, un encart publicitaire du Petit Parisien vante les bienfaits de la Quintonine, une boisson « dont les principes stimulants et reconstituants multiplient leur action dans les organismes débilités, anémiés et surmenés » :

« Mais non, douces mamans, votre enfant n’est pas paresseux, sa nonchalance, sa tristesse, son indifférence et son inaptitude à l’étude ne viennent pas non plus d’un mauvais vouloir. […]

Soyez indulgentes et surveillez plus attentivement la santé de votre enfant. Ne remarquez-vous pas, depuis quelque temps déjà un état d’être moins bon, un appétit plus médiocre, un sommeil plus agité, deux yeux cernés, un visage pâle, amaigri et parfois douloureux, tous les signes enfin de la fatigue et du surmenage ?  »

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’apparaîtra la médecine scolaire telle que nous la connaissons et que la généralisation de la surveillance médicale des élèves sera mise en place à l’échelle nationale.

En 1945 sera créé le Service de santé scolaire rattaché au ministère de l’Éducation nationale et composé de médecins et d’infirmiers, acteurs à part entière du système éducatif français. En 2001, ce Service de santé scolaire prendra le nom de « mission de promotion de la santé en faveur des élèves » et s’orientera, au fil des ans, vers la protection médico-sociale de l’enfance et son insertion dans le milieu scolaire.

Pour en savoir plus :

Pierre Arnaud, « La Mise en forme scolaire de l’exercice physique », in: Revue française de pédagogie, 1989

Andrew Cutcher, « L’Éducation physique et la poursuite du bonheur », in: Revue française d’études américaines, 1997

Marcel Spivak, « Le développement de l'éducation physique et du sport français de 1852 à 1914 », in: Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1977