Écho de presse

Les jeunes des années 1940, instruments de la politique de Pétain

le 06/04/2019 par Priscille Lamure
le 20/03/2019 par Priscille Lamure - modifié le 06/04/2019
Photo d'un garçon réquisitionné au camp paysan de Fleurus dans le cadre du Service civique rural, La Petite Gironde, 1941 - source : RetroNews-BnF
Photo d'un garçon réquisitionné au camp paysan de Fleurus dans le cadre du Service civique rural, La Petite Gironde, 1941 - source : RetroNews-BnF

Pour le maréchal Pétain, le « relèvement » de la France vaincue ne peut se faire sans l’action de la jeunesse. En ce sens, divers services civiques sont mis en place afin « d’encadrer » celle-ci, leur transmettant sans fard l’idéologie du régime de Vichy.

Dans les années 1940, seuls quelque 3 % des jeunes Français vont au lycée. Nombre d’entre eux ont interrompu leur scolarité après le certificat d’études primaires afin d’entrer dans le monde du travail en tant qu’apprentis ou salariés. Ainsi, ce que l’on nomme la « jeunesse » française de cette époque constitue un groupe hétérogène composé d’écoliers, d’étudiants, d’ouvriers ou d’agriculteurs.

Comme tout régime autoritaire, le gouvernement de Vichy fait de la jeunesse un véritable enjeu politique. Pour Philippe Pétain, à la tête du nouvel État français, c’est sur les jeunes du pays que reposent ses espoirs d’un hypothétique « redressement » du pays. Dès octobre 1940, le quotidien aquitain La Petite Gironde, fervent collaborationniste, se fait le porte-parole de la politique destinée à mobiliser les jeunes pour la reconstruction de la nation, notamment via une rubrique régulière intitulée « Pour les jeunes, par les jeunes » :

Archives de presse

Les Grands Reportages à la une

Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.

En savoir plus

« Les conséquences de notre défaite ont des répercussions extrêmement graves pour la jeunesse française. […]

Un grand nombre de jeunes apprentis, ouvriers, employés sont oisifs et sans espoir de travail immédiat. [...] Y a-t-il une solution à cet angoissant problème de l’heure ? Oui, et nous devons nous faire un devoir de la mettre en œuvre immédiatement.

De nombreux grands travaux d’intérêt public, irrigations, assèchement, cultures, défrichements, etc., peuvent être réalisés par les jeunes parce qu’à la portée de leurs forces. [...] La terre appelle de nombreux bras auxquels elle donnera des moyens d’existence sains et certains. [...]

Quant à ceux qui veulent demeurer en ville, il leur faut ne pas se décourager. De toutes les erreurs passées, émerge déjà un nouveau plan de redressement par les jeunes sous l’égide du maréchal Pétain et l’impulsion ardente d’un chef courageux et compétent, M. Jean Borotra.

À cette construction, chaque jeune peut et doit apporter sa pierre. »

Afin de faire profiter la France de la force physique de la jeunesse, plusieurs « Chantiers de la jeunesse française » fondés au lendemain de l’Armistice deviennent, dès le mois de janvier 1941, une institution d’État. Dès lors, chaque jeune garçon français âgé de 20 ans et résidant en zone non occupée doit effectuer huit mois de stage dans des chantiers. Ce service civil obligatoire a pour but de leur inculquer le « goût du travail » et de la solidarité, de même que l’idéologie du gouvernement de Vichy.

Pour le journal catholique La Croix, ces Chantiers de la jeunesse constituent une excellente initiative, « une préparation à la vie », « une pépinière de chefs » permettant aux adolescents de s’épanouir physiquement et intellectuellement tout en participant activement au salut de la patrie :

« À l’heure où les hostilités s’achevaient, les chefs responsables de notre pays eurent crainte que la jeunesse ne fût plongée dans un redoutable désarroi. Le chômage, la découverte d’une réalité aussi dure qu’incroyable pouvaient faire éclore des germes empoisonnés. Sans hésiter, les Chantiers de la Jeunesse furent décidés. Les Jeunes appelés au début de 1940 et qui, en fait de préparation militaire, venaient d’effectuer une terrible retraite y furent affectés. [...]

Ils sont organisés. Ils travaillent, et pleinement. À Tronçais, ils abattent des taillis et fond du charbon de bois ; ailleurs, ils terrassent, ici ils reboisent, là ils réparent. Ils constituent un service national.

Mais cela ne fait oublier qu’ils sont venus pour se fortifier physiquement. L’hébertisme fait partie du programme quotidien. Et si le corps a sa part, l’intelligence n’est pas négligée. Des initiatives multiples et diverses se succèdent pour assurer aux Jeunes qui vivent dans leurs retraites, loin des bourgs, en pleine campagne, les possibilités de formation.

Former l’homme, le Français de demain, celui dont la Patrie a besoin, accueillir un adolescent et l’aider à se préparer à sortir plus viril, plus riche, plus ardent, plus confiant dans l’avenir, voilà le but des Chantiers de la Jeunesse. »

Ainsi entre 1940 et 1944, 400 000 jeunes hommes français résidant en zone « libre » effectueront ces stages en chantiers. Pour beaucoup d’entre eux, le déracinement de leur foyer pendant huit mois ainsi que leur rude quotidien, rythmé par des travaux harassants, transformeront cette expérience en une douloureuse épreuve.

Cependant l’État français, qui n’a visiblement de cesse de manquer de bras, recherche également de la main-d’œuvre agricole. Ainsi, au mois de mars 1941, un « Service civique rural » est créé. Son but est d’encourager les jeunes Français de 17 à 21 ans à donner bénévolement de leur temps et leurs corps, pendant les vacances scolaires, afin de participer activement à des travaux agricoles dans les campagnes.

Puis à la fin de la saison agricole, un autre « service civique », urbain celui-ci, est mis en place afin d’orienter ces mêmes jeunes bénévoles vers d’autres actions sociales en ville, qu’ils devront cumuler avec leur scolarité ou leur activité professionnelle.

Pour La Petite Gironde, il va sans dire que les jeunes Français ont le devoir d’employer leur temps libre à servir la mère patrie :

« Sous l’impulsion et la direction du secrétariat général à la Jeunesse et de la Mission de restauration paysanne, le Service civique rural a apporté aux moissons de France des bras vaillants et des cœurs généreux à l’œuvre de rénovation française.

Avec la fin des vacances ses activités vont cesser. Mais les jeunes ont le devoir de “servir” encore dans tous les domaines. Pour eux vient d’être créé le Service civique urbain, qui les mettra en contact avec les réalités sociales, qui leur permettra de soulager les misères que nos jours d’épreuves ont accumulées.

Des équipes de volontaires vont être créées qui, à leur moment de liberté, en dehors de leur travail, iront visiter les familles de nécessiteux et leur apporter secours et réconfort. »

Dans la France du gouvernement de Vichy, le lourd fardeau du redressement de la France reposera notamment sur les épaules des jeunes Français. Sans surprise, beaucoup d’entre eux souffriront de l’éloignement de leur famille et de la pénibilité des travaux harassants auxquels ils seront soumis.

Mais lorsqu’en 1943 la force de travail de ces mêmes jeunes sera réquisitionnée par l’occupant dans le cadre du STO, ils seront désormais nombreux à se rebeller et à refuser leur déportation forcée vers les camps de travail allemands.

Pour en savoir plus :

Christophe Pécout, « Endoctriner les corps sous le régime de Vichy. le cas des chantiers de la jeunesse (1940-1944) », in: Guerres Mondiales et conflits contemporains, 2017

Fatia Terfous, La politique en faveur de l'éducation physique des jeunes filles sous Vichy : l'œuvre de Marie-Thérèse Eyquem (1940-1944), in: Carrefours de l’éducation, 2010