Écho de presse

Pierre Larousse et l’invention française du dictionnaire encyclopédique

le 13/06/2019 par Marina Bellot
le 23/05/2019 par Marina Bellot - modifié le 13/06/2019
Couverture du Nouveau Larousse Illustré, édition en sept volumes reliée de cuir vert, 1897-1904 - source : WikiCommons
Couverture du Nouveau Larousse Illustré, édition en sept volumes reliée de cuir vert, 1897-1904 - source : WikiCommons

Un homme de lettres lancé dans une folle entreprise : Pierre Larousse a dédié sa vie à documenter noms communs et noms propres afin d’en dresser une immense encyclopédie. Une tâche titanesque saluée par la presse du Second Empire.

Son nom fait partie de nos vies. Avant de se transformer en nom commun – qui n’a jamais invoqué « le Larousse » afin de vérifier une orthographe ou une définition ? – Larousse, Pierre de son prénom, est un pédagogue, encyclopédiste, lexicographe et éditeur français. C’est cet homme savant et insatiable de connaissances, qui invente le dictionnaire encyclopédique – une tâche immense pour une vie relativement courte puisqu'il mourra en 1875 à Paris, à l’âge de 57 ans.

Républicain et démocrate, héritier de la pensée des Lumières, Pierre Larousse un boulimique de savoirs. Il étudie le latin, le grec, la linguistique, le sanskrit, le chinois, les littératures française et étrangère, l'histoire, la philosophie, la mécanique et l'astronomie. En 1851, il fonde la librairie Larousse. Quatre ans plus tard, en 1856, il publie le Nouveau Dictionnaire de la langue française, l’ancêtre du Petit Larousse (qui paraîtra sous ce nom pour la première fois bien plus tard, en 1905).

Dans son édition du 10 janvier 1875, Le Tintamarre revient sur ce parcours hors normes :

« Parti de bas (ainsi dit-on, comme si certaines gens naissaient au-dessus de terre), Larousse, élevé à l'école primaire, devint, ses classes finies, directeur d'une école professionnelle, puis fonda, en 1851, une librairie classique.

Ses affaires prospéraient et ses livres d'enseignement, embrassant la lecture, la grammaire, la lexicologie, lui avaient procuré, grâce à des labeurs continus, une honnête fortune, lorsqu'il résolut, il y a dix ans environ, de mettre à exécution un projet depuis longtemps choyé, celui d'attacher à son nom la gloire d'une œuvre grande.

Sans calculer qu'il engloutirait dans son entreprise tout le gain péniblement amassé, il se mit bravement à la besogne, se disant qu'il laisserait à nos enfants une encyclopédie du XIXe siècle. »

L’entreprise encyclopédique de Pierre Larousse est une œuvre sans précédent dans sa volonté d'universalité et d'exhaustivité. Elle impressionne les commentateurs, comme La Presse, qui prend connaissance d’une partie des premiers volumes le 10 avril 1864 :

« Nous avons sous les yeux les quatre premières livraisons du Grand Dictionnaire Universel de M. Pierre Larousse. C'est un véritable monument élevé à la gloire de la langue française.

Chaque livraison est si variée qu'elle se fait Iire avec autant d'intérêt qu’un numéro de revue.

Il y a de tout dans une livraison : il y a de l’histoire, de la politique, de la science, de la littérature, de la biographie ; il y a surtout beaucoup d'esprit, car les sens divers de chaque mot son élucidés par une multitude de citations judicieusement choisies ; c’est le dictionnaire de la pensée humaine. »

Après avoir émis des doutes quant à la possibilité de sa réalisation et tandis que paraît le quatrième volume du Grand Dictionnaire, le critique du Temps, Edmond Schérer, doit se livrer à cet exercice de contrition le 10 août 1869 dans le cadre d'un article publi-rédactionnel :

« Je ne puis parler de lexicographie française sans dire un mot du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, l’une des plus étranges entreprises de ce temps et dont je ne vois jamais paraître une livraison sans admirer la vaillance et le savoir-faire de M. Larousse.

Qu’on ne se figure un dictionnaire complet de la langue, sur lequel on a tenté une encyclopédie non moins complète des connaissances humaines, et, par-dessus tout cela, des articles qu’on n’avait jamais rencontrés dans un recueil de ce genre, l’analyse de tous les ouvrages littéraire un peu célèbres, des études sur les monuments et les œuvres d’art, des anecdotes, des bons mots, des chansons, que sais-je ?

Je n’ai pas encore su trouver un sujet qui ait échappé à l’ambition de M. Larousse. Mais ce qu’il y a de plus extraordinaire peut-être dans ce livre, c’est qu’il paraît régulièrement, et qu’on peut en regarder l'avènement comme assuré. Du train dont il va, il aura environ dix-huit volumes, et quand ces dix-huit volumes auront paru, on possédera tout un monde d’informations utiles, curieuses ou amusantes, un répertoire immense de choses qui ne sont rassemblées que là. »

Dans sa parution du 29 avril 1864, Le Constitutionnel souligne l’admiration quasi unanime que suscite le Grand Dictionnaire de Pierre Larousse :

« Ce Dictionnaire colossal, qui jugera tous les partis, toutes les opinions, toutes les individualités avec le même esprit impartial, mérite les sympathies de tous les hommes éclairés. »

Au fil des ans, la presse suit l’avancée de cette œuvre alors considérée comme insensée : la sortie de chaque nouveau volume et ce qu’elle implique en termes logistiques – l’organisation de l’imprimerie notamment – est commentée.éé

Les pages des journaux foisonnent d’annonces relayant la sortie d’un nouveau fascicule, son prix et conditions de livraison. Les détails les plus précis – la liste des mots ou la longueur de leur définition – sont observés comme des faits qui relèveraient de l'exploit sportif, comme dans cet article du Siècle du 18 septembre 1865 :

« Le 22e fascicule du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, de M. Pierre Larousse, a été mis en vente aujourd’hui. Les mots qui dominent dans cette livraison sont : Athalie (de Racine), Athée, Athéisme, Athènes, Atlantide, Atlantique, Atlas, Atmosphère, Atome, Atomisme, Atrium, Atrophie. Plusieurs de ces mots ont un développement de plus de 1 000 lignes. »

Toutefois, ci cette œuvre colossale et française se transforme en véritable orgueil national, le Grand Dictionnaire ne plaît pas à tous : il est par exemple mis à l'index par la Sacrée Congrégation, notamment parce que la fibre impartiale de l'œuvre est considérée « uniformément anti religieuse et antisociale » comme le souligne le journal catholique L’Univers le 29 avril 1873.

Pierre Larousse poursuivra cependant cette tâche titanesque toute sa vie. Après sa mort, Le Tintamarre saluera une dernière fois son sens de la dévotion :

« Pierre Larousse a tout sacrifié à ce travail gigantesque : sa chère existence d'abord, et trois ou quatre fortunes laborieusement acquises par ses travaux classiques.

Le Grand Dictionnaire est donc non-seulement l'œuvre d'un littérateur d'un talent supérieur, mais encore celle d'un homme de cœur qui n'a cessé de lutter pour la cause de l'instruction et de la démocratie. »

Après sa mort, les hommages seront à la hauteur de l'admiration suscité par cet homme décrit comme attentif et proche de ses ouvriers, comme le rapporte l'un de ses anciens collaborateurs dont les propos sont relayés par Le XIXe siècle le 10 janvier 1877 :

« Ne possédait-il pas toutes les qualités qui font le véritable écrivain : l'indépendance , l'enthousiasme, le dévouement aux causes justes ? N'avait-il pas surtout et par-dessus tout la bonté ?

Combien sommes-nous, dans la grande famille littéraire, dont il a encouragé les débuts, qu'il a soutenus et aidés à vivre ? »

Pierre Larousse laisse derrière lui un monument à son nom, dans sa ville natale, Tourcy, de même qu'une œuvre colossale qui lui survit, plus d’un siècle après son décès :  le dictionnaire encyclopédique « Le Petit Larousse », classique des bibliothèques françaises.

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