Écho de presse

1927 : une grève du baccalauréat inédite – et victorieuse

le 06/07/2021 par Marina Bellot
le 08/07/2019 par Marina Bellot - modifié le 06/07/2021
Écoliers du lycée Lakanal, Sceaux, 1916 - source : Gallica-BnF
Écoliers du lycée Lakanal, Sceaux, 1916 - source : Gallica-BnF

En 1927, les professeurs du secondaire refusent de faire partie du jury du baccalauréat. L'objectif de cette « grève du bachot » : contraindre le gouvernement à rendre effective l'augmentation de salaires qui leur avait été promise.

Juin 1927. À l’approche du « bachot », l’inquiétude grandit : « les professeurs du secondaire feront-ils la grève du baccalauréat ? », s’interroge le journal socialiste L’Œuvre, qui expose les raisons d'un « mécontentement plus vif que jamais » :

« Il y a trois mois, les professeurs de l'enseignement secondaire, pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité d'un rajustement équitable de leurs traitements, abandonnaient les fauteuils qui leur sont réservés au Conseil supérieur de l'instruction publique. Ils obtinrent à cette occasion des promesses précises, qui calmèrent pour un temps l'agitation.

Mais ces promesses ne leur ont apporté qu'une déception de plus. L'année scolaire va se terminer sans qu'aucune modification ait été apportée à la situation qu'ils déclaraient inadmissible. Aussi le mécontentement est-il plus vif que jamais.

Or nous sommes à la veille du baccalauréat. On va demander à un certain nombre de professeurs, à Paris et dans les grandes villes universitaires de province, un service supplémentaire, important, indispensable, et qu'on ne peut attendre que de leur dévouement. Ainsi sont-ils fortement tentés de répondre : "Donnant, donnant ! Nos augmentations ou pas de jurys de baccalauréat !" »

« Aurons-nous la grève du baccalauréat ? », se demande de même L’Excelsior, estimant qu'« il serait déplorable de voir le cours des examens arrêté au grand détriment des candidats ».

Les professeurs ne s'y trompent pas : leur refus de participer aux jurys d'examen est un excellent moyen de pression pour faire aboutir au plus vite leurs revendications.

À quelques jours du début des épreuves, le ministre de l'Instruction publique Édouard Herriot, lui-même Agrégé d'arts, se veut tout à la fois conciliant avec les enseignants et rassurant envers les familles, comme s'en fait l'écho L'Intransigeant :

« Aucune solution n’étant intervenue, nous avons demandé ce matin au ministère de l’Instruction publique quel était l’état de la question.

“M. Herriot, nous a-t-on répondu, s’est occupé très attentivement de la question et après un accord qui vient d'intervenir avec le ministère des Finances, il paraît probable que d’ici lundi, veille de l'ouverture des examens, intervienne une solution qui donnera satisfaction aux intéressés.”

“De toute façon, a-t-on ajouté, vous pouvez rassurer les familles. Les épreuves du baccalauréat auront lieu, car nous avons pris toutes les mesures nécessaires pour que le service des examens soit assuré. Les épreuves dureront peut-être un peu plus longtemps, mais en tout cas elles auront lieu.” »

Les tentatives d'apaisement du gouvernement qui, en gage de bonne volonté, s'est empressé de déposer devant la Chambre une demande de crédits pour le relèvement du traitement de tous les fonctionnaires, n'y font rien : à Lyon, par exemple, « la grève des membres du jury est à peu près complète » et ce sont donc des « jurys de fortune » qui sont constitués dans la précipitation rapporte Le Gaulois :

« La grève des membres du jury est à peu près complète. Seuls, quelques professeurs de lycée, d'histoire surtout, la plupart d'ailleurs chargés de cours dans l'enseignement supérieur, ont répondu à la convocation du recteur. Aussi les doyens ont dû constituer des jurys de fortune.

Les inspecteurs d'académie de Lyon, Bourg, Mâcon, etc., ont été requis, ainsi que les proviseurs des lycées de ces mêmes villes.

En outre, les directeurs des lycées de jeunes filles de l'Académie ont prêté leur concours, ainsi que les professeurs de Faculté. »

Alors que les épreuves écrites ont commencé, les enseignants maintiennent la pression et menacent, par la voix de leur syndicat, de demander l'annulation des épreuves, dénonçant la décision du ministre d'autoriser les professeurs non agrégés à faire partie des jurys :

« Le bureau du syndicat national des professeurs de lycées s'est réuni, hier, pour prendre connaissance des renseignements qui lui sont parvenus sur la façon dont se passent les examens du baccalauréat et sur la composition irrégulière de certains jurys.

Il a décidé de signaler aux familles que ces irrégularités leur donnent le droit de demander, sous dix jours, l'annulation des épreuves. »

Le 19 juillet, le vote des crédits que les enseignants attendaient est acté. Leur pression a payé ; la presse peut annoncer que la grève du baccalauréat est terminée :

« Le Parlement ayant accordé les crédits que le Gouvernement lui demandait pour relever tes traitements des fonctionnaires et, le ministre de l'Instruction publique se proposant de faire payer aussitôt que possible les arriérés d'augmentation, le Syndicat des professeurs de lycées vient d'inviter ses membres à se considérer comme relevés de leur engagement de ne pas prendre part aux jurys du baccalauréat. »

Peu commentée en tant que confrontation politique par les journaux, la presse d'extrême gauche se réjouit toutefois de ce mouvement syndical victorieux, tel L'Humanité, qui veut croire :

« Les professeurs se sont éveillés au sens de classe. »

Pour en savoir plus :

Yves Verneuil, « La grève du “bachot” de 1927 », in : International Journal of the History of Education, 2008

Pierre Ropert, « Le Baccalauréat : deux cents ans d'histoire », FranceCulture.fr

Le mouvement de 1927 évoqué dans Le Maitron (dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social) à travers les biographies de Laure Bréchot et de Victor Copé, sur maitron-en-ligne.univ-paris1.fr