Écho de presse

« Comment élever ses enfants », selon Vichy

le 10/04/2021 par Pierre Ancery
le 11/09/2020 par Pierre Ancery - modifié le 10/04/2021
En 1941, le « Manuel du père de famille », préfacé par Pétain, sert la volonté vichyste de mettre la famille traditionnelle au premier plan.
« Travail, Famille, Patrie » : le deuxième terme de la devise vichyste s'incarne parfaitement dans le livre que publie fin 1941, en pleine Occupation, le vice-amiral de Penfentenyo. Ex-préfet maritime de Lorient qu'il défendit par les armes en 1940, capturé et détenu par les Allemands à Königstein jusqu'en juin 1941, Penfentenyo est alors, à 62 ans, père de quatorze enfants.

Mais il est surtout, entretemps, devenu membre du Conseil consultatif de la famille française de Vichy, l'organe chargé de mettre en œuvre la politique familiale du régime.

Préfacé par le maréchal Pétain, son Manuel du père de famille, sorte de guide éducatif à l'intention des familles françaises, bénéficie d'une large couverture de la presse lors de sa parution fin 1941 chez Flammarion. Le 3 décembre, Le Figaro publie ainsi la lettre-préface de Pétain :

« Vous m'avez fait don du “Manuel du Père de Famille” que vous avez écrit en captivité avec le meilleur de votre cœur. Je vous en remercie. À mon tour j'en fais don aux Jeunes qui veulent se rendre dignes de fonder un foyer. Ils y trouveront les plus utiles conseils.

Je souhaite que ce Manuel soit diffusé au maximum non seulement parmi les Jeunes, mais encore parmi ceux qui ont la noble et difficile mission de restaurer la France.

Croyez, Amiral, à ma bien vive sympathie.

Ph. Pétain »

Penfentenyo, descendant d'une vieille famille bretonne, impute la défaite de 1940 à une baisse de la natalité française et au déclin des valeurs traditionnelles « Famille, Cité, Patrie », comme il l'explique dans un texte paru dans le même numéro :

« Nous avons vu régner le manque d'autorité, l'absence de responsabilité, le laisser-aller, l'égoïsme, l'esprit de jouissance. Au lieu de réagir chacun ne pensait qu'à se débrouiller au mieux afin de jouir le plus possible des biens de ce monde en travaillant le moins possible. À quelques exceptions près, cet esprit dominait toute la nation, à tous les niveaux de l'échelle sociale [...].

En conséquence : — Pas d'autorité dans l'État ; — Pas d'autorité dans la famille ; — Méconnaissance des responsabilités à tous les échelons ; — Peu ou pas d'enfants ; — Le plus de luxe et de jouissance possibles ; — Le minimum de travail ; — Et puis la foire aux consciences et la surenchère électorale. Nous savons, hélas ! où tout cela nous a conduits. »

 

Pour y remédier, il prône un retour des vertus qui, selon lui, ont fait jadis de la France une nation « grande, forte et prospère » :

« Remplacer : — L'égoïsme par l'esprit de famille et l'esprit de solidarité nationale ; — L'esprit de jouissance par l'esprit de devoir ; — L'abandon et la facilité par l'esprit d'autorité, de travail et d'économie ; — Le nihilisme politique par le respect de l'autorité ; — Le nihilisme religieux, par le sens des grandes responsabilités humaines et le respect du Décalogue, loi commune aux chrétiens (catholiques et protestants), aux Musulmans et aux Juifs [...].

Nous avons déjà des enfants mariés ; nous en avons d'autres qui sont destinés bientôt à fonder de nouveaux foyers. C'est pour eux que nous avons entrepris d'écrire ce manuel pratique et sûr, dans lequel ils trouveront les leçons vivantes de nos expériences mises en commun. Mais en nous adressant à nos enfants, nous pensons à tous les jeunes gens de France. »

 

Une vision en accord avec la politique familiale réactionnaire voulue par Pétain dans le cadre de la Révolution nationale, selon laquelle les droits de la famille l'emportent sur ceux des individus. Dans cette optique, le régime rendra les divorces plus difficiles, découragera le travail des femmes, réprimera l'avortement et favorisera les familles nombreuses.

Le 1er juin 1942, Penfentenyo préside à Lyon la célébration de la fête des Mères (une journée à laquelle Vichy donnera une grande importance). Le Temps retranscrit son discours :

« Le maréchal Pétain nous a montré la voie du salut et tracé le programme... Comme nous l'a dit le Maréchal, c'est sur la famille qu'il faut reconstruire, et non pas sur la profession. Dans la profession, si la technique rapproche les esprits, l'intérêt oppose les cœurs. Seul, le terrain familial permet de rapprocher à la fois les esprits et les cœurs de tous les Français, sans aucune distinction de classe, de profession ou d'opinion. C'est sur lui seul que nous pouvons poser les fondations solides pour reconstruire. »

En 1943, le vice-amiral de Penfentenyo, accusé d'avoir participé à des réunions non autorisées, sera arrêté par la Gestapo et déporté en Allemagne. Il y restera jusqu'en mai 1945. Sa résistance militaire à l'invasion allemande de 1940 lui vaudra d'être fait grand-croix de la Légion d'honneur en 1955.

Il mourra en 1970. Parmi ses quatorze enfants, trois de ses fils, tués au combat, reçurent la mention « mort pour la France ».