Interview

Une histoire accélérée du changement climatique, par Alain Gioda

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« Paris pendant la canicule », gravure d'Auguste Lepère, Collection Jacquet, 1882-1887 - source : Gallica-BnF

De quelles sources dispose-t-on pour étudier l'histoire du climat ? Pourquoi les épisodes de canicules se multiplient-ils ? Comment expliquer que le doute perdure face à l'influence des activités humaines sur ce phénomène ? Entretien avec l'historien du climat Alain Gioda. 

« Rebâtir une part de l'histoire du climat » et penser la « climatologie du futur » : ainsi Alain Gioda résume-t-il sa mission d'historien du climat. Spécialiste en hydrologie, il a commencé par reconstituer, dans les années 1970, les conséquences des crues depuis le XIXe siècle dans la plaine du Pô, puis s'est intéressé aux techniques traditionnelles de recueillir l’eau – car elles sont souvent peu coûteuses – dans les pays pauvres : Côte d’Ivoire, Niger, Bolivie et Pérou.

Il est aujourd'hui spécialiste des énergies renouvelables, largement utilisées depuis des siècles, l’hydraulique, l’éolien et le solaire, afin de pallier les effets du « rapide et brutal changement climatique en cours ». 

Propos recueillis par Marina Bellot 

RetroNews : Comment en êtes-vous venu à la recherche sur le climat ? 

Alain Gioda : C’est une spécialisation que j’ai acquise en autodidacte avec la complicité de nombreux collègues. Plus précisément, c’est un domaine qui, selon moi, correspond à un triangle dont un premier côté est l’hydrologie ou la science de l’eau, le second, l’histoire et le dernier, l’écologie. 

À l’UMR Hydrosciences dans laquelle j’évolue à Montpellier, ma tâche peut se résumer à reconstruire un casse-tête ou un puzzle, à savoir rebâtir une part de l’histoire du climat sud-américain à partir des documents primaires c’est-à-dire ceux écrits sur place par les personnes ayant vécu des aléas climatiques qu’ils décrivent tout en demeurant ou ayant demeuré longuement aux Amériques. 

Au fil du temps, j’ai enjambé le présent pour essayer de passer à la climatologie du futur. Modestement, j’essaie d’appliquer et surtout je cherche à faire appliquer des solutions. Je parlerais même de remèdes, le plus souvent traditionnels donc issus de l’histoire et bon marché (tels les arbres fontaines et leurs clones, les filets attrape-brouillard), voire plus coûteux (ainsi les centrales hydro-éoliennes c’est-à-dire mues par des énergies renouvelables soit des forces déjà utilisées avant la Révolution industrielle), afin de pallier aux effets du brutal et rapide changement climatique en cours.

L'histoire du climat n’est-elle pas particulièrement confrontée à une documentation hétérogène et partiale ? 

On va pouvoir la recouper avec d'autres données indirectes des anciens climats issues de l’étude des carottes des glaces et des sédiments lacustres et marins, des stalagmites et stalactites des grottes, des lichens, des coraux, des pièces archéologiques, etc. L’ensemble de ces données, dont celles historiques, est connu sous le nom anglais de proxy data.

Les écueils du manque de données et de leur hétérogénéité se rencontrent dans tous les domaines de la science mais, de manière sans doute un peu plus marqués, en histoire du climat. D’une manière générale, l'histoire est partiale, comme vous le dites bien, car écrite par les vainqueurs, et l’histoire du climat est donc a priori une histoire de la noblesse puis de la grande bourgeoisie, bien plus qu’une histoire populaire. Ceci dit, si l’on enlève les filtres et qu’on essaie de travailler honnêtement et patiemment, on récupère beaucoup d’informations. 

Il y a deux champs distincts : premièrement, la recherche archivistique du climat qui utilise des archives - dites aussi, dans notre jargon, des documents primaires - qui souvent ne souffre pas de biais gênants : registres des décès, dates de la véraison (changement de la couleur des grains) et des récoltes des raisins (importantes pour célébrer ensuite la messe donc elles sont très suivies et consignées, année après année quelquefois pendant des siècles, par les abbayes), dates du gel du vin de messe, etc. Cette approche permet de remonter jusqu’au Moyen Âge en Europe. 

De manière quantitative, par exemple en Égypte, des instruments spécifiques, l...

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