Écho de presse

La furie aveugle du premier tueur en série, Joseph Vacher

le 22/08/2018 par Arnaud Pagès
le 24/11/2017 par Arnaud Pagès - modifié le 22/08/2018
llustration tirée du récit « Le tueur de bergers », par ***, édition S. Schwartz, 1898 - source : BnF-Gallica

Suspecté d'être l'auteur d'une dizaine de meurtres, Joseph Vacher est arrêté en octobre 1898 puis condamné à mort. La presse livre alors les détails d'un parcours criminel hors du commun.

Dans son édition du 28 octobre 1898, le quotidien La Lanterne décrit les élucubrations d’un assassin recherché depuis plusieurs mois, manifestement fou, au cours des premiers instants de son procès :

« À huit heures et demie, Vacher est amené dans la salle d'audience. L’accusé lève les bras vers le ciel en s'écriant : “Gloire à Jésus ! Gloire à Jeanne d'Arc ! Au grand martyr du temps ! Et gloire au grand Sauveur !” »

Cet homme s’appelle Joseph Vacher. On lui impute l'assassinat de sang-froid, sans le moindre motif, d'une cinquantaine d'innocents dans les environs de Grenoble, en Isère.

Joseph Vacher est né le 16 novembre 1869 à Beaufort dans l'Isère, au sein d'une famille nombreuse : quinze frères et sœurs. Son père est cultivateur et jouit d'une excellente réputation. Sa mère, dévote et superstitieuse, est régulièrement sujette à des crises d'hallucinations.

Dès ses jeunes années, son caractère cruel et violent inquiète sa famille. Il prend un malin plaisir à torturer de petits animaux qu'il capture dans les champs. Fréquemment pris de crises de démence, il se montre extrêmement brutal envers ses frères et sœurs, et casse tout dans la maison.

Après une scolarité chaotique, il commence à travailler à quatorze ans, multipliant les petits boulots. C'est à cette époque que plusieurs meurtres particulièrement sanglants ont lieu dans les environs, en Isère, qui ne seront jamais élucidés. Tous ont été commis dans des lieux fréquentés par Joseph Vacher.

À seize ans, l'une de ses sœurs le fait entrer au séminaire des Frères maristes de Saint-Genis-Laval pour qu'il puisse y parfaire son éducation. Il y restera deux ans. À dix-huit ans, il est exclu pour « actes immoraux », étant accusé d'avoir masturbé plusieurs de ses camarades.

Après plusieurs petits boulots sans lendemain – ses employeurs finissant toujours par le renvoyer – il est tiré au sort le 16 novembre 1890 pour effectuer son service militaire et intègre le 60e régiment d'infanterie de Besançon. C'est durant son incorporation qu'il fait la connaissance de Louise Barrand, une jeune cantinière dont il tombe amoureux.

Le 25 juin 1893, il la demande en mariage, mais cette dernière refuse, prétextant être éprise d'un autre soldat. Vacher sombre alors dans une colère noire, dégaine son revolver et tire à trois reprises sur Louise Barrand.

Cette dernière s'en sort miraculeusement. Vacher, désespéré, tente alors de se suicider en retournant l'arme contre lui, mais se rate. La balle, qui a traversé la partie inférieure de son crâne, le rend sourd de l'oreille droite et provoque une inflammation de son œil, qui restera injecté de sang jusqu'à sa mort.


Arrestation de Joseph Vacher. Illustration tirée du récit « Le tueur de bergers », par ***, édition S. Schwartz, 1898 - source : BnF-Gallica

Hospitalisé à l'asile de Dole pour troubles psychiatriques, il est réformé de l'armée dans la foulée. Le docteur Guillemin qui l'examine diagnostique un « état d'aliénation mentale caractérisée par un délire de persécutions ».

Mais contre toute attente, son état s'améliore. Après plusieurs mois d'internement, Vacher est libéré.

C'est à sa sortie de l'asile qu'il va entamer une vie d'errance, sillonnant la France de bout en bout, marchant jusqu'à soixante kilomètres par jour, vivant de menus travaux dans les fermes. Vacher devient un vagabond. C'est durant cette période qu'il va commettre, en Isère, le premier meurtre dont il reconnaît être l'auteur. Le 20 mai 1894, il étrangle, égorge, mutile puis viole Eugénie Delomme, âgée de 21 ans.

Entre novembre 1894 et mai 1897, il tue dix autres personnes prises au hasard, abîmant à chaque fois leurs corps d’une façon particulièrement sadique. Face à ces crimes infâmes, qui portent tous la même signature, les services de police parviennent à établir un signalement du tueur, grâce à plusieurs témoignages.

En août 1897, le vent commence à tourner pour Joseph Vacher. Arrêté en Ardèche pour « outrage à la pudeur » suite à l'agression d'une fermière dénommée Mme Plantier, il est condamné à trois mois de prison.

À quelques centaines de kilomètres, le juge Émile Fourquet a pris ses fonctions à Belley, dans l'Ain. Scandalisé par les meurtres de celui que l'on surnomme le « Tueur de bergers » (en raison du profil de ses victimes), il va pour la première fois appliquer une méthode devançant d’un siècle le « profilage » afin de débusquer l'assassin.

Il commence par dresser le portrait psychologique du tueur, puis croise les dossiers des différents crimes afin d’y dénicher des points communs. Il réalise que Joseph Vacher fait un très bon candidat. Il décide alors de l’interroger. Et immédiatement, il est convaincu.

Dans son édition du 24 octobre 1898, Le Figaro relate sobrement l'arrestation et les aveux de Vacher.

« M. Fourquet demanda le transfèrement de Vacher à Belley et, interrogé par le juge d'instruction, le sinistre gredin finit par s'avouer l'auteur [...] de toute une série d'effroyables crimes qui avaient ensanglanté la France. »

Devant l'ampleur des crimes reprochés à Vacher, le procès qui s'ouvre le 26 octobre 1898 devant la Cour d'assises de l'Ain est retentissant. D'autant que l'accusé possède une personnalité déroutante – et qu’il en rajoute obstinément dans son personnage de doux dingue.

Plaidant la folie jusqu'au bout, Joseph Vacher tentera en effet, en vain, de sauver sa peau. Le 28 octobre, après seulement quinze minutes de délibérés, il est condamné à la peine capitale.

Le 31 octobre 1898 à Bourg-en-Bresse, la lame de la guillotine tranche la tête du tueur de bergers. Juste avant d'être exécuté, il déclare : « C’est heureux que je me sois fait couper les cheveux ».