Écho de presse

16 août 1870 : L'épouvantable lynchage de Hautefaye

le 15/08/2023 par Marina Bellot
le 25/08/2020 par Marina Bellot - modifié le 15/08/2023
Le 16 août 1870, lors de la foire annuelle de Hautefaye, en Dordogne, un notable accusé d'être un « traître à l'Empire » est supplicié – puis brûlé vif par des villageois. 
16 août 1870. Dans la torpeur d'un été caniculaire, les habitants de Hautefaye, en Dordogne, sont réunis à la foire aux bestiaux annuelle du village. L'événement a, cette année-là, un goût amer : la sécheresse a nui au bétail et aux récoltes et les affaires s'annoncent particulièrement mauvaises. Surtout, la guerre franco-prussienne qui a débuté à peine un mois plus tôt est dans tous les esprits.

C'est dans ce climat de tension que, soudain, une rumeur se répand parmi les villageois : un partisan de la Prusse serait là, tout près, fondu dans la foule ; l'homme aurait même osé crier « Vive la République ! ». 

La rumeur se transforme bientôt en malentendu et un notable de la région, Alain de Monéys, est pris à parti par une foule de plus en plus hystérique (les faits sont rapportés par l'acte d'accusation établi quelques mois plus tard) :

« M. Alain de Moneys, adjoint au maire de Beaussac [une commune voisine], venait d’arriver sur le champ de foire, où il causait d'élections avec le sieur Anlonu, lorsqu’il entendit un grand tumulte. Il s’approcha aussitôt de l’endroit d’où partait le bruit et en demanda la cause au sieur Bréthenoux. Celui-ci répondit que M. de Maillard avait crié :
“À bas Napoléon ! Vive la République
 !”
“Ce n’est pas possible
 !” dit M. de Moneys, en prenant le parti de son cousin qu’il n’avait, du reste, pas vu depuis un mois, “vous ne le prouverez pas”.
— Suivez-moi, dit Bréthenoux, je vais vous le prouver.
Et il sauta aussitôt dans un pré séparé de la route par le chemin
 ; M. de Moneys l’y rejoignit. Bréthenoux s’adressa à la foule :
— Que ceux qui ont entendu M. de Maillard crier
 : “Vive la République ! À bas Napoléon !” lèvent la main.
Plus de vingt mains se levèrent. La foule se précipita dans le pré et assaillit M. de Moneys.
 »

Il n'en faut pas plus pour que la foule se déchaîne contre le notable, que la foule a désigné comme un traître à l'Empereur. Le lynchage qui suit est d’une violence inouïe. Insulté, supplicié, torturé, le calvaire d'Alain de Monéys s'étend sur plusieurs heures.

L'acte d'accusation témoigne d'une sauvagerie collective glaçante : 

« “Il faut le faire souffrir, il faut le faire périr, criaient-ils, il le mérite bien, et si vous prenez son parti, on vous en fera autant.”

Quelques voix impuissantes s’élevèrent, mais les menaces et les bâtons leur imposèrent promptement silence. [...]

Le funèbre cortège traversa de nouveau la cour du maire et remonta le chemin qui conduit au champ de foire. Il traînait, en le soutenant, le pauvre jeune homme dont la tête était comme un globe de sang. “Mes amis, je suis perdu”, murmura-t-il. Les coups de bâton lui répondirent. [...]

Cependant on était arrivé à l’auberge de Mouiller ; on voulut faire entrer le malheureux M. de Moneys. La porte se referma cruellement sur lui, il eut le pied pris dans une échancrure, et tomba lourdement sur le seuil : le sang lui sortait par la bouche ; “Il avait, dit un témoin, la tête noire et toute mâchée de coups.” 

Ce spectacle n’apitoya pas ses assassins. On les entendait vociférer : Malheureux, nous allons te tuer, nous allons te faire brûler ! [...]

Avant de s’évanouir, il avait encore eu la force de répondre : “Mais moi aussi, mes amis, je suis soldat, je partirai avec vous.” [...] D’une main mourante, il se cramponna à la voiture, on lui fit lâcher prise à coups de bâton. [...] 

Les bourreaux reprirent leur victime et la poussèrent sous le travail où on voulait le prendre et le brûler. [...]

“C’est un Prussien ! Il faut le tuer, il faut le brûler”, hurlait cette horde d’assassins. [...]

Quand il vit le bois s’entasser sur lui, il comprit le sort affreux qui l’attendait, car dit un témoin, il allait se voir brûler pendant peut-être un quart d’heure ! »

L’horreur est encore amplifiée par la rumeur d'actes de cannibalisme auxquels se seraient livrés des villageois — les faits n’ont cependant pas pu être prouvés. 

Il ne faut pas longtemps pour que la presse locale puis nationale se fassent l'écho des sinistres événements de Hautefaye : « Un drame épouvantable », écrit L'Univers le 21 août.

En quelques jours, une cinquantaine de personnes sont interpellées et interrogées. Vingt-et-une sont arrêtées. 

Le procès se déroule du 13 au 21 décembre 1870 au palais de justice de Périgueux. Après plusieurs semaines d'audience, quatre inculpés sont condamnés à la peine de mort ; les autres à la prison ou au bagne. 

L’exécution des coupables a lieu sur la place d'Hautefaye, là où les quatre hommes, que rien ne semblait prédestiner à l'échafaud, sont connus de tous.

Leur exécution sème l'horreur et la consternation dans le village déjà meurtri, comme le rapporte Le Petit Journal

« Lundi 6 février, à six heures et demie du matin les quatre individus condamnés à mort pour leur participation dans l'horrible drame du 16 août ont porté leur tête sur l'échafaud, dressé au centre même du bourg d'Hautefaye. [...]

La distance de Périgueux à Hautefaye est de 57 kilomètres. [...] Il était cinq heures du matin lorsque le funèbre cortège est arrivé à Hautefaye. L'échafaud était dressé devant la halle. Un détachement de 200 hommes d'infanterie, arrivé la veille, se trouvait sur les lieux.  [...]

L'exécution du premier condamné a eu lieu à huit heures vingt-cinq minutes. Cinq minutes après, tout était terminé. [...]

Peu de personnes assistaient à l'exécution, c'est à peine si on en comptait une centaine. Les corps des quatre suppliciés ont été inhumés dans le cimetière d'Hautefaye. »​

Un siècle après l'affaire, le 16 août 1970, une messe de pardon a été célébrée dans l'église de Hautefaye en présence des descendants de la victime et de ceux des quatre condamnés à mort. 

L'affaire de Hautefaye reste l'un des drames les plus sordides que la Dordogne ait jamais connus.