Écho de presse

Les escroqueries impossibles de l'homme qui a vendu la tour Eiffel

le 20/09/2020 par Arnaud Pagès
le 16/09/2020 par Arnaud Pagès - modifié le 20/09/2020
Victor Lustig, proclamé « escroc le plus doux » au monde, interrogé par deux agents américains – source : WikiCommons
Dans les années 1920, Victor Lustig s'est fait connaître pour avoir réalisé l'escroquerie du siècle : vendre la tour Eiffel. Mais sa carrière d'escroc est loin de se résumer à ce seul coup d'éclat. 

Né en 1890 dans une famille aisée à Tabor en Tchécoslovaquie, Victor Lustig montre très jeune une prédisposition pour la filouterie.

Doté de qualités intellectuelles supérieures, il commence à gagner sa vie en trichant aux cartes. Ayant appris les bonnes manières en fréquentant la haute société dans les cercles de jeux enfumés des paquebots transatlantiques, il part pour les États-Unis alors que la Première Guerre mondiale limite les croisières maritimes. C'est là qu'il va pour la première fois démontrer l'étendue de son talent.

Devenu riche en arnaquant plusieurs grandes banques grâce à des prêts contractés sous de fausses identités, il fait la rencontre d'Al Capone. Faisant fi des règles de bienséance en vigueur, il roule l'empereur de la pègre américaine en lui vendant une fausse machine à fabriquer des billets en échange de 5 000 dollars – somme colossale à l’époque.

Par peur des représailles, Lustig fuit pour Paris. C'est dans la Ville Lumière, en se faisant passer pour un représentant du gouvernement français, qu'il va réussir à vendre la Dame de fer au dénommé André Poisson, un jeune entrepreneur naïf.

Honteux de s'être à ce point fait berner, ce dernier n'a jamais voulu porter plainte, et a tout fait pour que personne ne parle jamais de cette affaire. De fait, la presse de l'époque ne relate pas en temps réel cette formidable escroquerie.

Ce n’est que quelques années plus tard que l’on retrouve Lustig, dans les colonnes du quotidien Le Journal en date du 6 juillet 1929.

Notre escroc, accompagné de Benjamin Mc Sherry, un de ses acolytes se faisant passer pour un banquier américain, et dont le journaliste précise qu'ils sont « tous deux affiliés à une bande de Chicago », se sont fait arrêter dans un palace parisien.

« Il était facile de présumer que Lustig et Mac Sherry étaient venus en France commettre quelque mauvais coup. Aussi, les policiers décidèrent-ils, et cela afin de surprendre des complicités possibles, d'attendre que les deux hommes ait donné un commencement d'exécution à leurs desseins. »

Lustig, retourné aux États-Unis après l’arnaque – encore inconnue – d’André Poisson, a en effet été contraint de renouer avec Al Capone, qui, reconnaissant chez lui des talents certains, l'a officiellement pris sous son aile et mandaté pour piloter plusieurs opérations en Europe. Et notamment, celle pour laquelle il vient de se faire pincer.

Interrogés par la police, les deux escrocs avouent être venus à Paris pour « écouler des titres américains falsifiés et de faux billets », mais également de faux chèques et de fausses lettres de crédit.

Le Matin, dans son édition du 6 juillet 1929, ajoute que Lustig était arrivé en France « sous l'identité de Robert Miller, citoyen canadien ».

Le lendemain, c'est le Journal des débats politiques et littéraires qui relate l'arrestation en précisant que les deux compères se faisaient passer pour des « émissaires des banques new-yorkaises Morgan et Witney ». 

« Une perquisition a fait découvrir quantité de faux chèques, lettres de crédit, imprimés des banques les plus importantes d'Amérique, ainsi que des lettres supposées des banques Morgan et Witney, de New-York, accréditant en France leurs détenteurs. »

Par une chance incroyable, Lustig et Mc Sherry réussissent à échapper aux griffes de la justice française. Les archives manquent malheureusement pour expliquer plus avant comment ils s'y sont pris pour quitter le pays, mais peu de temps après leur mise au pas par la police, ils sont de retour aux États-Unis.

Lustig reprend alors de plus belle le trafic de faux billets. Mais le vent tourne. Arrêté par la police fédérale, il est emprisonné à Remsen County, dans l’Oklahoma. Là, il parvient une nouvelle fois à se tirer d'affaire en corrompant le shérif responsable de sa surveillance. Comme avec Al Capone, Lustig lui fournit une machine à imprimer des billets de banque. Là encore, sans surprise, celle-ci est fausse.

En 1934, particulièrement inquiet par la mise en circulation croissante de fausses coupures sur le sol américain – on rappelle que l’économie du pays est dévastée par la Grande Dépression –, le gouvernement de Franklin D. Roosevelt donne mission au Secret Service de mettre fin à ce type d’agissements.

Après une courte enquête, les agents fédéraux mettent le doigt sur William Watts, un pharmacien déjà condamné pour fraude à l'interdiction de la vente d'alcool lors de la prohibition. Watts se révèle introuvable. Mais c’est en suivant sa piste que les enquêteurs tombent sur Victor Lustig, agent de liaison du mystérieux pharmacien.

Niant en bloc dans un premier temps, Lustig est obligé de passer aux aveux lorsqu’est découverte sur lui la clef  d'une consigne renfermant la somme coquette de 51 000 dollars – en fausses coupures.

Emprisonné à New York, il est condamné le 5 décembre 1935 à une peine de quinze ans de réclusion. On l’expédie sur-le-champ à Alcatraz, la prison la plus sécurisée des États-Unis. Tombé malade après la Seconde Guerre mondiale, Lustig meurt des suites d'une pneumonie le 9 mars 1947 dans un centre de détention médicalisé à Springfield, dans le Missouri.

Mais ce n’est que plusieurs années après son décès que l’on découvrira son plus haut fait d’armes : l’invraisemblable « mise en vente » de sa pseudo-propriété, la tour Eiffel.