Interview

Le temps des complaintes criminelles : histoire d'une poésie à part

« Un crime au Fourneau », par Bruneau et Pasquet, 1924 - source : Coll. J.F. "Maxou" Heintzen-Criminocorpus

Genre tombé dans l'oubli, la complainte criminelle ou « canard sanglant », qui narrait un fait divers marquant sur un air connu, a connu un véritable âge d'or entre 1870 à 1940. L'ouvrage pionnier Chanter le crime de Jean-François Heintzen donne à lire, voir et entendre cette production foisonnante.

RetroNews : Comment les complaintes criminelles sont-elles entrées dans votre vie, au point que vous en soyez devenu collectionneur puis que vous décidiez d'y consacrer un ouvrage ?

Jean-François « Maxou » Heintzen : C’est un jeudi d’Ascension, à la brocante annuelle de Venesmes (Cher), que j’ai eu pour la première fois entre les mains une feuille relative à un crime commis dans la région. Vendues généralement 10 centimes pièce, ces publications comprennent une chanson d’actualité, sont illustrées de bois gravés, puis de photographies d’arrestation ou de procès. Je savais que de ces objets existaient, j’avais notamment entendu parler d’un imprimeur, dans les environs de Saint-Amand-Montrond (Cher), qui produisait des complaintes diffusées dans toute la France – ce jour-là j’ai chiné une feuille éditée par cet imprimeur…

C’est ainsi que j’ai commencé à les chercher, dans les archives et les bibliothèques, mais aussi à les collectionner. J’en ai aujourd’hui quelques centaines. Mon cas n’est évidemment pas isolé : en France, ces objets ont surtout été étudiés par des collectionneurs, alors que dans d'autres pays, ce sont plutôt les bibliothécaires et les archivistes qui s’y intéressent.

Quelle était la raison d’être de ces complaintes criminelles ? Pourquoi ne pas se contenter du récit pour raconter l'actualité criminelle ? 

De nos jours, la chanson a essentiellement une fonction de divertissement. Marginalement, elle sert aussi à la dévotion (on chante dans les lieux de culte) ou au militantisme (et dans les manifestations), mais elle a eu autrefois d’autres fonctions : on connaît le « chant de travail », mais on a oublié son rôle médiatique. Une complainte informe : elle raconte un événement qui vient de survenir, souvent dramatique – accident de chemin de fer, naufrage... – ou politique, ou encore un fait divers criminel. Plus profondément, la forme chantée est liée à son support que l’on appelle le « canard », voire le « canard sanglant » s’il parle de crime : ce n’est pas un journal, périodique par nature, mais au contraire un occasionnel, un éphémère pour les bibliophiles, ne paraissant que s'il a quelque chose à dire.

Les canards sanglants ont diverses formes, allant de la feuille volante de taille variable, j...

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